Le retour des cerveaux
Attirés par un mode de vie plus confortable, mus par l’euphorie patriotique et une farouche envie de réussir, nombre de MRE ont succombé à l’appel du « Nouveau Maroc ».
L’idée selon laquelle le Marocain est un candidat à la recherche d’un eldorado dans les riches contrées occidentales a fait son temps. Aujourd’hui, les élites du royaume ne parlent plus que du retour de leurs enfants prodigues. C’est une certitude : le Palais est décidé à rapatrier ses cerveaux. De passage à Paris, fin mars, le député Fouad Ali El Himma, « l’ami du roi », et Salaheddine Mezouar, ministre de l’Économie et des Finances, ont fait la promotion d’un Maroc moderne et en mouvement devant les jeunes diplômés des grandes écoles et les cadres installés en France. Les autorités s’inspirent des politiques menées par Taiwan et la Corée du Sud, qui ont su créer les conditions idoines – investissement dans la recherche et le développement, création de pôles technologiques – d’un retour en masse d’une élite disséminée aux quatre coins du globe.
En décembre, la Direction des investissements a même consacré son grand raout annuel – Les intégrales de l’investissement – aux Marocains résidant à l’étranger (MRE). Venus des grands pays industrialisés, ces dignes représentants de la diaspora ont eu droit à une véritable opération séduction. Le Premier ministre, Abbas El Fassi, les a exhortés à investir dans leur pays d’origine et à promouvoir le royaume. Nizar Baraka, ministre des Affaires générales et économiques, s’est fait le chantre la birésidentialité. Adil Douiri, ex-ministre du Tourisme, retourné aux affaires, a parlé avec son coeur, quitte à dénaturer la phrase célèbre du révolutionnaire français Danton : « Nous portons la marocanité à la semelle de nos souliers*. » Invité d’honneur, le ministre français de l’Intégration, Brice Hortefeux, a applaudi des deux mains la politique marocaine et fait valoir quelques arguments de poids. La France – qui accueille 800 000 Marocains sur son territoire, dont 470 000 titulaires d’une carte de séjour et 40 000 étudiants – est le premier client, le premier fournisseur, le premier investisseur et le premier bailleur de fonds du royaume. L’homme des « retours forcés » s’est déclaré prêt à continuer à accueillir les étudiants marocains, à soutenir les projets de retour et d’investissement, mais se veut intraitable avec ceux qui franchissent illégalement le détroit de Gibraltar. Des politiques similaires sont mises en Âoeuvre en Espagne, en Belgique et aux Pays-Bas.
Contrairement à l’Algérie, où l’insécurité fait peur et où l’économie est encore assez fermée, ou à la Tunisie, où les migrants de retour font souvent chou blanc, le Maroc ne manque pas de success story d’ex-MRE. Attirés par un mode de vie plus confortable (douceur de vivre, pouvoir d’achat plus élevé qu’en EuropeÂ), portés par l’euphorie patriotique et une farouche envie de réussir, nombre de MRE ont succombé à l’appel du « nouveau Maroc ».
Birésidentialité
Même s’il n’est pas bien quantifié (voir encadré p. 42), le retour de cette diaspora semble en passe de devenir un vrai phénomène de société avec son lot de modèles. À l’instar d’un Mouatassim Belghazi, nouveau président de l’ONA, qui, après avoir occupé plusieurs hautes fonctions au sein de la fonction publique, a créé deux entreprises de négoce au Canada, en 2002. Ou encore d’un Mohamed Elmandjra, 44 ans, formé aux États-Unis, où il a décroché un double MBA avant d’intégrer General Electric, puis d’accéder successivement aux postes de vice-président des laboratoires Adac, leader mondial en nucléaire appliqué à la médecine, de directeur général de Vioptix (optique) et de président de Masimo Corporation (développement médical). Directeur général de Méditel depuis le 14 mars, Elmandjra avoue qu’il a toujours gardé en tête l’idée de rentrer au bercail Mohamed Ezzouak, 30 ans, est un bel exemple de cette jeunesse décomplexée (voir « Trois questions à » p. 43). En janvier 2007, ce jeune entrepreneur arrivé en France à l’âge de 2 ans a fait le chemin inverse de celui de ses parents. Il est rentré pour développer Yabiladi, site Internet d’information dédié à la communauté marocaine.
Profitant du dynamisme culturel du royaume, plusieurs figures de la scène artistique ont également rejoint la mère patrie. Ils y résident ?définitivement, comme le peintre Mahi Binebine, ou optent pour la birésidentialité, comme DJ Abdel, rendu célèbre en France par ses passages sur Canal +, qui anime aujourd’hui de nombreuses soirées à Marrakech. Le cinéaste Noureddine Lakhmari, qui a fait ses armes en Norvège, travaille une bonne partie de l’année dans les studios de production Sigma, à Casablanca, dirigés par Ali Kettani, ancien responsable d’une salle des marchés à New York. Deux autres figures du septième art – la réalisatrice Laïla Marrakchi et la comédienne Morjana Alaoui – partagent leur temps entre la France et le Maroc.
Autres exemples de retours réussis dans d’autres domaines : Driss el-Yazami, militant des droits de l’homme exilé en France, s’est vu confier par le roi la présidence du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger. Jamal Belharach a, quant à lui, grandi dans la région de Dreux, en France, avant de revenir développer Manpower au Maroc, dont il est aujourd’hui PDG.
Sur le papier, le retour semble a priori facile. Après tout, le migrant a conservé sa nationalité et revient avec armes et bagages. Mais il adopte de plus en plus les codes de conduite de son ex-pays d’accueil. Au point que les enfants de MRE sont certainement moins marocains que français, belges ou espagnols. Le rêve n’est pas non plus toujours au rendez-vous. « En rentrant au Maroc, tu pensais devenir riche, monter ta propre société, genre Âla boîte de pub de l’année, ou trouver Âle truc avec tes idées plein la tête et ton optimisme incarné. En fait, tu n’es toujours pas à ton compte et tu bosses comme une malade en tant que salariée sans jamais trouver le temps de souffler De temps en temps, tu rêves de faire une petite balade dans le Quartier latin ou d’aller seule au cinéma. Mais tu ne sais pas quand est-ce que tu vas retourner à Paris. T’es célibataire, t’as 26 ans, et tu vis seule, la moitié de tes copines se sont mariées à l’âge de 22 ans et ont trois gosses. Elles sont heureuses parce qu’elles n’ont connu que ça, mais toi, tu es une ÂcélibattanteÂ, une vraie femme avec un vrai boulot, tu aspires à mieux »
Le mal de l’autre pays
Revenue au pays après six ans d’études en France, Nadia Benchekroun déversait ses états d’âme sur son Facebook, en octobre dernier. Un mois plus tard, d’innombrables témoignages de soutien incitaient cette executive woman à organiser pour les ex-MRE des after work musicaux au Pun Jab, un bar branché de Casablanca. Un exutoire pour ces jeunes cadres atteints du mal de l’autre pays, qui évoquent leurs souvenirs, confient leurs difficultés à se réintégrer, parlent avec humour des travers de la société marocaine. Et une prophylaxie efficace pour Nadia, qui ne manifeste plus la même aigreur aujourd’hui. Elle a trouvé un job de commerciale pour une grande marque automobile et s’est refait un réseau d’amis, comme Hamid, rencontré sur Facebook. « Je passe mon temps sur Internet, c’est un moyen de Âsexpanouir », dit en rigolant ce spécialiste de la mode, exilé de longues années à Dubaï. À 33 ans, le Casablancais a beaucoup gagné dans le prêt-à-porter, mais aussi beaucoup dépensé dans les mondanités. Restaurants, filles superbes, boîtes de nuit, le jeune homme est intarissable sur les nuits douces au pays de Cheikh Mohamed Ibn Rached Al Maktoum. Fini néanmoins le badinage, Hamid a décidé de quitter la péninsule Arabique pour monter son affaire dans l’hôtellerie et la restauration à Asilah, station balnéaire au sud de Tanger. Et profiter ainsi des retombées de la manne touristique : 7,5 millions de visiteurs en 2007, 10 millions espérés en 2010.
Les promoteurs de Yabiladi ont effectué, en 2006, une enquête interactive auprès de la diaspora. Quelque 43 % des sondés envisagent de rentrer. Un choix difficile répondant à plusieurs motivations : voir sa progéniture grandir dans son pays d’origine, renouer avec ses racines, réussir économiquement, participer au développement du royaume Au-delà de ces arguments, les migrants évoquent aussi leur mal de vivre dans une Europe de plus en plus fermée, ou dans une Amérique qui ne s’est pas encore remise du 11 Septembre. De quoi se laisser bercer par les promesses d’un règne plus juste et de la liberté d’entreprendre, même si le royaume n’est pas guéri de tous ses maux. Sont invoqués une justice à plusieurs vitesses, une administration corrompue, un civisme défaillant, une pauvreté insupportable Mais le principal frein au retour est avant tout économique, car les MRE n’ont pas oublié les raisons de leur propre départ ou de celui de leurs parents. Abandonner un pays d’accueil où l’on est finalement parvenu à refaire sa vie n’est pas sans risques. D’ailleurs, ceux qui jusqu’à présent sont revenus l’ont fait principalement à l’âge de la retraite ou avec un contrat en poche.
Les filières de recrutement les plus dynamiques sont l’informatique, les télécoms, la banque, l’assurance et la finance. Les grandes banques européennes et marocaines, les groupes officiant dans les nouvelles technologies misent sur les MRE formés dans les écoles et entreprises occidentales. « Les étudiants marocains en France n’ont aucun problème pour trouver des débouchés. On vient même souvent les recruter sur les bancs de l’école », explique Patrick, « chasseur de têtes » pour les grandes entreprises. Les salaires sont de 30 % à 50 % moins élevés au Maroc, mais le coût de la vie et du logement est nettement plus intéressant. Selon une étude récente de Maroc-Entrepreneurs, association regroupant 7 000 étudiants installés à l’étranger, 62 % des jeunes diplômés sont prêts à accepter un salaire mensuel de départ inférieur à 15 000 DH (1 300 euros).
Phase d’adaptation
Nombre de tentatives de retour se soldent néanmoins par des échecs. Ainsi de celle de Mostafa Ouezekhti, le premier député libéral d’origine maghrébine en Belgique, aujourd’hui reconverti dans la coopération financière Nord-Sud au sein de la société belge d’investissement BIO. Après avoir lancé les premières filiales de la Wafabank en Belgique, ce brillant MRE décide, en 1989, de s’installer avec femme et enfants à Casablanca, où il rejoint le siège du groupe. Mais ses attentes seront vite déçues. « Je voulais des responsabilités, on ne me proposait que des stages d’adaptation. Je devais prendre le temps de comprendre les grandes mouvances décisionnelles au Maroc, mais j’étais jeune et impatient », explique-t-il. Il claque alors la porte de la banque pour diriger le département marketing de la Compagnie marocaine de navigation, où il s’épanouit dans la marine marchande. Mais sous la pression d’une épouse qui vit mal le « choc culturel », il renonce à son pays natal en 1992 et retourne à Bruxelles.
La préparation constitue un élément clé de la réussite de toute démarche de retour. Maroc-Entrepreneurs rappelle quelques règles de base : bien étudier son avenir professionnel, se faire à l’idée de réintégrer un pays en développement et d’affronter un système administratif inefficace, avoir le cÂur bien accroché et ne pas croire que l’on va révolutionner le pays. La phase d’adaptation dure généralement entre six mois et deux ans. Quelque 60 % des MRE réussiraient leur come-back.
* « On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers ! » répondit Danton à ceux qui lui conseillaient de fuir pour éviter l’échafaud.
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