fin des combinazione ?

Victoire de l’inusable Silvio Berlusconi… Défaite honorable du Parti démocrate de Walter Veltroni… Et si le fait marquant des élections législatives des 13 et 14 avril était la quasi-disparition des petites formations et l’émergence du bipartisme ?

Publié le 21 avril 2008 Lecture : 5 minutes.

Son purgatoire aura duré vingt mois. Le temps pour Romano Prodi, son prédécesseur socialiste, d’amonceler sur sa tête une impopularité qui a progressivement privé son gouvernement de toute possibilité d’action, à l’image des monceaux d’ordures asphyxiant la ville de Naples abandonnée par les pouvoirs publics à un angoissant face-à-face avec la mafia.
Le temps, aussi, pour son challengeur, le maire de Rome Walter Veltroni, de mettre fin à l’alliance ingérable des douze partis de la gauche afin d’aller à la bataille en conduisant le seul Parti démocrate (PD), ratissant large depuis les ex-communistes jusqu’à la « Marguerite » de la démocratie-chrétienne, à l’exclusion, tout de même, des restes de la gauche radicale.
Le temps, enfin, pour Silvio Berlusconi, de se défouler, déguisé en danseur berbère dans les riads de Marrakech après son échec électoral d’avril 2006, de faire procéder à quelques menus travaux de restauration anatomique (pose d’un stimulateur cardiaque en novembre 2006, implants capillaires et autres retouches chirurgicales d’usage), de reprendre ses affaires en main (le palmarès Forbes l’ayant fait dégringoler au troisième rang des hommes les plus riches d’Italie), d’anesthésier les procédures judiciaires en cours qui auraient risqué de réduire sa liberté de manÂuvre, et, surtout, de convaincre son coéquipier de droite, Gianfranco Fini, le leader d’Alliance nationale, de le rejoindre pour passer sous son commandement dans une nouvelle formation, le Peuple des libertés (PDL).

Mission accomplie
Depuis les élections des 13 et 14 avril, c’est plié : Il Cavaliere, que des sondages menaçaient d’une mission impossible du fait de la fragilité probable de sa majorité, l’emporte très confortablement, à la Chambre des députés comme au Sénat, avec 9 % environ de bulletins de plus que la formation rivale de la gauche centriste. Un résultat assez net pour rassurer la Bourse et les milieux d’affaires. D’autant que les communistes, incapables d’obtenir le quorum nécessaire pour entrer au Parlement – ils plafonnent à 3,21 % des voix avec leurs alliés Verts -, disparaissent de l’Assemblée, ce qui représente un séisme au moins mémoriel dans la patrie d’Enrico Berlinguer et de Palmiro Togliatti. Mission accomplie, donc.
Avec plus de 8 % des voix, seule la Ligue du Nord cryptofasciste, europhobe et hystériquement xénophobe d’Umberto Bossi réussit à tirer son épingle du jeu dans une élection marquée par le « vote utile » et la bipolarisation. Bossi s’étant empressé de réitérer sa confiance à son « ami Silvio », la Ligue fait donc davantage figure de poignard accroché à la ceinture du futur Premier ministre que d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de sa tête Comme toujours en pareil cas, la réduction de l’éventail des choix a eu pour conséquence une participation elle aussi quelque peu resserrée. Mais, dans une Italie où les abstentions sont généralement très peu nombreuses, une augmentation de 3,5 % de leur taux, comme on l’a observée, permet encore d’atteindre, avec un peu plus de 80 %, un niveau de participation de nature à faire saliver la plupart des démocraties. Et ce n’est pas le succès à la Coluche du comique « antipolitique » Beppe Grillo ou tel livre dénonçant les privilèges des élus qui peuvent masquer l’évidence : les Italiens ont bel et bien choisi d’être représentés par la droite décomplexée du « Revenant ».
Milliardaire, fils d’une femme de ménage et d’un employé de banque, l’inusable septuagénaire Silvio Berlusconi, farfelu (l’Italie n’ignore plus rien de ses fantaisies sexuelles), scandaleux (il veut que des psychiatres fassent passer des « tests mentaux » aux magistrats), extraverti, gaffeur comme pas un, le sourire peint sur des canines toujours aussi affûtées, va devenir président du Conseil pour la troisième fois. Ce qui exclut toute possibilité de malentendu avec ses concitoyens. Pourtant, quoi qu’en laisse penser l’éternel retour du vieux cheval de la politique, le dernier scrutin n’en tourne pas moins d’un seul coup plusieurs pages de ce roman aux mille intrigues qu’est l’histoire de la République italienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
D’abord, si Berlusconi a ressuscité, un autre leader est né dans le camp d’en face. De vingt ans plus jeune, plus effacé en apparence mais tout aussi pugnace : Walter Veltroni, qui, pour avoir été défait cette fois-ci par les urnes, n’en est pas moins conforté à la tête de sa nouvelle formation, le PD, par plus d’un tiers des électeurs, six mois seulement après la constitution de celui-ci. Ancien directeur du quotidien communiste L’Unita, frotté de communication et grand amateur, à travers le cinéma, des mythologies américaines qui lui font louer tant Easy Rider que l’épopée d’un Barack Obama, dont il partage le slogan (« Yes, we can ! »), ne perdant aucune occasion d’exhiber un amour de l’Afrique qui ne va toutefois pas jusqu’à l’inciter à lever les barrières de l’immigration, Veltroni est un personnage complexe propre à incarner un « après » de la vie politique italienne, dont le rêve serait de digérer les contradictions du passé.
Ainsi déclare-t-il vouloir rester à gauche tout en jetant aux orties la doctrine qui l’y avait conduit dans ses jeunes années, et faire du social sans braquer ses amis grands patrons. On a pu constater durant cette campagne qu’il préférait de loin l’esquive à la confrontation. Plus que la victoire, il affecte de rechercher la solution des conflits. Connu pour parsemer ses phrases d’un « ma anche » (« mais aussi ») qui adoucit d’une réserve chacune de ses affirmations, il est l’homme du « buonismo », adepte de la « bienveillance » tous azimuts et de l’intellectuellement correct.

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Modèle européen
Mais ce n’est pas tant dans les personnes – quoi qu’il advienne des « changements » claironnés de Berlusconi ou du destin politique de Veltroni – que résident les profondes mutations affectant désormais la vie politique italienne. Après avoir été pendant des lustres l’emblème du chaos, il semble que Rome ait enfin décidé de tourner le dos à l’émiettement des partis, source d’innombrables combinazione, pour s’acheminer vers le bipartisme, et ce avant même une éventuelle réforme tendant à alléger les contraintes régionales du système bicaméral. À 70 %, les électeurs italiens ont choisi de se porter sur l’une ou l’autre des grandes formations en lice. Reste à faire en sorte que ce mouvement vers la concentration, conforme, pour l’heure, au modèle européen, ne dérape pas en accordant le monopole du pouvoir à un président du Conseil richissime qui contrôle, en outre, la quasi-totalité des médias nationaux !

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