Sale semaine pour Thabo Mbeki

À force de nier, contre toute évidence, l’existence d’une crise dans le pays de Robert Mugabe, le médiateur sud-africain a fini par être récusé par Morgan Tsvangirai, le chef de l’opposition. L’apôtre de la « diplomatie tranquille » aurait-il perdu la mai

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 4 minutes.

Le 16 avril, dans l’immeuble de verre des Nations unies, à New York, Thabo Mbeki donne une conférence de presse. Un journaliste pose une question : « Monsieur le Président, pensez-vous que vous puissiez rester objectif concernant Robert Mugabe, étant donné son statut de héros de la libération ? » Le visage de Mbeki se crispe, la réponse fuse : « Je sais aussi bien que vous quand quelque chose va ou ne va pas. Le fait que je vienne d’un mouvement de libération ne signifie pas que je sois incapable de reconnaître ce qui ne va pas. Je crois qu’il serait temps que les gens nous reconnaissent la capacité de penser et d’avoir un tout petit peu d’intelligence ! »
À l’évidence, le chef de l’État sud-africain est sur les nerfs. Il faut dire qu’il a passé une bien mauvaise semaine. Tout a commencé le 12 avril, lors d’une visite au Zimbabwe. À l’issue d’un entretien avec Mugabe, il lâche : « Il n’y a pas de crise au Zimbabwe. » Puis il se rend à Lusaka pour participer à un sommet de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). À huis clos, il plaide auprès de ses pairs pour que le communiqué final ne fasse mention d’aucune critique contre le régime Mugabe.
Pour Mbeki, le 16 avril doit être un grand jour. Son pays présidant le Conseil de sécurité des Nations unies depuis quelques semaines, il a pris l’initiative d’une rencontre entre l’ONU et l’Union africaine. À l’ordre du jour : le renforcement du rôle de l’UA et des organisations sous-régionales dans le règlement des conflits africains. Du beau monde a été invité : Jakaya Kikwete, le chef de l’État tanzanien, qui préside l’UA cette année, Mélès Zenawi, le Premier ministre éthiopien, et Laurent Gbagbo.
Dans l’esprit de Mbeki, il ne fait aucun doute que le président ivoirien doit être l’invité d’honneur de la réunion. Deux jours plus tôt, à Abidjan, le porte-parole du gouvernement a annoncé que le premier tour de la présidentielle aurait lieu le 30 novembre prochain. C’est la première fois qu’une date est fixée, signe que le conflit de Côte d’Ivoire est en passe d’être résolu par les Ivoiriens eux-mêmes. Ce qui n’est pas rien.
Le 16 au matin, juste avant le sommet, Mbeki et Gbagbo se rencontrent en tête à tête, pendant une demi-heure – ils s’étaient déjà concertés le 18 mars, au Cap. Sans doute se mettent-ils d’accord pour ne pas mentionner le Zimbabwe dans leurs discours respectifs. De fait, en séance, ni l’un ni l’autre ne lâche le mot qui fâche. Gbagbo prononce un discours ambitieux et propose « une véritable décentralisation des compétences de l’ONU » au profit d’organisations régionales « mieux adaptées au règlement ?des conflits locaux ». Une manière de régler un vieux compte avec l’Onuci
Le problème, c’est que l’opération omerta sur le Zimbabwe ne marche pas. « Comment peut-on tenir une réunion sur l’Afrique sans parler de la crise au Zimbabwe ? » lance l’ambassadeur américain, Zalmay Khalilzad. Gordon Brown, le Premier ministre britannique, met carrément les pieds dans le plat : « Personne ne croit que Robert Mugabe a gagné les élections. » En séance, deux Africains se laissent aller à prononcer le mot tabou. Le président Jakaya Kikwete, de Tanzanie, appelle la SADC à « faire un gros travail pour garantir que la volonté du peuple zimbabwéen sera respectée ». Quant à Cheikh Tidiane Gadio, le ministre sénégalais des Affaires étrangères, il regrette que les Africains ne fassent pas davantage de diplomatie préventive « au regard, par exemple, de la situation au Zimbabwe ». Lors de la conférence de presse qui suit, Thabo Mbeki est donc, on l’a vu, assailli de questions sur ce pays dont il ne voulait à aucun prix parler
Mais il n’est pas au bout de ses peines. Au moment précis où il tente, à New York, d’occulter la crise au Zimbabwe, à Johannesburg, son rival Jacob Zuma déclare : « La région ne peut se permettre une aggravation de la crise au Zimbabwe, d’autant que des informations révèlent une éruption de violence dans le pays. » Et le Congrès national africain (ANC), que préside ce même Zuma, de réclamer la publication immédiate des résultats de la présidentielle à Harare
Le lendemain, 18 avril, arrive le coup de grâce. Morgan Tsvangirai, le chef de l’opposition zimbabwéenne, récuse la médiation de Thabo Mbeki : « Nous voulons le remercier pour tous ses efforts en faveur de notre pays, déclare-t-il, mais il doit être relevé de ses fonctions. Nous avons besoin d’un envoyé spécial qui se rende immédiatement au Zimbabwe. J’ai demandé au chef de l’État zambien, Levy Mwanawasa, qui préside la SADC, de lancer une nouvelle initiative destinée à agir d’urgence. » Que vaut un médiateur si l’une des deux parties n’en veut plus ? La « diplomatie tranquille » chère au successeur de Nelson Mandela semble bien mal en point.
Thabo Mbeki a-t-il perdu la main ? C’est la question que se posent beaucoup de Sud-Africains. « Depuis sa cinglante défaite au congrès de l’ANC, en décembre dernier, face à Zuma, il semble de plus en plus déconnecté des réalités, analyse l’un de ses anciens compagnons. Comment a-t-il pu dire qu’il n’y avait pas de crise au Zimbabwe ? C’est fou ! » Et d’aucuns de se demander si le vieux Robert Mugabe n’est pas en train de l’entraîner avec lui dans une voie sans issue.

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