Le moi et les mots
Pour traduire sa pensée dans une langue qui, prise telle quelle, exprime un autre monde que le sien, Césaire crée son propre langage. Par le jeu de phrases éclatées, brisées, voire inachevées, usant et abusant des répétitions, défiant les règles de la ponctuation, il bouscule la syntaxe du français. Mais ce qui frappe le plus, c’est le vocabulaire. Césaire utilise à la fois des mots familiers et des mots du vieux français, des termes savants issus des domaines les plus divers (médecine, zoologie, géologie, botaniqueÂ), et d’autres termes courants mais spécifiques à l’environnement antillais ou de l’Amérique tropicale. Dans ce dernier cas, les exemples pullulent : sapotilles, pouture, caïmitier, macouba, tapaya, urubuÂ
Il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Quand on tombe sur « face de puits » dans Les Armes miraculeuses, on ignore en général que « puits » est une version archaïque de « puant ». Césaire joue en permanence sur l’ambivalence des termes. Dans Soleil cou coupé, il parle de « demeure faite de crotte de poule ». Rien à voir avec les gallinacés La crotte de poule est la fleur d’une plante, la balsamine.
Tout l’art de Césaire consiste à juxtaposer des termes appartenant à des registres lexicaux que rien, a priori, ne rapproche : « le bulbe tératique (du grec teratos, ÂmonstreÂ) de la nuit », « la mort est un patyura (nom d’un cochon d’Amérique) ombrageux », pour ne prendre que deux exemples dans le Cahier d’un retour au pays natal. C’est pour une bonne part dans ce bouillonnement sémantique que l’Âoeuvre de l’écrivain martiniquais prend sa force poétique.
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