Un cas préoccupant mais pas désespéré

Les patients se plaignent de la qualité des soins, et les professionnels dénoncent les retards scientifique et matériel. La réflexion engagée par le gouvernement devrait déboucher sur des mesures concrètes.

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

La saison estivale est encore loin d’être ouverte, mais Zeralda, station balnéaire à l’est d’Alger, accueille déjà grand monde, ce 9 mars. Oh, pas des vacanciers, mais plus de trois cents responsables du secteur de la santé réunis en séminaire. Le Pr Abdelhamid Aberkane, ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, leur expose sa vision du développement des soins de santé de base – les structures de proximité – et dresse un état des lieux du secteur. Il parle de « bouillonnement positif » et s’en félicite. La santé en Algérie a, il est vrai, connu une période difficile, et a fait l’objet, comme les autres secteurs sociaux, de restrictions liées à l’application du plan d’ajustement structurel de l’économie et à la baisse de ses ressources. Retour sur les quarante dernières années.
Conçu dans le cadre de l’idéologie socialiste qui a guidé l’Algérie depuis l’indépendance, en 1962, jusqu’à la fin des années quatre-vingt, le système de santé algérien est fondé sur le principe de la solidarité et financé par la rente pétrolière. Cela a permis à la majorité de la population de bénéficier gratuitement de soins et d’actes de prévention. En 1964 sont mis en place les premiers programmes nationaux de prévention de la tuberculose, du paludisme et du trachome. La vaccination élargie est obligatoire dès 1969, cinq ans avant que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne lance un programme en ce sens.
Sauf que la décennie quatre-vingt-dix, marquée par le terrorisme et la crise économique, a tout remis en cause. Malgré une certaine amélioration des indicateurs de morbidité (le pourcentage de malades par rapport au chiffre de la population) et de mortalité, il est aujourd’hui fréquent d’entendre les bénéficiaires comme les professionnels de la santé se plaindre d’une dégradation de la qualité des soins. Les premiers font valoir avec force leur droit à la santé et aux soins de qualité. Les seconds exigent que leur corps bénéficie d’une plus grande considération et d’un meilleur environnement de travail, et estiment qu’ils ont pris du retard tant sur le plan scientifique que matériel.
L’Algérie étant moins préoccupée par les questions sécuritaires, le gouvernement d’Ali Benflis, formé en 2000, a inscrit la réforme hospitalière parmi ses priorités. Cette réforme, peut-on lire dans son programme d’action, « se doit, tout en veillant à la consolidation des acquis que sont la solidarité, l’équité et l’accessibilité aux services de soins, d’apporter les correctifs indispensables pour une réelle adaptation des structures de santé aux changements socio-économiques que connaît le pays ainsi qu’à l’évolution démographique et épidémiologique ».
Quelle est, justement, cette évolution ? Un rapport publié en avril 2002 par le ministère de la Santé constate que la morbidité reste marquée par la persistance des maladies transmissibles, malgré la diminution de leur poids dans le système de santé en raison des progrès considérables enregistrés par la vaccination obligatoire – contre la variole, la diphtérie, la coqueluche, le tétanos, la poliomyélite et, depuis cette année, l’hépatite B. Les cas de diphtérie, de coqueluche et de tétanos sont rares. La poliomyélite est quasiment éradiquée, le dernier malade signalé remontant à 1996. La rougeole est en nette régression : 5,3 cas pour 100 000 habitants en 2000, contre 7,8 en 1999, et aucun décès n’a été enregistré depuis 1998. Le choléra n’a pas été diagnostiqué depuis 1996.
Les maladies à transmission hydrique (la typhoïde, les toxi-infections alimentaires et collectives, les maladies diarrhéiques de l’enfant et les zoonoses), typiques du sous-développement, continuent, elles, à affecter la santé des Algériens. Au rayon des affections sexuellement transmissibles, l’Algérie est considérée comme un pays à faible taux de prévalence, avec 527 cas de sida et 1 067 séropositifs au 31 décembre 2001, chiffres avancés par les autorités. Enfin, on notera que les hépatites virales et les méningites bactériennes sévissent toujours, que si la tuberculose a régressé entre 1966 et 1990, sa forme extrapulmonaire est en augmentation depuis 1990 (18 328 cas en 2001).
Aujourd’hui, les affections chroniques les plus fréquentes – et en progression – sont le cancer, le diabète, les maladies rénales et les maladies de l’appareil respiratoire, ces dernières étant responsables de 33 % des décès déclarés. Le nombre de diabétiques se situerait entre 1,2 million et 1,4 million en 2000. Pour ce qui est du cancer, l’Algérie aurait atteint le niveau des pays de l’Europe du Sud. En 2000, un décès sur trois est attribué aux maladies cardio-vasculaires. Bref, depuis les années quatre-vingt-dix, l’Algérie est touchée par les maladies des pays développés. On estime par ailleurs que 20 % de la population souffre d’hypertension artérielle, et 2 % d’asthme. À l’horizon 2010, plus de 3 millions de personnes seraient diabétiques, 10 000 auraient à se plaindre d’insuffisance rénale, on compterait entre 15 000 et 30 000 nouveaux cas de cancer chaque année, au moins 170 000 cas d’affections mentales, et près de 2 millions de handicapés… Le vieillissement de la population va se traduire par une augmentation des pathologies liées à l’âge (affections cardio-vasculaires, cancers…) et par l’émergence d’une pathologie gériatrique. D’un autre côté, les Algériens se marient moins jeunes, ont davantage recours au planning familial, et ont donc des enfants plus tard. Ce qui exige une meilleure qualité et une plus grande proximité de la surveillance des grossesses et des accouchements. Selon un rapport du Conseil national de la réforme hospitalière, publié en février 2003, il est fortement probable que les structures de santé seront encore plus sollicitées dans les années à venir.
C’est précisément à la réforme hospitalière que s’attelle le gouvernement. Largement débattue par tous les acteurs du secteur, la réflexion doit être affinée dans les prochains mois. Parallèlement, un avant-projet de loi sanitaire a été soumis à concertation en février dernier. Sous-jacents à ces deux textes se posent les problèmes du financement du système de santé, de l’adaptation à l’économie de marché avec le rôle grandissant du secteur privé, et de l’élaboration d’une politique du médicament privilégiant l’usage des génériques (voir pp. 62-63). Sans attendre le fruit des réflexions menées, les autorités ont décidé de mettre en oeuvre les mesures les plus urgentes, qui bénéficient du soutien des acteurs concernés. Il s’agit de la réhabilitation des structures de santé de base et du « plan spécial hôpitaux », portant sur la modernisation des établissements. Ce plan va faire l’objet d’un financement spécial, actuellement à l’étude. Le gouvernement a par ailleurs décidé de prendre en charge totalement la dette des hôpitaux (14 milliards de dinars algériens, soit 169 millions d’euros), ce qui devrait leur permettre de libérer des fonds pour redevenir performants. Cette dette sera probablement effacée à la fin de l’année, et non pas en 2005 comme cela était initialement prévu. Il a également engagé des études pour créer, au centre et à l’est du pays, de nouveaux centres hospitalo-universitaires (CHU) semblables à celui d’Oran, qui doit être opérationnel à la fin de 2003. Autres décisions : renforcer la lutte contre le cancer, créer un établissement national des greffes et des transplantations d’organes et réduire, progressivement, le nombre de malades soignés à l’étranger et pris en charge par la Sécurité sociale.
Évidemment, tout cela a un coût. Dans les années quatre-vingt, les dépenses de santé représentaient 6 % du Produit intérieur brut (PIB). En 2000, elles se sont situées à 3,2 % du PIB. Pour 2003, le gouvernement a augmenté de 10 % le budget de la santé (82 milliards de dinars pour le fonctionnement et 11 milliards de dinars pour les équipements). Ces dépenses devraient donc bientôt représenter près de 4 % du PIB. Le président Bouteflika avait, l’année dernière, dans le cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), fixé l’objectif à 5 % au moins. Selon le ministre de la Santé, il pourrait être atteint assez rapidement, peut-être en 2004.

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