[Tribune] Présidentielle en Algérie : Ali Benflis, candidat hirakocompatible
Jusqu’à présent, il faut le reconnaître, Ali Benflis n’est pas très populaire. Il demeure critiqué pour avoir été un « agent du système ». Injuste procès.
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Sébastien Boussois
Docteur en sciences politiques, spécialiste des relations euro-arabes et collaborateur scientifique du Cecid (Université libre de Bruxelles), auteur d’« Émirats arabes unis, à la conquête du monde » (éd. Max Milo).
Publié le 29 novembre 2019 Lecture : 3 minutes.
Les cinq candidatures validées par l’Autorité nationale indépendante des élections (Anie) font consensus : le Hirak n’en veut pas. La présidentielle algérienne du 12 décembre devrait être marquée par une faible participation. Autant dire que le futur chef de l’État, quel que soit son score, entamera son mandat avec une faible légitimité qu’il lui faudra renforcer une fois installé à El-Mouradia.
Cela nécessitera, dès les premiers jours, des décisions fortes et courageuses, dans un contexte régional extrêmement tendu. Ce n’est ni plus ni moins que la transformation complète du système depuis le haut qui est exigée. Un horizon inatteignable pour un amateur ou un novice.
Dans le même temps, le doux rêve d’une révolution lente, sans construction, ni structuration, ni compromis, semble voué à l’échec. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’ensemble des mouvements depuis 2011 en Méditerranée. Tous ont fini par sombrer, à des degrés divers, dans la désillusion. Aussi, au sein même du Hirak algérien, certains s’interrogent : s’opposer jusqu’à quand ? À quelle fin et avec qui ? Surtout, comment entretenir le mouvement et cristalliser ses attentes en une force politique opérationnelle ?
À la croisée des chemins, les manifestants doivent prendre garde à l’enlisement, ou au retour des reliques du régime. Tourner la page au plus vite, avec une présidentielle imparfaite, certes, mais qui a le mérite de proposer une issue.
Garantie de renouvellement
Biographe d’Ali Benflis, je crois qu’il peut être l’homme de la situation. L’enfant de Batna, ancien Premier ministre et opposant principal à Abdelaziz Bouteflika depuis 2004, incarne plus que tout autre les revendications de la rue. En refusant de participer à la mascarade électorale d’avril, il a précipité la déliquescence du système.
Comblant sa distance avec le peuple, il a multiplié les meetings grâce à l’implantation de son parti – Talaie El Huriyet, présent dans 48 wilayas – et affiné son programme, dont les bases ont été jetées, dès 2004, au contact du terrain. Son âge, 75 ans, est paradoxalement la garantie du renouvellement réclamé par la rue. Sa maturité est l’assurance d’un mandat unique de raison et de transition.
Ali Benflis est pour l’ouverture démocratique, le multipartisme, la lutte contre la corruption, le soutien aux jeunes et à l’éducation, la revalorisation de la place des femmes, la diversification de l’économie.
Chaoui – Berbère des Aurès – , il est le candidat de la diversité culturelle et ethnique. Il plaide pour une réforme fiscale, le développement du tourisme, la réinscription de l’Algérie dans le concert des nations et le réenracinement du plus grand pays du continent dans son africanité. J’ai pu le constater lors de nombreux entretiens, Ali Benflis a aussi une fine connaissance de la géopolitique internationale et des enjeux contemporains. Le rétablissement des relations avec le Maroc et la résolution de la question du conflit au Sahara, en bonne intelligence avec Rabat, est l’une de ses priorités. L’Algérie ne peut plus raisonner en vase clos.
Donner des gages
Fils de chahid – un combattant de l’indépendance qui y a laissé la vie – , ce juriste et défenseur des droits de l’homme promet aussi des changements dans la gouvernance. Remettre le mérite au cœur des politiques. C’est la condition pour relancer l’économie, apaiser la société et ouvrir le pays vers la démocratie.
Il compte mettre à jour le logiciel militaire en place depuis l’indépendance, revoir le rôle de l’armée sans réduire pour autant l’engagement algérien dans la lutte antiterroriste. Depuis quand, dans un Maghreb en transition, en faut-il autant ? Le nouveau président tunisien, Kaïs Saïed, professeur de droit, sans expérience ni parti, était encore inconnu il y a six mois. Les Tunisiens l’ont élu, sans programme précis.
Jusqu’à présent, il faut le reconnaître, Ali Benflis n’est pas très populaire. Il demeure critiqué pour avoir été un « agent du système ». Injuste procès. Premier ministre, il ne le fut que deux ans, dans un contexte unique post-décennie noire. Être deux fois candidat malheureux à la présidentielle ne fait pas de lui un lièvre d’Abdelaziz Bouteflika.
Mais la critique persiste, et il lui faudra pendant sa campagne donner des gages. Dans le nouveau système, nul ne pourra plus décider seul. Personne ne l’accepterait. Aguerri, Benflis propose de consulter dès son investiture les forces vives de la nation, en convoquant des législatives libres. C’est l’assurance pour le Hirak de porter ses représentants et ses revendications jusqu’à l’Assemblée.
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