Trois semaines à la Maison Blanche

Comment George W. Bush et ses proches conseillers ont vécu les vingt et un jours de guerre. Récit.

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 7 minutes.

Matinée du 19 mars, salle de conférences de la Maison Blanche, la Situation Room, juste quelques heures avant la fin de l’ultimatum lancé par le président George W. Bush à Saddam Hussein. Bush a réuni un conseil de guerre pour un dernier examen du plan d’invasion de l’Irak. Aucune objection. « Execute » : Bush donne le feu vert au général Tommy Franks, qui obtempère de son QG du Qatar et fait le salut militaire sur l’écran vidéo. Deux minutes de silence. On entendrait une mouche voler. Le secrétaire d’État Colin Powell pose sa main sur celle du président. Bush a franchi le Rubicon.
Combien de temps cette guerre va-t-elle durer ? Combien fera-t-elle de morts ? Saddam fera-t-il usage d’armes chimiques ou biologiques ? Quelles seront les conséquences sur l’avenir du Moyen-Orient ? Sur les relations avec les alliés ? Sur Bush, qui joue sa réélection en 2004 à quitte ou double sur une victoire rapide ?
Pour le président, c’est la deuxième guerre en deux ans. Mais celle-ci est très différente de l’Afghanistan : 250 000 soldats américains sont mobilisés. Une minorité de leurs compatriotes s’y oppose, mais la plus grande partie de l’opinion mondiale est contre, et certains des plus vieux alliés des États-Unis. Cette guerre d’Irak a aussi des allures de psychodrame familial, Bush II terminant le travail laissé inachevé par Bush I – le fils corrigeant les erreurs du père.
Méthodique et appliqué, George Walker ne change rien à ses habitudes : premiers briefings à 6 heures du matin, réunions du conseil de guerre, exercice physique, prière, coucher tôt, week-end à Camp David. Il laisse le général Franks commander les opérations. Il ne se déplacera que pour aller sur des bases militaires, à l’exception d’un voyage en Irlande du Nord, à Belfast, pour marquer sa solidarité avec son plus fidèle allié, le Premier ministre britannique Tony Blair.
Première entorse aux plans de guerre six heures après le feu vert, le 19 mars : George Tenet, le directeur de la CIA, a appris d’un espion irakien que Saddam devait se trouver dans un bunker du sud de Bagdad, ce soir-là. Il se précipite au Pentagone pour conférer avec le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld et le chef d’état-major, le général Richard Myers. Franks, alerté par la CIA, tient prêts deux chasseurs bombardiers F-117.
À 15 h 30, heure de Washington, Myers et Tenet se retrouvent dans le Bureau ovale avec la conseillère nationale pour la sécurité Condoleezza Rice et le directeur de cabinet de la Maison Blanche Andrew Card Jr. Bush écoute, impassible, les exposés des uns et des autres. Rice rappelle que les Irakiens sont « des maîtres de la propagande et qu’ils mentent effrontément ». Pendant plus d’une heure et demie, on tente d’évaluer les risques que l’information soit erronée et qu’une attaque américaine contre un objectif non militaire fasse des victimes civiles qui seraient utilisées par la propagande irakienne.
À 17 h 12, trois minutes avant la fin du délai imparti par Franks, Bush décide de prendre le risque. À 21 h 30, heure de Washington, le bunker est bombardé. Trois quarts d’heure plus tard, depuis le Bureau ovale, le président prononce une allocution de quatre minutes où il déclare : « Sur mon ordre, les forces de la coalition ont commencé à frapper des objectifs délibérément ciblés d’importance militaire… » Dans les jours qui ont suivi, Bush n’a évidemment pas eu à affronter sa bataille d’Angleterre. Mais il semble qu’il ait réagi avec sang-froid aux fluctuations qui ont marqué la progression des « forces de la coalition » en territoire irakien. Le mercredi 26 mars, par exemple, dans le discours qu’il devait prononcer au Centre de commandement de Tampa, en Floride, il était écrit qu’il se félicitait que les troupes avancent plus vite que prévu. Ce n’est le cas ni à Nassiriya, ni à Bassora. Il improvise : « Le chemin que nous prenons n’est pas facile, il peut être long. » Le vendredi 28 mars, les commentaires du général William Wallace, qui occupe un poste de commandement dans le golfe Arabo-Persique, font la une des journaux : « L’ennemi que nous combattons est un peu différent de celui que nous avions prévu », déclare-t-il. On indique à la Maison Blanche que le président a été « irrité » et qu’il trouve « stupide » de se poser ce genre de questions.
Un peu plus tard, le même vendredi, Bush reçoit des anciens combattants dans la Roosevelt Room. On sait alors que les troupes américaines approchent de Bagdad et on s’attend à une résistance farouche de la division Medina, fleuron de la Garde républicaine de Saddam. « Je ne sais pas quand la bataille avec la division Medina va commencer, explique le président. Tommy ne me l’a pas dit. » Tommy, c’est le général Franks. Et c’est à la fois une manière de confirmer que Bush s’en remet à Franks pour la conduite des opérations et de souligner que, contrairement à son prédécesseur démocrate Lyndon Johnson pendant la guerre du Vietnam, il ne se mêlera pas de ce qui ne le regarde pas.
Le mardi 1er avril, le président se réjouit d’apprendre par Rumsfeld que la soldate Jessica Lynch a été retrouvée saine et sauve dans un hôpital de Nassiriya. Le même jour, il reçoit des familles de marines, qui eux, ne reverront pas l’Amérique.
Le mercredi 2, c’est la prise de l’aéroport de Bagdad par la IIIe division d’infanterie. Ce jour-là, Bush reçoit dans la Roosevelt Room une dizaine d’exilés irakiens. Il ne cache pas sa joie qu’on arrache peu à peu les Irakiens aux « griffes de Saddam et de ses sbires ». Clin d’oeil aux visiteurs en quittant la salle, pour leur laisser entendre que la fin de la guerre est proche : « À bientôt », leur dit-il.
L’entrée en guerre a mis fin à plusieurs débats à la Maison Blanche, notamment celui qui opposait Colin Powell aux faucons sur les « ménagements » à prendre avec les alliés. Rapidement, un autre se fait jour, sur l’après-guerre : qui devrait en assurer la responsabilité ? Qui devrait déclarer quels dirigeants irakiens émergeraient à partir des graines de démocratie que sèmeraient les États-Unis ?
Le plan approuvé par Bush avant le 19 mars prévoyait une autorité provisoire composée d’un mélange d’Irakiens : les exilés et les « nouveaux libérés ». Mais, la première semaine d’avril, une lettre de Rumsfeld à Bush remet tout en question : il propose de faire rentrer les exilés sans attendre et de leur confier le Sud. Cela donnerait un net avantage aux favoris du Pentagone, parmi lesquels Ahmed Chalabi, le chef du Congrès national irakien (CNI). Powell et Tenet ne sont pas du tout d’accord. Condoleezza Rice intervient dans la salle de presse de la Maison Blanche, le 4 avril, apparemment pour calmer les esprits : elle définit ce qui devrait être les règles du jeu. Mais à peine a-t-elle le dos tourné que Chalabi prend un avion pour le sud de l’Irak, accompagné par une garde armée. Autre débat, parallèle, sur le rôle des Nations unies. Condoleezza Rice explique que seuls les pays qui ont donné « leur sang et leur argent » auront le droit de participer à l’administration du nouvel Irak. L’ONU aura un « rôle majeur », mais limité à l’aide humanitaire. Selon une personnalité importante, elle est l’interprète de la pensée du président : l’ONU n’a pas les moyens nécessaires, et il n’est pas question de « tendre la main aux Français et aux Allemands ». Blair, cependant, tient à s’affirmer. À Belfast, il se met d’accord avec Bush pour dire que les Nations unies devront avoir un « rôle vital ». Powell lui-même ne sait pas ce que cela veut dire.
À bien des égards, il est manifeste, tout au long de ces trois semaines, que Bush fils veut corriger les erreurs de Bush père. Et éviter de connaître le même sort en oubliant l’économie. Bref, se faire réélire en 2004. Non seulement il s’informe régulièrement sur les contrecoups économiques de la guerre, mais il s’efforce aussi de faire adopter par le Congrès la pièce maîtresse de son programme économique : des réductions d’impôts de 726 milliards de dollars. Pourtant, malgré la pression de la Maison Blanche, les démocrates ont tenu bon : ils ont… réduit les réductions de plus de moitié à 350 milliards de dollars. Du moins pour l’instant. Bush I, en 1991, n’avait pas voulu pousser jusqu’à Bagdad. Bush II est nettement plus unilatéraliste : le père voulait rétablir l’ordre mondial ; le fils veut le changer. Bush II a même implicitement critiqué le comportement de son père en 1991. George Herbert avait encouragé les Irakiens à se révolter, puis les avait laissés tomber. Dans une conférence de presse postérieure à la chute de Bagdad, George Walker a clairement laissé entendre qu’il irait, lui, jusqu’au bout : « Ces gens du sud de l’Irak qui ont été trahis, torturés, à qui on avait dit qu’ils seraient libres, ils ont pris des risques par le passé et ils ont été absolument matraqués par le régime irakien. Ils étaient donc sceptiques, méfiants, ils doutaient. Maintenant, ils y croient, ils commencent à comprendre que nous sommes sincères et convaincus. »
« W » a seulement reconnu qu’il faudrait « un peu de temps pour stabiliser le pays ». S

© The New York Times et J.A.I. 2003. Tous droits réservés.

la suite après cette publicité

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires