Lula relance la machine

Élu sur un programme de gauche, le nouveau président a réussi à gagner les faveurs des milieux financiers. Sans perdre le soutien de ses électeurs.

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Il n’aura donc fallu que trois mois au président Luiz Inácio Lula da Silva pour gagner la confiance de ceux qui, hier encore, le diabolisaient. Le célèbre financier George Soros n’avait-il pas prédit une chute inexorable du real (la monnaie nationale) accompagnée d’une grave crise économique si, par malheur, ce dangereux gauchiste arrivait au pouvoir ? Il n’en fut rien, évidemment. C’est même le contraire qui s’est produit, puisque le président de la Banque mondiale, James Wolfensohn, vient de se déclarer « positivement impressionné », et que Horst Köhler, directeur exécutif du Fonds monétaire international (FMI), a rendu un hommage appuyé à sa « politique courageuse », à la suite de la publication du dernier rapport du FMI sur l’état de l’économie brésilienne.
Un peu partout, on salue l’orthodoxie monétaire et la rigueur budgétaire dont la nouvelle équipe a fait preuve jusqu’à présent. Alors qu’il y a six mois le pays semblait au bord du gouffre, Lula peut déclarer aujourd’hui que « le monde recommence à croire au Brésil ». Il est vrai que, prenant le risque de décevoir l’immense attente des plus défavorisés qui l’ont porté au pouvoir, Lula a fait tout ce qu’il fallait pour rassurer les milieux financiers. Le salaire minimal, qu’il avait promis d’augmenter substantiellement, ne l’a été que de 20 % (il est passé de 200 à 240 reais, soit moins de 80 euros d’augmentation), écartant du même coup les craintes des institutions financières quant au dérapage des dépenses publiques. Et la Banque centrale, à la tête de laquelle il a pris soin de nommer un ancien président de la BankBoston, le très libéral Henrique de Campos Meirelles, a relevé par deux fois son taux d’intérêt pour éviter les risques d’inflation.
Dans le même temps, le ministre des Finances, Antonio Palocci, décidait de durcir un peu plus les conditions déjà imposées par le FMI après l’octroi d’un prêt record de 30,4 milliards de dollars, quitte à limiter au tiers de ce qui était prévu la dotation affectée au programme « Faim zéro ». Un programme pourtant cher à Lula et qu’il avait solennellement annoncé dans son discours d’investiture. En outre, le gouvernement s’efforce de dégager un excédent budgétaire de 4,25 % du PIB (64 milliards de reais) au lieu des 3,75 % initialement prévus, soit 8 milliards de reais de plus. Et les résultats sont déjà là, puisque l’objectif fixé pour le premier trimestre a été dépassé dès le deuxième mois de l’année.
On peut noter, au passage, que les 8 milliards supplémentaires ainsi dégagés représentent plus de quatre fois ce que le gouvernement compte dépenser pour le programme « Faim zéro ». La rigueur aidant, le real est donc reparti à la hausse et a regagné 10 % de sa valeur par rapport au dollar, allégeant d’autant le poids d’une dette extérieure qui se paie en monnaie américaine. Du coup, alors qu’il était monté à 2 400 points au plus fort de la tourmente électorale, le risque-pays est à nouveau passé sous la barre des 1 000 points, signe indiscutable que la bataille du géant brésilien pour gagner la confiance des investisseurs est en bonne voie. Et ce n’est pas tout. À ces performances budgétaires, il faut ajouter celles de l’économie nationale dont la balance commerciale, au cours du premier trimestre, a enregistré un excédent de 3,75 milliards de dollars. Ce qui représente une augmentation de 26,5 % par rapport à la même période de 2002.
Le premier président de gauche de l’histoire du Brésil est donc en train de réussir là où on l’attendait le moins. Ce qui ne va pas, bien sûr, sans créer de vives tensions au sein du Parti des travailleurs (PT), le parti de Lula. Son aile gauche, qui s’inquiète de voir ainsi les promesses électorales remises à plus tard, ne cache plus sa colère face à un gouvernement qui semble suivre à la lettre la recette néolibérale de l’ancien président Fernando Henrique Cardoso, dont Lula disait encore, le 1er janvier dernier, qu’elle a « produit stagnation, chômage et faim, au lieu de générer de la croissance ».
Le rejet de l’orthodoxie du noyau dur gouvernemental à désormais un visage, celui d’Heloisa Helena. Militante « pétiste » de la première heure, sénateur du petit État d’Alagoas, dans le Nordeste brésilien, elle avait été menacée de sanctions par la direction de son parti après s’être opposée à la nomination d’Henrique Mereilles à la tête de la Banque centrale. En février, une nouvelle procédure disciplinaire a été engagée contre elle après qu’elle eut refusé d’apporter sa voix à l’ancien président de la République José Sarney (1985-1990) lors de son élection à la tête du Sénat, comme l’exigeait de tous ses sénateurs la direction du PT. Certes, l’opposition de gauche incarnée par Heloisa Helena est encore loin d’inquiéter un président aussi populaire. Le changement marque le pas, mais les sondages montrent que 75 % des Brésiliens ont toujours confiance dans la gestion du gouvernement pour y parvenir. L’heure n’est donc pas encore à la révolte contre le plus charismatique des présidents d’Amérique latine.
La période qui s’ouvre risque pourtant d’être plus délicate encore. Car, comme le dit la gauche du PT, « l’amour des marchés financiers, c’est la guerre contre les travailleurs ». Or le gouvernement doit s’attaquer à des réformes essentielles. Qu’il s’agisse des retraites, de la fiscalité ou de la législation du travail, chacun sait qu’elles seront menées dans la douleur. Celle de la prévoyance sociale, par exemple, doit concilier l’inconciliable : un système de retraites plus juste et une réduction de son coût. Pendant que le patronat dénonce les privilèges accordés jusqu’à présent à la fonction publique (dont est issue une bonne partie des militants du PT), la gauche et les syndicats s’emploient à démontrer que les coupes budgétaires annoncées n’ont d’autre but que de permettre le paiement des intérêts énormes d’une dette publique héritée du passé.
La réforme de la législation du travail ne sera pas non plus de tout repos. Pour ne citer qu’un exemple, le ministre du Travail, Jacques Wagner (membre du PT, ex-syndicaliste), s’est dit favorable à l’une des principales revendications du patronat : l’annulation de l’amende que les employeurs doivent payer pour licenciement abusif. Devant la protestation des syndicats, il a fait marche arrière. D’ores et déjà, Heloisa Helena a annoncé que, sur toutes ces questions, « il n’y a pas de concession possible ».
Lula serait-il allé trop loin dans les concessions accordées à un patronat trop exigeant ? Difficile de le dire. D’autant que, dans la situation actuelle, gouvernement et patronat multiplient les concessions mutuelles pour remettre le pays sur les rails. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’un État qui doit débourser chaque semaine près de 1 milliard de dollars pour financer l’amortissement de sa dette extérieure n’a pas tout à fait les mains libres pour mener la politique sociale qu’il souhaiterait. Pour l’heure, personne n’ose mettre en doute la volonté du président Lula d’en finir au plus vite avec les « potions amères » – ce sont ses propres termes – pour se consacrer enfin à la lutte contre les inégalités sociales. Reste à savoir de combien de temps il dispose avant que la fin de l’état de grâce dont il bénéficie ne lui rende la tâche plus difficile encore. Certains lui reprochent de ne pas avoir profité de l’immense soutien dont il bénéficie pour faire passer en force un changement plus radical. C’est oublier un peu vite que les élus du PT ne représentent pas plus de 17 % des deux Chambres.

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