Pour qui roule la France ?

Alors que le processus de réconciliation nationale en est encore à ses balbutiements, tout semble indiquer qu’il existe à Paris plusieurs centres d’initiatives et de décisions sur le dossier ivoirien.

Publié le 23 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Le plus surprenant dans la situation politique ivoirienne, c’est moins le fait que tous les membres du gouvernement de réconciliation nationale – y compris ceux issus des trois mouvements rebelles – aient officiellement pris leurs fonctions, mais que toute l’équipe ait pu se réunir en Conseil des ministres, le 17 avril à Abidjan, alors que les forces loyalistes bombardaient la veille encore certaines positions rebelles. Gage d’un retour rapide de la paix dans le pays que ces retrouvailles à la table du Conseil ? Les Ivoiriens l’espèrent.
Après les deux rendez-vous ratés de Yamoussoukro, celui du 13 mars, où les représentants de la rébellion et du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara étaient aux abonnés absents, puis celui du 20 mars, que les neuf ministres rebelles ont boycotté, la dynamique ne s’est pas grippée, malgré les accrochages armés.
Le 14 avril, cinq des ministres de la rébellion ont ainsi procédé, dans un luxe de sécurité, à la cérémonie de passation, suivis, le 16, de leurs quatre autres camarades. Les sortants arboraient un petit drapeau ivoirien au revers de la veste, tandis que leurs successeurs optaient pour un badge argenté, avec la carte de la Côte d’Ivoire barrée de l’inscription MPCI (Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire). Tous placés sous la protection des éléments des forces de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et des militaires français. Lesquels surveillent également, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, les deux hôtels où logent les ministres du RDR et leurs collègues de la rébellion. Les uns et les autres attendent que certains logements de fonction soient libérés et, le cas échéant, équipés de matériels de sécurité.

Pour ces premiers pas sur le chemin de la réconciliation nationale, tout le monde a le mot « sécurité » à la bouche. Au point que le premier Conseil des ministres, « véritable premier acte de paix, selon le président Laurent Gbagbo, a invité tous les acteurs à cesser immédiatement tout acte de belligérance et à s’engager de manière résolue et irrévocable dans la voie de la paix ». Propos de circonstance ? Sans doute. Car les hostilités n’ont pas cessé pour autant, suscitant colère et menaces de la rébellion, qui a interpellé au passage le Comité international de suivi des accords de Marcoussis, mais aussi et surtout la France, dont le rôle, au fil des jours et des semaines, leur semble pour le moins ambigu. Ses troupes, chargées avec celles de la Cedeao après mandat du Conseil de sécurité des Nations unies, de veiller au respect du cessez-le-feu, ne parviennent pas à empêcher les incursions récurrentes des hélicoptères de l’armée régulières en zone rebelle.
La France, qui a lancé, parrainé et fait signer au pas de charge lesdits accords de Marcoussis, le 24 janvier, jouerait-elle un double jeu ? Tout semble indiquer, en effet, qu’il existe à Paris plusieurs politiques, plusieurs centres d’initiatives et de décisions sur le dossier ivoirien. Quand le président Gbagbo courtise son homologue français Jacques Chirac et se plaint de son chef de la diplomatie Dominique de Villepin, qu’il refuse même de prendre au téléphone depuis la fin de janvier, ce dernier montre quasi ostensiblement que son « homme » à lui (et son interlocuteur préféré) reste le Premier ministre de « consensus » Seydou Elimane Diarra. Quand Michel de Bonnecorse, le conseiller Afrique de Chirac, séjourne à Abidjan du 1er au 4 avril, porteur d’un message de son patron pour Gbagbo et évoque avec lui un prochain voyage à Paris, il semble que le Quai d’Orsay (le ministère français des Affaires étrangères) n’ait pas été directement associé à cette démarche.
Mais l’essentiel semblait acquis ; la glace était rompue entre les deux chefs d’État et un nouveau souffle donné à leurs relations passablement tendues depuis plusieurs mois, quand un nouvel incident se produisit : la ministre française de la Défense, Michèle Alliot-Marie, annule le déplacement qu’elle devait faire le 10 avril à Abidjan. Officiellement parce que son homologue ivoirien n’était toujours pas encore nommé, en réalité parce que, entre autres, quelques jours plus tôt, les soldats français ont dû faire face à une manifestation de « jeunes patriotes » venus libérer des mercenaires libériens qu’ils avaient interceptés dans l’ouest du pays et gardés dans un camp à Daloa. Ces éléments armés du Liberia voisin combattent auprès des troupes loyalistes, tandis que d’autres de leurs compatriotes se retrouvent dans les rangs des forces rebelles de l’Ouest, le Mouvement populaire ivoirien du Grand-Ouest (MPIGO) et le Mouvement pour la justice et la paix (MJP).

la suite après cette publicité

Comme pour ajouter à la confusion de l’approche française du dossier ivoirien, l’ambassadeur Gildas Le Lidec passe pour être plus proche de Michel de Bonnecorse que de Dominique de Villepin, et les 4 000 soldats français du contingent Licorne déployés sur le terrain ont de facto à leur tête deux généraux, puisque leur ancien patron, le général Emmanuel Beth, siège désormais au sein du Comité de suivi des accords de Marcoussis. Quant à Jacques Chirac, sans doute trop occupé par le conflit en Irak, il tarde à trancher.

À la décharge de Paris (même les amis socialistes du président Gbagbo se déchirent quelque peu à propos de la crise ivoirienne), les choses ne sont pas plus claires à Abidjan. Quand le climat se détend entre le chef de l’État français et son homologue ivoirien au point d’envisager le séjour de ce dernier dans l’Hexagone, il se trouve des durs dans son entourage pour chercher à l’en dissuader sous prétexte qu’on lui a manqué de respect lors de son précédent passage, à la fin de janvier.
Lorsque les rebelles stigmatisent l’attitude des soldats français qui ne font pas respecter le cessez-le-feu, régulièrement violé par les forces loyalistes, au sein de ces dernières – y compris au sommet de la hiérarchie -, certains s’étonnent que la France mette entre parenthèses les accords de défense qui la lient à leur pays et ne les aide pas concrètement à bouter hors du territoire national les Libériens qui y sont présents pour faire le coup de feu, à l’instigation directe du chef de l’État libérien, Charles Taylor. Et peu leur importe si on compte des Libériens dans les deux camps. Ils veulent d’autant moins comprendre que, selon eux, Michel de Bonnecorse aurait laissé entendre à Gbagbo que la France fera « quelque chose ».
Résultat : rebelles et Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) arborent une moue dubitative – pour des raisons bien différentes – en entendant le ministre français délégué à la Coopération Pierre-André Wiltzer se contenter d’indiquer que « les attaques des hélicoptères [en zone sous contrôle rebelle] sont condamnables ». Reste à faire en sorte qu’elles cessent. C’est la première tâche de Seydou Diarra, qui l’a rappelé, le 17 avril, à l’issue d’un Conseil des ministres qui aura duré deux bonnes heures, en annonçant qu’une « Cellule de coordination et de suivi de la défense et de la sécurité des personnes et des biens sera mise en place, avec pour objectif immédiat le retour de la Côte d’Ivoire à la phase III du système de sécurité des Nations unies ».
Le 6 février, on s’en souvient, l’ONU avait activé la phase IV de son système d’alerte et décidé d’évacuer ses personnels non indispensables, avant d’être imitée par de nombreuses organisations internationales, dont la Banque africaine de développement (BAD) et d’autres bailleurs de fonds. La Côte d’Ivoire a plus que besoin de leur retour. Et d’une politique plus claire de la France à son égard.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires