Bana ya Congo*
Comment transformer un cercle vicieux en un cercle vertueux ? Sept ans après son arrivée au pouvoir, un an et demi après son élection, Joseph Kabila en est encore à se poser cette question. Après un quart de siècle de dépérissement continu, la mise en place d’un cadre politique et institutionnel qui permette au Congo de tirer parti de ses atouts économiques exceptionnels – seules la Russie et peut-être l’Afrique du Sud peuvent comparer leur patrimoine géologique au sien – est enfin prête. Mais il y manque toujours l’essentiel : une révolution des mentalités. Pour les 60 millions de bana ya Congo, classe politique comprise, la culture de l’État est encore une culture de la débrouille, le civisme se confond désespérément avec le sentiment que l’on peut toujours tricher avec les règles – et la corruption, démocratisée jusqu’au bas de l’échelle des fonctionnaires, est souvent un moyen de survie. Sous Mobutu, on bradait l’usufruit. Sous Kabila père, les actifs. Désormais, si la voracité manducatoire des prédateurs ne trouve plus à ronger les proies goûteuses d’autrefois, leur appétit demeure intact. Ne dit-on pas, à Kinshasa, que la vie ça ne se gagne pas, ça se vole ?
Ce constat peut paraître dur, voire caricatural, mais il explique en grande partie pourquoi ce président de 37 ans et son gouvernement semblent peiner à amorcer la spirale du développement. Si Joseph Kabila, projeté au pouvoir un jour de janvier 2001 sans expérience, sans hommes à lui et sans parti, est longtemps demeuré prudent de par la précarité de sa position, il l’est toujours aujourd’hui pour une autre (bonne) raison : le Congo, que Frantz Fanon qualifiait de « gâchette » du continent, est d’autant plus fragile, voire explosif, que le nationalisme des Congolais est avant tout d’ordre onirique. Ils rêvent de ce qu’ils pourraient et devraient être – individuellement et collectivement riches – tout en ressentant comme une fatalité leur impuissance à prendre en mains leur propre destin. Autant ils se montrent impatients face à la lenteur des résultats escomptés, autant ils ne font rien ou presque pour aider ceux de leurs compatriotes qui commencent à progresser – toute réussite, même socialement utile, étant perçue comme suspecte, menaçante pour les droits des autres, intolérable au regard de l’obligation d’être égaux, y compris dans la douleur.
Aux cinq grands chantiers prioritaires qu’il s’est promis de mettre en Âoeuvre avant la prochaine élection présidentielle, en 2011, Joseph Kabila est donc contraint d’en ajouter un sixième, fondamental, dont dépendra l’éveil (ou la rechute) du géant. Transmettre à ses concitoyens la seule maladie contagieuse contre laquelle ils ne doivent surtout pas être vaccinés : la fierté d’être congolais.
* Enfants du Congo (en lingala).
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