Retour à la case Foccart ?
Fidèle du président Nicolas Sarkozy, le nouveau secrétaire d’État à la Coopération, Alain Joyandet, connaît peu le continent mais sait comment parler à ses dirigeants. Avec diplomatie et sans états d’âme.
« Oui, je suis allé à Libreville voir le président Bongo Ondimba. Je l’assume. Où est le problème ? » À l’évidence, Alain Joyandet, 54 ans, « sarkozyste décomplexé » comme il se qualifie lui-même, n’avait aucun état d’âme en se rendant le 10 avril à Libreville, accompagné du secrétaire général de l’Élysée, Claude Guéant, pour sa première visite sur le continent en tant que secrétaire d’État à la Coopération. Soucieux d’apaiser la mauvaise humeur du doyen gabonais, dont on sait qu’il avait fort mal pris les déclarations de Jean-Marie Bockel, ex-pensionnaire de la Rue Monsieur, sur la fin programmée de la Françafrique et la mal-gouvernance des pays pétroliers d’Afrique centrale, Nicolas Sarkozy avait lui-même demandé à Alain Joyandet d’aller se faire initier – adouber ? – au Palais du bord de mer. « Il fallait remettre les choses à plat, dissiper les ambiguïtés, raconte le nouveau secrétaire d’État. Je me suis rendu compte à quel point le malaise était profond. Le président Bongo Ondimba ne l’a pas caché : il a été peiné, froissé, attristé d’avoir été ainsi mis en cause par un membre du gouvernement français et par certains médias. Il nous a d’ailleurs rappelé tout ce qu’il avait fait pour la France. Maintenant, je crois que le malentendu est effacé. La présence de Claude Guéant ? C’est l’homme de confiance du président. Le fait qu’il soit là a permis de gagner beaucoup de temps. » Malin, Omar Bongo Ondimba s’est dit pour sa part « très heureux » que « la petite hache de guerre » ait été enterrée, avant d’ajouter, mi-narquois mi-énigmatique, à propos de Jean-Marie Bockel : « On a voulu signer, il paraît, l’acte de décès de la Françafrique, mais c’est un risque qu’il a provoqué, celui-là »
Contrairement à son prédécesseur, ancien socialiste rallié dans le cadre de la politique d’ouverture à gauche de Nicolas Sarkozy, Joyandet n’a ni souci existentiel ni mauvaise conscience à solder. Pas de risque, donc, de coup d’éclat. « J’ai besoin de quelqu’un que je connaisse bien et qui me comprenne bien », lui a dit le président en le recevant à l’Élysée le 16 mars, trois jours avant sa nomination. Deux critères auxquels le député-maire UMP de Vesoul, en Franche-Comté, correspond étroitement. Sarkozy et lui se fréquentent depuis vingt ans et Joyandet n’a pas craint de recevoir à plusieurs reprises son ami en sa bonne ville, quand le parti ne jurait que par Jacques Chirac et que « Nicolas » était au creux de la vague. Un fidèle, donc. Et un self-made man comme les aime le patron. Bachelier (c’est le seul diplôme affiché sur sa notice au Who’s Who), journaliste localier à 20 ans, il rachète le petit hebdo qui l’emploie, en crée d’autres, fonde des radios, une imprimerie et un atelier de photocomposition, et se retrouve bientôt à la tête d’un groupe départemental de presse qui édite 5 titres, emploie 70 salariés et réalise 25 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel, la Snec, dont il a tout récemment cédé la direction – incompatibilité oblige – à sa propre fille. Parallèlement, Alain Joyandet mène une carrière politique linéaire et solidement ancrée à droite : maire de Vesoul depuis treize ans, député depuis six ans et responsable des Fédérations de l’UMP – ce qui fait de lui le numéro quatre du mouvement. « En réalité, mon seul engagement politique, c’est Sarkozy, confie-t-il. Je le discerne tellement bien que je sais à l’avance comment il va réagir. »
Pas de vagues
C’est cette proximité qui explique la nomination de Joyandet à la Coopération, beaucoup plus que sa fréquentation du terrain. De l’Afrique, le secrétaire d’État ne connaissait que Sipilou et Biankouma, deux petites communes rurales de l’ouest de la Côte d’Ivoire, non loin de Man, avec lesquelles Vesoul est jumelée et où il s’est rendu il y a une dizaine d’années. « Ma nomination à ce poste m’a un peu étonné, reconnaît-il, mais, très vite, l’envie est venue. » L’envie, mais aussi le message et la méthode qui vont avec : pas de vagues, une posture d’écoute permanente vis-à-vis de ses interlocuteurs et un optimisme affiché. Bref, de l’anti-Bockel. « Il ne s’agit pas de revenir sur les exigences de la France en matière de bonne gouvernance et de démocratie, explique Alain Joyandet, mais il ne sert à rien, si on veut y parvenir, de déclamer, de caricaturer ou d’indexer tel ou tel. Il faut accompagner les changements, il faut respecter les chefs d’État et, si problèmes il y a, les traiter avec diplomatie. Vous savez, il y a beaucoup de progrès sur le continent. Je n’hésiterai pas à le dire, quitte à me faire critiquer par la pensée unique. Moi, j’ai envie de parler de l’Afrique en bien. Ce qui va se passer là-bas au cours des vingt années à venir est capital. Dès lors, la question qui se pose à la France est simple : on y est ou on n’y est pas ? »
Exercice de réalisme
Bel exercice d’afroréalisme à la Claude Guéant et douce coulée de miel aux oreilles des chefs. Alors, Françafrique is back ? « Vous n’y êtes pas, se défend Joyandet, ma ligne de conduite, c’est le discours du président au Cap, fin février. Je me refuse à englober l’Afrique dans un schéma prêt-à-porter. Il y a autant d’Afriques que d’États et dans chaque pays il n’y a pas un, mais des interlocuteurs. Les présidents, certes, mais aussi la société civile, les entrepreneurs, la jeunesse. Et puis, je ne connais rien aux réseaux. Imaginer qu’avec moi ce sera le retour des valises et de l’argent noir, c’est se tromper de film. » Quand on lui fait remarquer que l’avocat Robert Bourgi, proche de Claude Guéant, ultime héritier de Jacques Foccart et homme de l’ombre de la Françafrique, a été vu le 10 avril à Libreville au palais présidentiel en même temps que lui, le nouveau secrétaire d’État répond : « Oui, j’ai reçu Bourgi, parmi d’autres, Rue Monsieur. Normal, c’est quelqu’un qui compte dans la galaxie. Mais il ne fera pas la politique de ce ministère. » Décomplexé, on vous l’a dit, d’autant que, contrairement à Jean-Marie Bockel, qui se sentait parfois étouffé par ses collègues du Quai d’Orsay, Alain Joyandet se dit parfaitement en phase avec Bernard Kouchner, Rama Yade et Jean-Pierre Jouyet : « Avec eux, je suis comme un poisson dans l’eau. Aucun état d’âme. D’ailleurs, vous devez savoir que je n’ai de problème avec personne. » Une qualité synonyme, en Afrique comme ailleurs, de longévitéÂ
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