La fin du hold-up ?

Après avoir engagé la révision de plus de soixante contrats miniers, les autorités ont rendu leur verdict en mars. Plusieurs compagnies sont dans le collimateur de Kinshasa.

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 6 minutes.

Lorsque le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, a décidé l’an dernier d’interdire l’exportation de minerais bruts, le plus souvent sortis de mines artisanales exploitées sans autorisation, l’effet a été immédiat. Des dizaines de camions se sont retrouvés bloqués dans Lubumbashi. « Plus de 500 camions quittaient chaque jour la province vers la Zambie. Le Katanga était une vache à lait et perdait quotidiennement 5 000 tonnes de minerais, soit 10 milliards de dollars par an », explique le gouverneur. Poussés par la misère, les creuseurs artisanaux continuent d’alimenter une économie parallèle mais les autorités provinciales semblent décidées à mettre un terme à ce qui s’apparentait à un hold-up à ciel ouvert. Il faut dire qu’après une longue période de repli, l’exploitation industrielle est en phase de relance. En quelques années, les plus grandes compagnies minières internationales ont pris position et constitué des joint-ventures avec l’entreprise publique, la Gécamines. Celle qui fut le fleuron de l’économie congolaise n’avait guère le choix. L’absence d’investissements, la gestion catastrophique et une corruption endémique ont brisé la « Gécamines providence » qui faisait la fierté du pays. De 450 000 tonnes de cuivre en 1984, la production est tombée à 26 000 tonnes, l’appareil industriel est en ruine et l’entreprise plombée par une dette de 2 milliards de dollars.
À l’inverse, les compagnies internationales affichent des ambitions à la mesure du potentiel congolais. La fameuse copper belt (« ceinture de cuivre ») entre Lubumbashi, Likasi et Kolwezi abrite 10 % des réserves mondiales de métal rouge et 34 % de celles de cobalt. Ce magot ne laisse personne indifférent. La forte demande chinoise offre un débouché considérable, et le cours du cuivre a atteint un niveau historique à 8 860 dollars la tonne en mars dernier (+ 240 % en quatre ans). Les investissements miniers au Katanga sont estimés à 2 milliards de dollars et, selon des chiffres de la Banque centrale, la production officielle de cuivre a été de 36 388 tonnes en 2006 (+ 38 % par rapport à 2005) et de 10 849 tonnes pour le cobalt (+ 32 %). À l’échelle du pays, les retombées peuvent être gigantesques. Pour l’heure, le secteur ne représente que 6 % du PIB, qui atteint péniblement 8,5 milliards de dollars, mais la Banque mondiale estime que la valeur brute de la production minière variera entre 2 milliards et 3,8 milliards de dollars par an d’ici à 2017 (entre 20 % et 25 % du PIB) et rapportera à l’État entre 186 millions et 689 millions de dollars de recettes fiscales, contre 27 millions déclarés en 2005 ! « Cette dynamique est réelle, encore faut-il la consolider, explique le dirigeant d’une société minière. Le pays peut miser sur une valorisation de ces gisements pour asseoir son développement économique. Mais pour cela il faut sécuriser les investisseurs, et nous n’en prenons pas encore le chemin », conclut-il, faisant allusion au processus de « revisitation » en cours.

Jouer la transparence
Jouant la carte de la transparence, les autorités ont en effet rendu publiques le mois dernier les conclusions de l’examen effectué sur 61 accords passés entre 2002 et 2006. Le verdict de la commission ad hoc est sans appel : avantages fiscaux considérés comme excessifs, sous-valorisation coupable des actifs, présence trop restreinte des sociétés publiques (Gécamines, Miba et Okimo) au capital des joint-ventures, royalties insuffisantes, non-respect des engagements en termes d’investissements ou de mise en production Aucun des 61 contrats n’a pu être classé A (viable). Tous sont « à renégocier » ou « à annuler ». « Le gouvernement entend désormais assurer une gestion efficiente et un contrôle adéquat du secteur minier afin que les mines congolaises profitent pleinement et réellement à la nation congolaise », se justifie la commission. « L’objectif n’est pas de résilier ces contrats mais de les réajuster », tempère le ministre des Mines, Martin Kabwelulu, alors que les opérateurs sont tenus de répondre « aux exigences ou recommandations » du gouvernement sous peine de voir leurs positions sérieusement menacées. Et, pour certains, les négociations s’annoncent délicates.
Après avoir acquis en 2006 Phelps Dodge, détenteur du permis, l’américain Freeport-McMoRan, deuxième producteur mondial de cuivre, se voit contraint de redéfinir les contours de son association avec la Gécamines pour développer le fabuleux gisement (cuivre et cobalt) de Tenke Fungurume, près de Kolwezi, dont le potentiel de production est de 400 000 tonnes par an d’ici à 2012. Grâce à 630 millions de dollars d’investissements, l’entrée en production est annoncée à la mi-2009 mais, d’ici là, Kinshasa demande que la participation de la Gécamines passe de 17,75 % à 45 % et réclame le versement d’un pas-de-porte de 250 millions de dollars. Une nouvelle donne qui pourrait inciter Freeport à ralentir, voire interrompre, la mise en exploitation du site. Autres exemples : la commission propose une résiliation de la convention qui lie l’État et l’australien Anvil Mining sur la mine de Dikulushi, près de la frontière zambienne, alors que des investissements et la production sont déjà engagés ; le diamantaire sud-africain De Beers doit modifier le joint-venture constitué avec la Miba en lui versant en royalties 1 % sur le chiffre d’affaires, au lieu de 1 % prévu sur les revenus ; le sud-africain AngloGold Ashanti, numéro trois mondial de l’or, est prié de laisser à la société publique Okimo une part de 49 %, au lieu de 13,78 %, dans le capital de la coentreprise dédiée au développement du gisement de Kilo, en Ituri (nord-est du pays). La commission se prononce aussi pour une résiliation de la convention obtenue en 1990 alors que plusieurs dizaines de millions de dollars ont été investis et que la production doit débuter en 2011. Pourtant considéré comme un proche du pouvoir, l’entrepreneur belge George Forrest voit également certaines de ses positions menacées. Après les deux permis « Dima », près de Kolwezi, récupérés par la Gécamines pour être affectés à ses partenaires chinois dans le cadre de l’accord avec Pékin (voir p. 67), Kinshasa souhaite que la mine de cuivre de Musoshi soit restituée à la société publique Sodimico.

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Dénoncer les contrats léonins
« Je ne suis pas certain que la commission ait parfaitement compris l’économie minière. On ne peut résumer la situation en opposant les méchants miniers qui pilleraient les ressources et l’État vertueux qui défendrait l’intérêt général. Ces joint-ventures ne prévoient aucun engagement financier des entreprises publiques et, de leur côté, les privés valorisent les gisements et créent de la richesse. Cet argument doit être entendu. L’exploitation demande de gros investissements, il est donc normal que la fiscalité prenne le risque minier en considération », résume un opérateur s’interrogeant sur les intentions de Kinshasa. Plusieurs points demandent en effet éclaircissement. Depuis l’adoption du code minier en 2002, 4 542 permis d’exploration ont été délivrés (soit 33,8 % du territoire national) à 642 sociétés. Seuls 411 d’entre eux ont été officiellement transformés en permis d’exploitation. « Curieusement, les autorités se sont attardées sur 61 contrats, dont neuf projets sont véritablement passés en phase de production. Cette focalisation est contre-productive car le flou juridique suscité risque de refroidir les investisseurs. Les compagnies internationales s’interrogent sur la capacité de l’État à tenir ses engagements », menace à demi-mot le représentant d’une société minière. « Kinshasa est dans son bon droit en dénonçant les contrats léonins, mais les compagnies ont une arme redoutable : mettre sur la place publique les conditions dans lesquelles les négociations se sont déroulées ces dix dernières années. Et certains pourraient être inquiétés », précise un observateur.
D’aucuns font remarquer que d’autres accords mériteraient la même attention pour rendre ce grand ménage parfaitement crédible et efficace. Ainsi, l’Israélien Dan Gertler, via sa société Emaxon, a obtenu un très avantageux contrat d’exclusivité sur 88 % de la production de diamants de la Société minière de Bakwanga (Miba). Parallèlement, l’exploitation artisanale, qui représente les trois quarts de la production nationale de gemmes, est loin de respecter toutes les normes de transparence. Or, si les multinationales, solvables, sont dans le collimateur de l’État, le pillage en règle des ressources se poursuit en toute impunité dans les Kivus et en Ituri. « Les griefs présentés par la commission sont une base de négociations mais il ne s’agit pas d’une position figée », espère le représentant d’une multinationale. Un panel constitué de huit membres du gouvernement est à présent chargé d’étudier les notifications de la commission et les réponses argumentées des opérateurs. Sans doute une façon de rechercher des compromis, au cas par cas.

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