Jimmy Carter
Ancien président des États-Unis (1977-1981), artisan des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte
L’emmerdeur Vous connaissez ce film où un personnage de paumé (Jacques Brel) multiplie les maladresses, empêchant son compère (Lino Ventura) de commettre un meurtre. L’humour et la gaucherie en moins, le périple de Jimmy Carter au Moyen-Orient fait penser à cette comédie. Arrivé en Israël le 13 avril, l’ancien président américain, 83 ans, reste dans la région jusqu’au 21. Il a prévu de se rendre dans les territoires palestiniens, en Égypte, en Syrie, en Jordanie et en Arabie saoudite. Sa visite embarrasse les dirigeants de Jérusalem, qui le lui ont bien fait savoir, quitte à violer les règles élémentaires de la courtoisie diplomatique. Le président de l’État, Shimon Pérès, l’a reçu en catimini en expliquant, avant et après l’audience, que c’était pour le « réprimander ». Ehoud Olmert, le Premier ministre, s’est carrément défaussé. Et lorsque des personnalités de premier plan ont écrit à celui-ci pour lui dire qu’il commet la « folie de sa vie » et dessert les intérêts du pays en Amérique, il s’est justifié lamentablement en prétendant qu’il n’avait pas reçu de demande d’entrevue. Ehoud Barak, le ministre de la Défense, a admis, lui, que Carter l’avait sollicité, mais qu’il n’avait pas le temps. Plus grave, le Shin Beth (sécurité intérieure) a refusé de collaborer avec l’US Secret Service, qui assure la sécurité des anciens présidents américains – et celle des responsables israéliens en visite aux États-Unis.
C’est la rencontre programmée avec Khaled Mechaal, le président du bureau politique du Hamas, installé à Damas, qui a provoqué la colère israélienne. C’est assurément le moment fort de la tournée de Carter. Il l’avait annoncée avant d’entamer son voyage et l’a encore justifiée en Israël. Ses arguments tombent sous le sens : aucun règlement de paix n’est possible sans le Hamas. En rencontrant les dirigeants de l’organisation islamiste lors des élections palestiniennes en 2006, il avait constaté qu’ils faisaient preuve de « souplesse ». Il veut vérifier s’ils sont toujours dans les mêmes dispositions. Précision de taille : la libération du soldat israélien Gilad Shalit, capturé au mois de juin 2006 (et de deux autres militaires détenus par le Hezbollah), sera au centre des entretiens avec Mechaal. À toutes fins utiles, Carter se propose de jouer les honnêtes courtiers et de communiquer ce qu’il aura entendu aux responsables américains, voire israéliens.
Tant de bonne volonté ne semble pas ébranler les dirigeants de Jérusalem, qui ont interdit à Carter de se rendre à Gaza. Pour se justifier, les Israéliens invoquent son livre publié en 2006, Palestine : Peace, not Apartheid (Palestine : la paix, pas l’Apartheid). L’ouvrage lui avait valu les « fatwas » des lobbies, et des encarts avaient été diffusés dans la presse le traitant d’« antisémite ». En vérité, la réalité dans les Territoires n’est pas moins choquante que la situation en Afrique du Sud du temps de la ségrégation. Dans un éditorial en date du 15 avril, Haaretz écrit : « Israël n’est pas disposé à admettre une telle comparaison alors même que la situation l’exige. Comment est-il possible de s’indigner lorsqu’un observateur étranger – de surcroît ancien président des États-Unis – qui suit de très près les affaires internationales, considère que les routes séparées réservées aux Juifs et aux Arabes, l’absence de liberté de circulation, l’occupation des territoires palestiniens et leur confiscation et, surtout, la poursuite de la colonisation, en contradiction avec les engagements signés par Israël, sont autant de réalités proprement insupportables ? » L’article est intitulé : « Notre dette à l’égard de Jimmy Carter. » Rappelant que c’est grâce à lui qu’Israël avait pu s’engager sur la voie de la paix avec le monde arabe, il conclut : « Pour le traité de paix avec l’Égypte, il mérite pour le restant de sa vie le respect qu’on doit aux grands hommes. »
Comment l’ancien président a-t-il réagi aux avanies israéliennes ? Avec sérénité et décontraction. Visiblement, il ne se faisait pas d’illusions. « Je suis déçu, a-t-il déclaré sobrement, mais je ne suis pas découragé. » Israël étant une démocratie, a-t-il expliqué, « je n’ai pas besoin de rencontrer les hauts dirigeants pour connaître les sentiments du pays ». Carter s’est entretenu avec Yossi Beilin, l’artisan, avec Yasser Abed Rabbo, de l’Initiative de paix de Genève, au mois de décembre 2003. Il a reçu également la famille de Gilad Shalit, qui attend beaucoup des discussions de Damas.
Mais quelle a été l’attitude de l’administration Bush ? D’abord prudente, elle a dû mêler sa voix à celle des Israéliens pour désavouer le projet de rencontre avec le chef du Hamas. Il faut dire que Carter ne lui a pas facilité la vie. Il a révélé qu’il a eu des entretiens au département d’État et que « personne ne l’y a dissuadé de faire son voyage ». La Maison Blanche a donc tenu à préciser que l’ancien président agissait « à titre personnel ». À vrai dire, Carter dérange les uns et les autres parce qu’il a raison. Les Israéliens dénoncent ses accointances avec le Hamas, mais ils sont eux-mêmes en train de traiter avec le même Hamas pour conclure une trêve et arrêter la pluie de roquettes sur leur territoire. Ils n’ont pas le choix s’ils veulent éviter une réoccupation de Gaza, au prix d’un carnage coûteux.
Aujourd’hui, les États-Unis vivent à l’heure de l’élection présidentielle et les candidats de tous bords se doivent de gagner les faveurs d’Israël. Mais demain, quel que soit l’hôte de la Maison Blanche, il devra s’occuper du lourd héritage de George W. Bush au Moyen-Orient. Et l’on découvrira peut-être que ce qu’a fait Carter en quelques jours aura permis d’atténuer, autant que faire se peut, le bilan désastreux de Bush au Moyen-Orient. Le Prix Nobel de la paix recommande en effet d’appliquer des règles simples. D’abord, parler avec toutes les parties : le Hamas, la Syrie, l’Iran. Ensuite, associer les États-Unis. À Camp David, en 1978, les négociations entre l’Égypte et Israël ont abouti parce que l’Amérique s’y était totalement impliquée. « J’ai rédigé, rappelle Carter, chaque mot des propositions que nous avons faites. »
L’ancien président dérange d’autant plus qu’il n’est pas seul. Comme le révèle le site Rue89, il fait partie du club des Elders (anciens), qui regroupe des hommes et des femmes d’influence qui se sont mobilisés pour résoudre certaines crises. Parmi eux, Nelson Mandela, Mary Robinson, ancienne présidente irlandaise, Kofi Annan, Muhammad Yunus, l’inventeur du microcrédit, ou encore Lakhdar Brahimi, le diplomate algérien.
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