Les grands chantiers de Joseph Kabila

Comment travaille le chef de l’État ? Avec qui ? Selon quelles priorités ? De la lutte contre la corruption à la décentralisation, en passant par la réforme de l’armée, le point sur les avancées du programme présidentiel.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 7 minutes.

Sur la seule route permettant de relier Lubumbashi, dans le sud du pays, à la frontière zambienne, la colère gronde. En cette journée maussade de février, des dizaines de camions stationnés en travers de la chaussée bloquent la circulation, paralysée par une épaisse boue recouvrant les restes d’une improbable couche de goudron. Après plusieurs heures de vaines palabres, l’énervement gagne les esprits. Quelques manoeuvres plus tard, la rumeur s’installe. Ce sont les Chinois, en charge de l’entretien de cet axe stratégique reliant la capitale provinciale du Katanga à la localité frontalière de Kasumbalesa, qui ont déposé de l’argile pour combler les trous. En pleine saison des pluies ! De quoi transformer une route cahoteuse en patinoire. « La guerre sera longue et populaire », s’exclame un chauffeur résumant, non sans humour, une situation qui, finalement, sera réglée le lendemain. Plus irrespectueux, un autre s’interroge : « Avons-nous voté pour cela ? Et où sont les cinq chantiers de Kabila ? » À Kinshasa, ville habituellement prompte à exprimer ses joies et ses peines, la résignation devant un quotidien ponctué par la hausse des prix nourrit la plupart des conversations. « Que peut-on faire pour que les affaires reprennent ? » se lamente Marie, une commerçante du marché central venue de « la cité » avec sa corbeille pleine de légumes. En quelques semaines, le litre d’essence est passé de 675 à 705 francs congolais (FC). Quant au sac de riz de 50 kg, son prix de 55 dollars (plus de 24 000 FC), le rend inaccessible à la plupart des habitants. Au cÂur d’un inextricable embouteillage sur le boulevard menant à l’aéroport Ndjili, Papa Jean se désole : « Depuis l’élection présidentielle d’octobre 2006 et la victoire de Joseph Kabila, rien n’a changé. »

Une obligation de résultat
De fait, beaucoup de temps a été perdu en République démocratique du Congo. Si le scrutin de 2006 a marqué la fin d’une laborieuse transition et offert une nouvelle légitimité politique au chef de l’État, il devait aussi sonner comme le début de la reconstruction d’un pays exsangue après une décennie de conflits et de chaos. Sur ce dernier point, tout reste à faire, alors que plus des trois quarts des 60 millions de Congolais vivent avec moins de 1 dollar par jour. Devant un tel défi, l’exécutif réplique par la promesse des « cinq chantiers » dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’énergie et des infrastructures. Mais, à ce jour, la seule concrétisation a été le coup d’envoi, le 25 mars, des travaux de réhabilitation d’une avenue de Kinshasa, grâce à des fonds koweïtiens. Plutôt mince pour satisfaire des habitants impatients, fatigués de vivre dans des quartiers insalubres, et qui ont majoritairement voté en 2006 pour le candidat de l’opposition, Jean-Pierre Bemba, le leader du Mouvement de libération du Congo (MLC) toujours exilé au Portugal (voir encadré p. 62). Parallèlement, dans le reste du pays, malgré la Conférence sur la paix, la sécurité et le développement des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu organisée à Goma en janvier dernier, l’instabilité perdure dans les provinces orientales. Les hommes du général Laurent Nkunda n’ont toujours pas déposé les armes. Quant aux troubles dans le Bas-Congo, qui ont conduit à l’interdiction du mouvement politico-religieux Bundu dia Kongo (BDK), ils font peser une nouvelle menace sur l’ouest du pays. Il s’agit en tout cas d’un nouveau point de crispation sur fond de revendications régionalistes.
« Le président Kabila est lent dans ses prises de décision car il doit sans cesse arbitrer entre les différents clans qui gravitent autour de lui », explique un habitué des arcanes du pouvoir. « Tous ceux qui pensent jouer un rôle ou qui défendent des positions acquises alimentent d’incessantes luttes d’influence. Face à cela, c’est au chef de l’État de manÂuvrer. Mais pour cela, il lui faut mieux connaître les hommes et les situations », conclut-il, laissant entendre que, sur cet aspect des choses, le patron a encore des progrès à faire. Au gré des nominations, des fâcheries et des disgrâces, Joseph Kabila dispose d’une garde rapprochée, mais ses contours mystérieux alimentent toutes sortes de rumeurs dont se délectent les Kinois. Les plus folles ont circulé en janvier, lorsque des menaces sur la sécurité du président faisaient la une des journaux. D’autant que, au lieu de démentir, le président est resté, comme à son habitude, sur la réserve. Alors que le culte du chef est encore très marqué en RD Congo, cette attitude a de quoi désarçonner. Les souvenirs de l’omnipotent maréchal Mobutu ont laissé des traces au sein d’une population désespérée par son quotidien et qui a besoin d’être rassurée sur son avenir.
« Le président ne manque pas de réactivité, explique un habitué du palais de Marbre. Il tranche sans état d’âme lorsqu’il doit prendre des mesures. Mais, parfois, il nous demande de ne pas communiquer les décisions prises. C’est un homme discret. Il faut l’accepter. Pour ce qui est de la rumeur, elle n’a aucune prise sur notre travail et la meilleure façon de la gérer est de ne pas y prêter attention. Inconsciemment, les Congolais tentent de comparer Kabila à Mobutu, mais c’est une erreur », conclut-il. De fait, le Zaïre appartient à l’Histoire, comme la toque de léopard et la canne sculptée ne sont plus les attributs du pouvoir. Il n’empêche, l’héritage du maréchal se perpétue, laissant parfois le champ libre à des habitudes pernicieuses. « Le fonctionnement à la présidence est chaotique et il y règne une sorte de paranoïa », estime un observateur évoquant la lenteur des prises de décision, les nombreuses intrigues – réelles ou supposées – ainsi que le phénomène de cour. Avec, au final, un manque de visibilité et un sentiment de flottement.

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La garde rapprochée du chef
Entre les conseillers occultes mais influents, les officiels sans emprise et les hommes de poids, il est difficile de s’y retrouver. Fidèle parmi les fidèles, Augustin Katumba Mwanke n’a aucun titre, mais peut se prévaloir de sa fonction de secrétaire exécutif de l’Alliance de la majorité présidentielle (AMP) pour continuer à jouer les premiers rôles. Avant 2001, cet ancien ingénieur katangais était un proche de Kabila père, qui l’avait nommé gouverneur de sa province natale. Depuis, il n’a jamais fait défaut et son entregent dans le secteur minier fait de lui une personnalité incontournable. Après une période de brouille larvée, le président de l’Assemblée nationale, Vital Kamerhe, natif du Kivu, semble être revenu en grâce. Ses ambitions affichées et son activisme lui ont été pardonnés. Dans le domaine particulièrement sensible de la sécurité, l’ancien chef d’état-major de l’armée de l’air et actuel inspecteur général de la police, John Numbi, ainsi que l’inamovible ministre d’État chargé de l’Intérieur, Denis Kalume, restent parmi les proches de Kabila. Ils ont su combler le vide laissé par le décès du conseiller à la présidence, Samba Kaputo. Six mois après cette disparition, le poste a été affecté, en février, à Prince Kaumba, jusqu’alors recteur de l’université de Lubumbashi. Quant au nouveau directeur de cabinet, le Kasaïen Raymond Tshibanda – ancien représentant du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) – réputé pour sa rigueur, il est parvenu à faire oublier Léonard She Okitundu, qui avait l’oreille du chef. Avec son écouteur de téléphone cellulaire toujours rivé à l’oreille, le conseiller politique et diplomatique Marcellin Tshisambo a pris du galon et, certainement, gagné en influence. Tout comme Évariste Boshab, promu secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir).

Train de sénateur à la primature
L’autre interrogation concerne le « leadership » gouvernemental. Un an après la nomination du Premier ministre Antoine Gizenga, le style du patriarche, âgé de 83 ans, alimente toutes les rumeurs. On annonce régulièrement son départ. Son silence assourdissant sur les dossiers brûlants et son absence totale de communication politique le font apparaître davantage comme une icône du passé que comme un chef de gouvernement apte à insuffler le dynamisme dont le pays a besoin pour se redresser. Résultat, les ministres les plus téméraires ont pris l’habitude de court-circuiter la primature pour traiter directement avec la présidence. Les autres perpétuent, sans broncher, une certaine nonchalance administrative. « Il y a un vrai problème de coordination », affirme un fonctionnaire international. « Il faut tout reconstruire en RD Congo, et cela ne concerne pas uniquement les infrastructures. Cela touche également l’appareil d’État, la fonction publique et le personnel politique. De ce fait, changer de Premier ministre ne donnerait pas plus de tonus au gouvernement », avance un membre du cabinet présidentiel pour expliquer les retards dans l’avancement des cinq chantiers. « Le style Gizenga ne répond peut-être pas à l’impatience des populations, mais il n’y a pas d’immobilisme », assure pour sa part le ministre du Plan, Olivier Kamitatu, énumérant les dossiers traités par le gouvernement et les projets de loi présentés au Parlement. Kinshasa mise sur l’accord avec la Chine, chiffré à 6 milliards de dollars, pour accélérer la remise en état du pays, notamment dans le domaine des infrastructures routières. La reprise progressive de la coopération avec les partenaires étrangers doit aboutir à la signature, cette année, d’un programme avec le Fonds monétaire international (FMI). À la clé, des aides substantielles et un allégement de la dette. Prévue par la Constitution, la décentralisation fixe le transfert aux provinces de 40 % des recettes fiscales, ce qui permettra de désengorger un État centralisé mais inopérant. L’unification et la restructuration des forces de sécurité ainsi que la réforme de la justice sont considérées, à juste titre, comme l’une des conditions du retour à la stabilité. La feuille de route est donc connue. Au terme de son mandat en 2011, le président Kabila sera jugé sur les résultats obtenus.

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