Réapprendre à marcher droit

Le développement démocratique et économique du pays passe par la remise à plat de la police, de la justice et de l’armée, avec l’appui de l’ONU et de l’Union européenne.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Cette fois-ci, la table ronde sur la Réforme du secteur de la sécurité (RSS) en République démocratique du Congo s’est inscrite dans un contexte politique particulier. Celui-ci a été marqué, notamment, par la signature de l’acte d’engagement de Goma, le 23 janvier 2008, à l’issue de la Conférence sur la paix, la sécurité et le développement des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu (Est), organisée à Goma à partir du 6 janvier. Si les bruits de bottes n’ont pas cessé, les choses ont cependant évolué. Du coup, lors de la rencontre qui a réuni, les 25 et 26 février dernier à Kinshasa, quelque 300 experts nationaux et étrangers, les autorités congolaises se sont engagées, quatre ans après son lancement, à donner un coup d’accélérateur au processus.
À leur décharge, la mise en Âoeuvre de la RSS est une tâche titanesque. Né de l’initiative des bailleurs internationaux pour les pays qui ont connu des conflits, ce programme vise trois secteurs, intimement liés : la police, la justice et l’armée. Autant dire qu’il s’agit de chasses gardées où les pires habitudes – corruption, impunité et autres méfaits – ont longtemps pu prospérer. En outre, si la RSS est légitimée par la Constitution du 8 février 2006, elle a été induite par l’offre plus que par la demande. D’où la difficulté à se l’approprier. « Le concept nécessite un système coordonné entre les trois domaines et établit un lien entre forces de sécurité, bonne gouvernance et réforme globale de l’État, constate un expert. Le risque est de penser la RSS comme une opération technique et non politique, qui s’inscrit dans un contexte de démocratisation. Certains dossiers ne font pas toujours l’unanimité, comme le contrôle démocratique des forces armées. » Autre problème, la restructuration des services de sécurité – Agence nationale de renseignements (ANR) et Direction générale de la migration (DGM) -, qui reste le parent pauvre du programme.
Si la mise en Âoeuvre de la RSS peut rencontrer des lenteurs côté congolais, en revanche les intervenants extérieurs, eux, se mobilisent. Outre le groupe de contact de la RSS, qui regroupe l’Union européenne (UE), la mission des Nations unies en RDC (Monuc) ainsi que onze pays, les initiatives isolées d’États membres de l’UE et d’autres pays ne manquent pas. Pour preuve, une semaine avant la table ronde, une rencontre tripartite, regroupant la RDC, l’Afrique du Sud et les Pays-Bas, planchait sur la mise en place d’une force de réaction rapide. À croire qu’au-delà des préoccupations sécuritaires la RSS est l’occasion pour les uns et les autres d’élargir leur influence dans le pays. C’est évident pour l’ONU et l’UE, qui se disputent le leadership du processus. Chacun promettant que, désormais, les interventions seront coordonnées. Sur le terrain, la RSS avance à des rythmes divers selon les domaines. La réforme de la police nationale congolaise (PNC) bénéficie notamment du soutien de la Monuc (la RSS faisant partie de son mandat) et de l’Union européenne, via la mission Eupol RD Congo, qui a pris le relais, en juillet 2007, d’Eupol Kinshasa, déployée en février 2005 pour sécuriser les élections. Son objectif : assister les autorités congolaises dans le domaine de la police et de son interaction avec la justice. Parmi les actions déjà menées figurent la formation de policiers, l’approbation du document de réforme de la police, ainsi que l’élaboration d’un avant-projet de loi portant organisation de la PNC et de divers textes réglementaires. Il faut maintenant adopter le texte de loi, définir un plan d’action globale, mettre en place une police de proximité qui devra tenir compte du nouveau découpage administratif du pays en 26 provinces et instaurer des dispositifs de contrôle interne et externe. Du pain sur la planche.

Pots-de-vin et racket
Côté justice, sont déjà acquis : la suppression de la Cour d’ordre militaire, la rédaction d’un nouveau code judiciaire et d’un nouveau code pénal militaires, la cartographie des institutions judiciaires, l’adoption d’un statut pour les magistrats, l’installation de tribunaux de commerce et la validation du plan d’action de la justice. Les nouveaux chantiers portent sur l’adoption du code pénitentiaire et les lois devant aboutir à la mise en place d’une Cour constitutionnelle, d’un Conseil d’État et d’une Cour de cassation, l’établissement de tribunaux militaires de police et de garnison, ainsi que sur la ratification d’instruments juridiques internationaux. Les autres mesures concernent la formation des acteurs judiciaires, la réhabilitation des services judiciaires et pénitentiaires et l’établissement de tribunaux de paix. Ce plan d’action doit s’accompagner de la mise en place d’une structure nationale chargée de la promotion et de la protection des droits humains.
Enfin, le gros morceau reste la réforme des Forces armées de RDC (FARDC) – composées d’ex-miliciens issus des groupes armés et de militaires des ex-Forces armées congolaises – dont les grandes lignes ont été définies dans le plan d’action stratégique de l’armée, rendu public en 2005. Elle bénéficie de l’appui de la Monuc avec, notamment, des actions de formation sur le savoir-faire et la justice militaires, et le respect des droits de l’homme. L’UE intervient également via Eusec RD Congo (European Communications Security and Evaluation Agency), lancée en juin 2005 et dotée d’un mandat de trois ans. Ses missions de conseil et d’assistance, à caractère civil, comptent, entre autres, un appui à l’élaboration du statut des militaires, au recensement biométrique des effectifs, ainsi qu’à la mise en place d’une nouvelle organisation de la comptabilité, fondée sur la séparation de la chaîne de commandement et de l’administration chargée du contrôle et de la gestion financière. Restera à revaloriser les soldes, que certains arrondissent encore à coups de pots-de-vin, racket et autres délits.
Engagé en 2004, le brassage des ex-combattants, première étape du processus d’intégration qui consiste à mélanger et à former les ex-miliciens dans des centres dédiés à cette mission, a connu des moments difficiles. L’un des gros problèmes actuels vient des Maï-Maï, qui refusent d’être affectés hors de leur région d’origine, et des éléments du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) de Laurent Nkunda, prompts aux revirements. Les deux groupes continuent d’ailleurs à s’affronter, en dépit des résolutions prises à Goma. Le processus d’intégration a permis, pour sa part, de former et de déployer 15 unités intégrées. Il s’est heurté au délicat problème du recensement des soldats. De 340 000 annoncés en 2002, leur nombre a été révisé à 240 000 en 2004 par le Conseil supérieur de défense, pour être ramené à 100 000, à la suite des deux recensements effectués par l’Afrique du Sud et l’Union européenne. Quant à savoir combien de soldats comptera l’armée congolaise, la question reste entière. Quelque 80 000 éléments issus des ex-groupes armés n’auraient en outre pas encore été pris en compte.

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