L’insoumise

La secrétaire d’État française chargée de la Politique de la ville est un ovni dans le gouvernement de François Fillon. De l’Algérie, le pays de ses parents, à la confiance que lui a accordée le président Nicolas Sarkozy, elle se confie à Jeune Afrique. A

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 18 minutes.

L’interview devait durer une heure. Fadela Amara a bouleversé son agenda pour répondre à toutes nos questions deux heures durant. La secrétaire d’État à la Politique de la ville gagne à être connue. Sérieuse, honnête, possédant ses dossiers, elle se paie le luxe de la sincérité. Parmi toutes ces qualités qui sautent aux yeux, la plus caractéristique est sans doute l’authenticité. L’adolescente révoltée des banlieues, la meneuse de la Marche des femmes contre le ghetto et pour l’égalité, et la fondatrice de Ni putes ni soumises, reste égale à elle-même dans les palais de la République. Sa capacité d’indignation est inentamée. Ce qu’elle ne supportait pas hier, elle ne le supporte pas aujourd’hui et le dit avec les mêmes mots. Elle ne parle pas la langue des banlieues pour faire du genre. Mais pour rappeler d’où elle vient et surtout où elle veut aller.
Militante, ignorant tout souci de carrière et toute ambition pour elle-même, Fadela Amara n’est pas naïve. Elle est politique jusqu’au bout des ongles. Elle sait que Nicolas Sarkozy et la droite ont besoin d’elle et l’utilisent pour calmer les banlieues. Mais si son plan Espoir banlieue ne reçoit pas les crédits escomptés, où est le problème ? Elle se casse. Et son combat continue.

Jeune afrique : Dans un récent sondage réalisé par Jeune Afrique et l’Ifop auprès de citoyens français d’origine africaine, ces derniers jugent que, parmi les « ministres de la diversité », vous êtes celle qui les représentez le mieux. Comment réagissez-vous ?
Fadela Amara : D’abord, je suis très touchée que les gens m’apprécient et trouvent que je leur ressemble. Cela signifie qu’entre l’ancienne Fadela, de l’association Ni putes ni soumises (NPNS), et la nouvelle, membre du gouvernement, il n’y a pas de différence. Je suis d’autant plus ravie que j’ai toujours évité la rupture entre ma vie d’avant et celle d’aujourd’hui. Je veux rester accessible.

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C’est une légitimation a posteriori de votre entrée au gouvernement ?
Bien sûr. La preuve est ainsi faite que Rachida, Rama et moi sommes crédibles dans les fonctions que nous ont attribuées le président de la République et le Premier ministre.

Il y a quand même des différences entre vous trois. Nos sondés se reconnaissent moins en Rachida Dati et Rama Yade qu’en vous. Pourquoi ?
Peut-être parce que je suis davantage en contact avec les gens sur le terrain. Pour préparer le plan Espoir banlieue, j’ai dû me rendre très souvent dans les quartiers populaires.

Les gens se sentent plus proches de vous parce que vous leur ressemblez : vous vous habillez sobrement, vous parlez comme eux
J’espère qu’ils parlent mieux que moi ! Je crois que c’est surtout ce côté naturel et accessible qui plaît. Du moins, c’est ce qu’on me dit dans les cités et dans la classe moyenne issue de l’immigration. De toute façon, je suis comme je suis et je le revendique.

Comment avez-vous réagi quand votre collègue Rachida Dati a posé en Dior à la une de Paris Match ?
Chacun a sa façon de voir les choses. Pour ma part, ce n’est pas ainsi que j’envisage les hommes et les femmes politiques. Mais après tout, s’il y a des gens qui aiment ça

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Quels sont vos rapports avec vos « surs », Rachida et Rama ?
Je les respecte. Nous représentons toutes les trois la diversité. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. N’oublions pas que c’est le président Sarkozy qui a eu le courage de nous nommer au gouvernement. Sinon, on aurait pu attendre longtemps.

Votre popularité doit susciter quelque sentiment de jalousie ?
Il n’y a pas de quoi m’envier, je ne suis que secrétaire d’État à la Ville.

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Et de la part des autres membres du gouvernement ?
Il y a parfois des difficultés. Mais personne ne m’envie d’être née pauvre.

La classe politique vous reproche d’employer des mots comme « dégueulasse » pour qualifier les tests ADN. Que répondez-vous ?
La fonction, c’est vrai, impose une certaine obligation de réserve, mais je continuerai à parler aux gens comme je l’entends, à les toucher et à débattre avec eux. Toujours dans le respect, bien sûr.

On vous a vu lancer à un contradicteur dans une cité « bellaâ » (« ferme-la » en arabe), et voilà que le président prend exemple sur vous en répondant : « Casse-toi, pauvre con » à un quidam qui l’avait interpellé au Salon de l’agriculture
Que voulez-vous que je vous dise ? Je ne vais pas jeter la pierre au président, je suis pire que lui ! Le président n’a pas sa langue dans la poche et c’est tant mieux. De toute façon, c’était de la provocation de la part de ce monsieur et cette histoire a ensuite débouché sur une instrumentalisation politique.

La fonction présidentielle oblige à plus de retenue
Sans doute, mais la fonction présidentielle n’oblige pas non plus à se laisser marcher dessus. Nicolas Sarkozy est avant tout un être humain. Et le respect doit être réciproque.

Votre ministre de tutelle, Christine Boutin, considère que l’avortement est un acte « eugéniste et inhumain ». Elle a aussi ses idées sur l’homosexualité. Comment la militante de l’égalité et des libertés se débrouille avec elle ?
Même si je ne partage pas du tout ses idées, je la respecte, car c’est une femme de conviction comme moi. On ne parle pas du tout de ces sujets entre nous, mais seulement du travail.

C’est quand même curieux comme casting, Boutin et vous, l’eau bénite et le feu sacré, c’est plutôt diabolique, non ?
Sur ces questions, le président n’aime pas les situations « normées ». Mettre ensemble des personnes aussi différentes conduit selon lui à du bon travail car c’est source de dynamisme.

C’est un Pacs qui fait des étincelles !
N’allez surtout pas parler de Pacs à Christine Boutin !

Mais entre vous, ça coince ou ça fonctionne ?
C’était maladroit de sa part de déclarer qu’elle ne croyait pas en un plan banlieue comme s’il s’agissait d’un énième plan avec un catalogue de mesures. Alors que j’avais précisé, le lendemain de ma nomination, qu’il fallait, au contraire, avoir une vision globale des réformes incluant toutes les thématiques telles que la santé, l’éducation, la culture, etc.

On dit que vous n’avez pas beaucoup d’appuis au gouvernement
Je suis une femme de gauche qui entre dans un gouvernement de droite à la demande de Nicolas Sarkozy sur un sujet précis, les banlieues. J’ai accepté parce que j’ai confiance en Sarkozy et en sa volonté de changer la vie dans les banlieues. Je lui fais également confiance pour ne rien m’imposer et faire en sorte qu’on respecte mon identité, ma manière d’être et mes convictions.

Finalement, votre meilleur appui, c’est le président.
Oui. D’ailleurs, lorsqu’il y a eu le débat sur l’immigration, beaucoup de gens, à droite comme à gauche, ont réclamé ma démission. Et le président n’a pas cédé, parce que, justement, il respecte ce que je suis.

Le gouvernement met en place une « immigration choisie » basée sur les quotas. Vous sentez-vous à l’aise avec cette politique ?
Le concept « d’immigration choisie » ne me gêne pas, car l’immigration a toujours été choisie. Je suis clairement pour la gestion de l’immigration avec un volet de codéveloppement qui permette aux gens de ne pas émigrer. Le codéveloppement prévu par la politique du gouvernement n’est pas, à mon sens, assez visible. Par contre, je ne crois pas du tout à la politique des quotas. Je l’ai dit lorsque j’étais présidente de NPNS et je l’ai réaffirmé lors du débat sur l’immigration. D’ailleurs, le ministre de l’Immigration, Brice Hortefeux, connaît mes positions à ce sujet. Quant aux tests ADN, je maintiens que c’est dégueulasse et même doublement dégueulasse !

Comment réagissez-vous aux expulsions ?
J’ai toujours mal au cur lorsqu’il y a des expulsions. Toujours

Sur ce point, Brice Hortefeux vous expliquerait qu’il faut appliquer la loi sans états d’âme
Pour ma part, je suis pour la régularisation des travailleurs clandestins. Les familles installées depuis des années en France et qui participent à la vie économique et sociale de notre pays doivent être régularisées. Vous savez, je suis très sensible à tout ce qui concerne l’immigration. Mes parents ont toujours une carte de séjour, et je me souviens que, quand j’étais petite, j’accompagnais mon père pour le renouvellement de leurs papiers. À chaque fois c’était une épreuve.

Quelles sont les positions des autres ministres ?
Certains sont plus sensibles que d’autres sur la question de l’immigration comme Rama Yade (secrétaire d’État aux Droits de l’homme), Martin Hirsch (haut-commissaire aux Solidarités actives contre la pauvreté), Bernard Kouchner (ministre des Affaires étrangères) et aussi Jean-Louis Borloo (ministre d’État chargé de l’Écologie).

Et Rachida Dati ?
Sa position est clairement celle du gouvernement.

Cela vous a-t-il choquée que le nom d’un ministère de la République associe immigration et identité nationale ?
Je vais vous choquer, car cela ne m’a pas choquée ! Ce ne sont pas des thématiques qui me font peur. Attention, il ne faut surtout pas se tromper d’ennemis. L’identité nationale n’est pas ici une notion figée comme la conçoit Jean-Marie Le Pen. C’est, au contraire, un mille-feuille qui s’enrichit avec l’apport de chaque nouvelle vague d’immigration. Tenez, je trouve extraordinaire qu’en France le premier plat plébiscité soit le couscous.

Vous auriez pu siéger ?dans un gouvernement ?de gauche ?
Si je pouvais penser un instant que la gauche aurait appelé une Fadela Amara ou un Malek Boutih (secrétaire national du Parti socialiste chargé des questions de société), je me serais totalement trompée en acceptant d’être où je suis aujourd’hui. Mais je sais que si la gauche avait gagné, il n’y aurait ni Mohamed ni Fadela dans le gouvernement !

C’est grave ce que vous dites-là !
J’assume.

Vos amis de gauche seraient-ils racistes ?
Ce n’est pas une question de racisme, c’est pire ! J’aurais préféré qu’on me dise très clairement : « Fadela, on ne t’aime pas. » Mais le rapport que les responsables politiques de gauche entretiennent avec les enfants de l’immigration est un rapport de vassalisation. À aucun moment on ne nous permet d’exister en tant que femmes et hommes libres, en tant qu’interlocuteurs valables ou acteurs responsables d’un projet économique et social d’une ville ou autre collectivité. Ils acceptent volontiers que nous soyons responsables associatifs, animateurs de quartiers, à la rigueur simples conseillers municipaux, mais pas plus. On a un bel exemple avec Malek Boutih, un symbole de la lutte antiraciste en France, à qui on a fait barrage aux législatives de juin 2007. Il est temps que la gauche assainisse ses relations avec les enfants d’immigrés !

Comment réagissez-vous lorsque Ségolène Royal s’affiche avec Georges Frêche, qui avait tenu des propos racistes ?
Je suis indignée. C’est scandaleux ! Vous savez, j’ai reçu une lettre très violente de Frêche, qui me dit en substance que je ne dois pas dire n’importe quoi sous prétexte que je suis ministre. Je ne crois pas qu’il aurait écrit à un autre ministre sur ce ton. C’est exactement ce que je leur reproche, à certaines gens de gauche, le manque de respect. Quant à Ségolène Royal, elle est dans une posture électoraliste, elle est, par son soutien à monsieur Frêche, dans le déni du socialisme et de toutes ses valeurs.
Vous regrettez d’avoir voté pour elle en 2007 ?
Je regrette simplement qu’elle ne soit pas à la hauteur de ce que j’espérais.

Aux élections municipales et cantonales du 16 mars, les candidats issus des minorités visibles n’ont pas réalisé de bons scores quel que soit leur parti. Seulement trois d’entre eux sur les cent vingt-neuf têtes de liste de la diversité ont réussi à se hisser à la tête d’une assemblée communale. Comment l’expliquez-vous ?
Je ne suis pas surprise de ce résultat, hélas ! Parce que je sais que les appareils politiques n’ont pas intégré la diversité comme élément politique. Certains pensent que c’est un handicap. Dans presque la majorité des cas où l’on a présenté des gens issus de la diversité, on savait que la bataille serait difficile, voire perdue d’avance. Non pas que cela soit lié à la personne mais plutôt au rapport des forces en place. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours considéré le geste du président de la République en faveur de la diversité comme un engagement exceptionnel, et la nomination de Rachida, Rama et moi-même comme un acte fort.

Dans certaines banlieues, l’abstention a parfois atteint un taux record de 50 %. À quoi est due, selon vous, cette démobilisation des quartiers défavorisés ?
Le taux d’abstention a été très fort dans les quartiers populaires parce que l’attente est énorme et que l’impatience est là. Il faut donc accélérer les réformes et tout entreprendre pour apporter des résultats visibles. C’est le travail que je mène depuis plus de six mois.

La défaite à Colombes de Rama Yade sur la liste de la maire sortante UMP est-elle celle de la droite ou d’un ministre issu de la diversité ?
Les ministres issus de la diversité sont les plus populaires du gouvernement. Dans le VIIe arrondissement de Paris, Rachida a gagné les élections haut la main. Quant à Rama Yade, sa défaite a une portée locale. Ce n’est sûrement pas une défaite de la diversité. Je l’ai toujours dit, l’opinion est en avance sur les appareils politiques.

Vous êtes la dix-neuvième ministre de la Ville en dix-sept ans. En quoi votre plan banlieue est-il original ?
Dans les banlieues, beaucoup considèrent que je suis leur dernière chance. Les attentes sont énormes et je n’ai pas le droit d’échouer. En plus, je ne supporterais pas l’échec. Vous savez, je suis aussi kabyle et les Kabyles sont réputés pour leur nif (« fierté »). En présentant mon plan devant le Conseil des ministres, j’ai dit qu’il fallait y aller « à donf » (à fond, en verlan). Je n’ai pas voulu dire autre chose. Mais on n’a retenu que l’expression, qu’on m’a beaucoup reprochée.

Qui ?
Les bien-pensants, ceux qui croient qu’on va changer la vie dans les cités avec un stylo Montblanc ! Utiliser le verlan dans un Conseil des ministres est un acte politique, je l’ai fait sciemment.

Dans quel but ?
Faire entrer la population des quartiers dans le Conseil des ministres !

Quels sont les éléments forts de ce plan Espoir banlieue ?
D’abord, son mode d’élaboration. J’ai beaucoup consulté à tous les niveaux, associations, élus, populations en direct, etc. Nous avons misé sur trois thématiques : désenclavement, éducation et emploi des jeunes.

Quand aurez-vous les premiers résultats ?
Le recul du chômage des jeunes est l’indicateur que je surveille en priorité. D’ici à la fin 2008, on aura les premières évaluations. Comme on dit chez moi : awal dawal (« on n’a qu’une parole »). Je rendrai compte alors de tous les résultats. Je suis très souvent sur le terrain pour voir si tout avance dans le bon sens. On a sélectionné les départements les plus sensibles dans un premier temps, et, ensuite, on étendra au-delà si tout fonctionne bien.

L’objectif est-il de ramener la paix sociale dans les banlieues ?
Non, c’est trop réducteur. Les cités ne sont pas peuplées de barbares. Au contraire, on y trouve des talents qu’il faut aider à émerger. On a assisté en 2005 à une vraie révolte sociale à laquelle nous devons apporter aujourd’hui une réponse politique. C’est exactement ce que j’essaie de faire avec tout le gouvernement. Mon objectif est de faire émerger une élite dans les quartiers qui bouleverse les codes habituels

Comment Sarkozy, l’homme du « Kärcher » et de la « racaille », est-il perçu aujourd’hui dans les banlieues ?
On croit souvent que le président est l’objet d’un rejet général : ce n’est pas la réalité. Quand il était ministre de l’Intérieur, une partie de la jeunesse ne l’aimait pas beaucoup. Mais il apparaît aujourd’hui comme l’un des meilleurs garants d’une réelle insertion des jeunes des quartiers, et particulièrement de ceux qui sont d’origine étrangère. On peut ne pas être d’accord avec sa politique, mais il fait partie de ces hommes qui ont le courage de leurs convictions. Et sur la diversité et l’insertion des jeunes, pour le moment, il fait un sans-faute.

Il est vraiment perçu ainsi par les jeunes des cités ?
Honnêtement, de plus en plus.

Grâce à vous ?
Avoir nommé Rachida, Rama et moi au gouvernement a certainement aidé à changer l’image de Sarkozy dans les banlieues. Les jeunes et les moins jeunes me le disent et me l’écrivent.

Comment avez-vous rencontré Nicolas Sarkozy ? Qui a cherché l’autre ?
C’est lui, quand j’étais présidente de NPNS en 2003.

Où cela s’est-il passé ?
J’ai été d’abord reçue Place Beauvau par Rachida Dati, alors conseillère du ministre. Je n’ai pas apprécié, car elle était en charge « de la prévention de la délinquance », et j’ai dû lui rappeler tout de suite que je n’étais pas une délinquante !

Pourquoi Sarkozy souhaitait-il vous voir ?
Il voulait savoir ce que nous faisions à NPNS et, d’une manière générale, s’informer et échanger sur la situation dans les banlieues.

Votre première impression ? Séduite ?
Non, je ne suis jamais séduite par les hommes politiques. Sauf François Mitterrand, et encore, seulement celui du premier mandat. Mais j’ai quand même été interpellée par le personnage. J’étais surprise par le décalage entre ce qu’il était et ce qu’en disaient les médias. Par la suite, il m’a toujours aidée. Ce fut le cas avec la journaliste saoudienne défigurée par son mari, Rania el-Baz. Pour des raisons diplomatiques, Rachida Dati lui avait déconseillé de nous aider, mais il est passé outre. Je tiens à le dire : le ministre ne m’a jamais refusé quoi que ce soit et il ne s’en est jamais vanté.

Comment vous a-t-il proposé le poste de secrétaire d’État à la Ville ?
Il l’avait fait une première fois pendant les législatives, en juin 2007. J’ai décliné son offre en lui expliquant que je me sentais plus utile à NPNS. Par la suite, beaucoup d’amis, y compris de gauche, m’ont encouragée à accepter dans le but de faire évoluer la situation dans les banlieues. L’ouverture, c’est une logique de changement. Lorsqu’on m’a approchée une seconde fois, j’ai accepté en précisant mes conditions, à savoir, le respect de ma liberté de ton et d’action.

Un mot du Moyen-Orient. On ne connaît pas vos sentiments
J’ai toujours été pour un État palestinien. Israël, en tant qu’État fort, devrait faire le nécessaire pour la création d’un État palestinien. Avec mon conseiller Mohamed Abdi, nous avons fait partie des premiers signataires de l’Initiative de Genève de Yasser Abed Rabbo et Yossi Beilin, le 1er décembre 2003.

Vous êtes allée en Israël ?
Lorsque j’étais présidente de NPNS, je me suis rendue à l’invitation d’amis israéliens. J’ai rencontré de jeunes Palestiniens sur place et ils m’ont dit que les actes antisémites dans les banlieues françaises desservent leur cause.

On ne vous a pas vue, le 14 février dernier, au fameux dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), lorsque Sarkozy a pris une initiative sur la Shoah
J’ai été invitée, mais malheureusement je n’ai pas pu m’y rendre, j’étais malade. Dommage, car j’aurais voulu être assise à côté de Simone Veil.

Vous vous sentez kabyle ou algérienne ?
Les deux. Je ne suis pas nationaliste berbère.

Votre père a émigré en France en 1955, en pleine guerre d’Algérie
Ma famille était pour l’indépendance et mon père a fait partie de ceux qui collectaient des fonds pour la Fédération de France du FLN.
Vous n’êtes jamais retournée à Ait Youssef, le village familial ?
Non. Ma sur s’y est rendue. Elle m’a ramené des photos. ça a été très pénible de voir la maison de mes ancêtres en ruines après un bombardement de l’armée française. Avec ma nomination dans un gouvernement français, l’émigration de mes parents a pris un autre sens. C’est un clin d’il de l’Histoire

Qu’a pensé votre père de votre nomination ?
Il m’a toujours accompagnée dans mes combats depuis NPNS – même s’il n’a jamais prononcé le nom de l’association. Il est analphabète, mais il a, comme de nombreux immigrés, une intelligence pratique exceptionnelle. Ma nomination symbolise pour lui la réconciliation entre deux pays dont les histoires sont imbriquées. Le jour où j’ai été nommée, il a prononcé cette simple parole : « Jusqu’où elle a été, la fille du pauvre ! » J’ai pensé au roman de Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre.

Pourquoi vos parents n’ont-ils pas la nationalité française ?
Parce qu’ils ne la demanderont jamais. Mon père est profondément algérien.

Que pensez-vous de la repentance ?
Comme beaucoup d’immigrés et d’enfants d’immigrés, j’ai besoin de comprendre, de savoir ce qui s’est passé pendant la colonisation de l’Algérie. Mon père m’en a très peu parlé. Il me disait qu’il ne fallait pas avoir de haine contre la France et les Français.

Mais vous êtes pour ou contre la repentance ?
Je ne suis pas pour la repentance. Je souhaite que la France reconnaisse qu’en Algérie des exactions ont été commises. Et, je souhaite que les historiens des deux côtés fassent leur travail tranquillement.

Doit-on à votre avis évoquer l’histoire des colonies et de l’esclavage comme pour la Shoah ?
Bien sûr. J’aime beaucoup de choses dans mon pays, la France, notamment les valeurs universelles de 1789, mais j’ai conscience de toutes les mauvaises parenthèses de notre histoire.

Vous avez longtemps été interdite de séjour en Algérie
C’est à la suite d’une manifestation de solidarité à Clermont-Ferrand, au lendemain des émeutes d’octobre 1988 en Algérie. Mais je n’ai jamais vérifié s’il y avait vraiment une mesure d’interdiction de séjour. Quelqu’un avait dit à mon père qu’il ne valait mieux pas que j’y retourne. Mais quelques années plus tard, j’y suis allée sans problème.

Vous avez fait partie de la délégation qui a accompagné le président Sarkozy en Algérie. Qu’avez-vous ressenti ?
J’étais fière de représenter la France en Algérie.

Que vous a dit le président Abdelaziz Bouteflika ?
Il m’a dit qu’il était très fier que « sa fille algérienne siège dans un gouvernement français ».

Finalement, vous êtes française ou algérienne ?
Je suis française d’origine algérienne. C’est très simple !

De quel côté penchez-vous le plus ?
Je pense en français et j’ai la fierté des Algériens. Le nif, je vous l’ai déjà dit.

Comme Zidane ! Comment avez-vous réagi à son fameux coup de boule ?
Je ne devrais pas vous le dire, mais j’ai parfaitement compris ce qu’il a fait. Et puis, il s’est excusé vis-à-vis des jeunes. On en revient au « Casse-toi, pauvre con » de Sarkozy ou à mon « Ferme-la ».

Alors, Zidane, Fadela et Sarkozy, même combat ?
Avec Fadela à la fin, ça rime !

Vous lisez beaucoup ?
J’étais nulle à l’école, mais j’ai usé mes yeux à la lecture. J’ai d’ailleurs beaucoup augmenté les factures d’électricité. Mon père a réagi et, du coup, je me suis mise à lire à la bougie pour économiser. J’ai lu Hugo, Camus, Yourcenar (Les Mémoires d’Hadrien m’ont beaucoup marquée), Kateb Yacine, le poète kabyle Si Mohand ou Mhand

Et Dieu dans tout ça ?
Je suis croyante, je fais le ramadan et je suis profondément laïque.

Vous avez changé vos habitudes depuis que vous êtes au gouvernement ?
J’habite toujours dans mon logement social. Je n’ai pas voulu emménager dans les 200 mètres carrés de l’appartement de fonction. Par prudence : on peut vite perdre la tête si on s’habitue au luxe. Je gagne 11 400 euros par mois et je n’imagine toujours pas d’acheter une paire de chaussures à 1 000 euros. La retraite de mon père ne dépasse pas 650 euros par mois.

Comment vous débrouillez-vous avec les exigences du protocole ?
Mal ! Je ne suis pas très à l’aise avec les distances qu’on m’impose lors des visites dans les cités. Alors que je veux voir et entendre tout le monde sur mon chemin, surtout ceux qui ne sont pas d’accord avec moi. Mais ne vous trompez pas, je prends la République et ses institutions très au sérieux.

Et les hommes ?
Quels hommes ? Je ne cherche pas à séduire, je veux être reconnue comme une femme politique. Mon père me dit souvent que je vaux dix hommes.

Et que lui répondez-vous ?
« Pourquoi pas dix femmes ? »

Vous ne nous répondez pas sur les hommes
C’est privé.

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