Pourquoi Kadhafi quitte le navire

C’est confirmé : la Libye ne sera plus membre de l’organisation à partir du 24 octobre. Histoire d’un divorce.

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Abdelmonem Al-Houni, le chef de la délégation libyenne auprès de la Ligue des États arabes, l’a affirmé le 9 avril : la décision de son pays, rendue publique le 24 octobre 2002, de quitter définitivement l’organisation est « irrévocable ». Cette annonce a été faite au Caire, à l’issue d’une rencontre avec le secrétaire général de la Ligue, l’Égyptien Amr Moussa. Pour bien montrer sa détermination, Tripoli a aussitôt rappelé deux de ses diplomates accrédités auprès de l’organisation. Les huit autres le seront progressivement d’ici au 24 octobre prochain, date à laquelle, conformément aux statuts, le retrait deviendra effectif. La Libye est membre de l’organisation depuis 1953.
Tripoli justifie sa décision par l’incapacité de la Ligue à prendre la moindre initiative en vue de mettre fin à l’occupation de l’un de ses membres, l’Irak en l’occurrence. Il entend également protester contre l’attitude de certains pays arabes, comme le Koweït, le Qatar et la Jordanie, qui ont violé la Charte de l’organisation en accueillant des troupes américaines et britanniques sur leur territoire.
Tout a commencé le 1er mars, lors du XVe sommet de la Ligue, à Charm el-Cheikh, au cours duquel une violente altercation a opposé Mouammar Kadhafi à Abdallah Ibn Abdelaziz, le prince héritier saoudien. Des images de l’incident ont été vues, en direct, par des millions de téléspectateurs arabes. Le leader libyen a d’abord utilisé malencontreusement (à moins que ce ne soit sciemment) l’expression « golfe des Cochons » pour désigner la crise américano-cubaine de la « baie des Cochons », en 1960. Avant d’évoquer des propos que le roi Fahd lui aurait tenus au téléphone au lendemain de l’invasion du Koweït par les troupes irakiennes, en août 1990. « Le serviteur des Lieux saints [titre officiel du souverain] m’a affirmé qu’il était prêt à s’allier avec le diable pour protéger le royaume », a indiqué Kadhafi. En réponse, le prince Abdallah a gentiment accusé son contradicteur d’être un « suppôt de la colonisation ». Le lendemain, des milliers de personnes ont manifesté devant l’ambassade saoudienne à Tripoli, tandis que l’ambassadeur de la Jamahiriya à Riyad était prestement rappelé. Dans les jours suivants, les journaux saoudiens et koweïtiens ont déclenché une violente campagne de dénigrement contre le « Guide » (J.A.I. n° 2200).
En fait, Kadhafi avait menacé de quitter la Ligue dès le mois de mars 2002. À l’époque, il entendait protester contre l’adoption par le XIVe sommet arabe de Beyrouth du plan de paix saoudien pour le Proche-Orient. Il n’avait manifestement pas digéré que ses pairs aient, un an auparavant (à Amman), négligé son propre plan de paix, qui prévoyait, entre autres, le démantèlement des armes de destruction massive dans la région et le retour des réfugiés palestiniens.
Au-delà, il est certain que le leader libyen n’a jamais pardonné aux responsables arabes leur manque de solidarité pendant toute la période (1992-1999) où son pays a été soumis par les Nations unies à un sévère embargo militaire et aérien. En revanche, en guise de remerciement pour le rôle joué par les chefs d’État africains dans la levée des sanctions (notamment lors du sommet de l’Organisation de l’unité africaine, en 1998, à Ouagadougou), Kadhafi a activement contribué à la création de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad), puis de l’Union africaine, s’assurant du même coup une légitimité historique et une certaine influence sur le continent noir.
En se désolidarisant d’un monde arabe qui se trouve aujourd’hui dans le collimateur des faucons de la Maison Blanche, Kadhafi cherche aussi à redorer son blason, passablement terni par son passé d’activiste international, et à se couler, autant que possible, dans la peau d’un vieux sage africain. L’engagement de son fils Saïf el-Islam et de sa fille Aïcha dans des activités humanitaires à travers le monde participe de ce même désir de reconnaissance et de respectabilité.

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