Oublions le passé

Les relations entre les deux pays connaissent un spectaculaire réchauffement depuis le retour au pouvoir de la droite à Paris.

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Le 31 mars, alors que les troupes de la coalition poursuivaient leur marche sur Bagdad, le ministère français des Affaires étrangères a inscrit la Tunisie sur la liste des pays où les Français doivent faire preuve de « vigilance » en raison de la situation explosive au Moyen-Orient. Publiée sur le site Internet du Quai d’Orsay (www.diplomatie.gouv.fr), cette liste comprend aussi le Maroc, la Turquie, l’Égypte, la Jordanie, le Liban et la Syrie. Les professionnels tunisiens du tourisme, déjà fort inquiets de la diminution des réservations et des annulations annoncées par les tour-opérateurs européens, n’ont pas apprécié, c’est un euphémisme, cet appel à la vigilance. Seize mille Français résident en permanence en Tunisie et 1 million de touristes « hexagonaux » s’y rendent chaque année en vacances.
Au cours de son récent séjour à Tunis (le 2 avril), Renaud Muselier, le secrétaire d’État français aux Affaires étrangères, s’est entretenu avec ses hôtes de la guerre en Irak, bien sûr, mais aussi de la réunion du Forum politique informel euro-méditerranéen, dit « 5 + 5 », qui s’est tenue, une semaine plus tard (9-10 avril), à Sainte-Maxime (sud de la France). Les ministres des Affaires étrangères de cinq pays européens du nord de la Méditerranée (France, Italie, Espagne, Portugal, Malte) et des cinq pays du Maghreb (Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie) ont participé à la rencontre. Un sommet des chefs d’État des pays membres dudit Forum doit se tenir dans la capitale tunisienne avant la fin de l’année. Lors de sa visite, Muselier a insisté sur « la nécessité de prospecter toutes les voies pour impulser le flux touristique vers la Tunisie, pays stable et sûr ».
Les 10 et 11 avril, à Djerba, Léon Bertrand, le secrétaire d’État au Tourisme, a pour sa part participé aux travaux de la Ire Conférence internationale sur les changements climatiques et le tourisme. Il en a profité pour visiter la synagogue de la Ghriba, cet ancien lieu de culte juif, qui, le 11 avril 2002, a été la cible d’un attentat terroriste attribué au réseau el-Qaïda (21 morts). « En dépit des difficultés de son économie, de plus en plus fragilisée par les événements mondiaux, la Tunisie résiste. L’engouement des Français pour ce pays, et surtout pour Djerba, persiste. Je pense qu’il va s’amplifier dès que la guerre en Irak sera terminée », a-t-il indiqué. Bertrand et Mondher Zenaïdi, son homologue tunisien, ont d’ailleurs signé un accord prévoyant le reclassement de la Tunisie parmi les destinations ne nécessitant pas de vigilance particulière de la part des voyageurs français. L’accord, qui sera finalisé au mois de septembre, a naturellement été bien accueilli par les opérateurs touristiques locaux.
Ce geste symbolique confirme le sensible réchauffement des relations entre les deux pays depuis la double défaite électorale des socialistes français, en mai-juin 2002. Ceux-ci avaient toujours manifesté une certaine gêne face aux atteintes aux droits de l’homme en Tunisie. La pression avait commencé à se relâcher après les attentats du 11 septembre 2001 et la réélection de Jacques Chirac a fait le reste…
Le chef de l’État français, qui s’est déjà rendu en Tunisie à deux reprises et devrait récidiver avant la fin de l’année, avait, le 1er décembre 2001, salué le « refus exemplaire » de « l’intolérance et de l’intégrisme » manifesté par Zine el-Abidine Ben Ali. « Il va de soi que si chacun avait eu, dans tous les pays et quelles que soient les religions, la même attitude, il y aurait probablement eu beaucoup moins de problèmes et d’atteintes portées aux droits de l’homme », avait-il estimé précisant qu’il était intervenu sur ce dernier point lors des discussions bilatérales, « sans pour autant alimenter les polémiques ».
Le 6 février 2002, Hubert Védrine, le ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin, avait jugé plus sévèrement la condamnation de Hamma Hammami, le porte-parole du POCT, un parti d’extrême gauche non reconnu, et de ses coïnculpés : « Je suis vraiment préoccupé par les informations que j’ai reçues sur la manière dont le procès s’est déroulé. La Tunisie, en raison même des remarquables progrès qu’elle a réalisés ces dernières années dans les domaines économique et social […], aurait intérêt à une plus grande ouverture en matière de libertés publiques. »
Dominique de Villepin, son successeur, s’est montré plus circonspect, le 10 juillet. Recevant Habib Ben Yahia, son alter ego tunisien, il n’a fait aucun commentaire public sur la question des droits de l’homme. Quelques jours plus tard, un porte-parole du ministère français a toutefois révélé, avec prudence, que la France avait soulevé auprès de la Tunisie le cas Hammami. Le 5 septembre 2002, ce même porte-parole a accueilli la libération de l’opposant comme « un geste d’apaisement bienvenu ».
Le 2 novembre dernier, c’était au tour de Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur, de se rendre à Tunis. Objectif : resserrer la coopération entre les deux pays en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme. Quelques jours plus tard, la police française interpellait, à Lyon, plusieurs ressortissants tunisiens soupçonnés d’être impliqués dans l’attentat de Djerba. Le 14 novembre, toujours dans la capitale tunisienne, Villepin a quant à lui fait l’éloge d’une « Tunisie dynamique et ouverte, qui assume pleinement ses traditions et ses valeurs de tolérance religieuse », raison pour laquelle elle « bénéficie du plein soutien de la France ». Enfin, le 2 février, Tunis a reçu la visite d’un autre poids lourd du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, le ministre de la Défense Michèle Alliot-Marie.
Autre signe du réchauffement des relations tuniso-françaises : les deux présidents se parlent souvent au téléphone. Et Chirac reçoit très régulièrement des responsables tunisiens de premier plan. Les derniers en date sont le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, le 20 février, en marge du Sommet Afrique-France, et Habib Ben Yahia, le 9 avril, à l’occasion de la réunion ministérielle du dialogue 5 + 5, à Sainte-Maxime. Par ailleurs, la haute commission mixte se réunit, chaque année, à la date prévue. La prochaine se tiendra au mois de juin, à Tunis.
La coopération bilatérale se porte, elle aussi, très bien. La Tunisie, qui est inscrite dans la « zone de solidarité prioritaire », est le pays qui bénéficie de la plus forte aide française par habitant. La France est, par ailleurs, le premier partenaire commercial et le premier investisseur étranger en Tunisie. Quelque 980 entreprises à participation française y sont implantées, soit 39 % des 2 500 sociétés étrangères. Elles mobilisent 758 millions de dollars et emploient 75 000 personnes. Les investissements directs étrangers (IDE) d’origine française sont passés de 38 millions de dollars en 1997, date de la dernière visite de Ben Ali en France, à 126 millions de dollars en 2002. Au cours de l’exercice écoulé, les investisseurs français ont créé 2 500 nouveaux emplois en Tunisie. Ils sont présents principalement dans le secteur manufacturier (textile, habillement et cuir) et dans les services (tourisme, notamment).
Les échanges commerciaux bilatéraux sont, eux aussi, sur une courbe globalement ascendante : + 3,8 % en 2002, + 11,4 % en 2001. Cette légère décélération est due au fléchissement du commerce mondial (- 2,6 %). La France demeure cependant le premier fournisseur de la Tunisie (25,6 % de parts de marché) et son premier client (31,3 %).
Les flux humains entre les deux pays sont constants. « L’année écoulée, 95 000 demandes de visa ont été déposées par des Tunisiens, et plus de 76 000 accordées. Le taux de refus est passé de 30,3 % en 2001 à 19,6 % l’année dernière. Pour la première fois depuis plus de cinq ans, ce taux est descendu sous le seuil des 20 % », précise Yves Aubin de La Messuzière, le nouvel ambassadeur de France en Tunisie (depuis septembre 2002). Le diplomate relève par ailleurs une progression de 72 % du regroupement des familles tunisiennes (en France) au cours des trois dernières années et dément les rumeurs de fermeture du consulat de Sfax, la seconde ville du pays.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires