«Les accords de Marcoussis ne seront pas appliqués si les combats continuent»

Publié le 23 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

«Ce jeune homme est un renard », disaient de lui ses professeurs. Depuis deux mois et demi, à la tête du Comité de suivi des accords de paix de Marcoussis, Albert Tévoédjrè, 73 ans, fait preuve en effet de beaucoup de patience et de sens tactique. L’ancien ministre béninois se penche au chevet du pays d’Houphouët avec la même passion qu’un Ivoirien. Représentant spécial de son vieil ami Kofi Annan en Côte d’Ivoire, l’infatigable professeur est persuadé que le processus de réconciliation est bien enclenché.

J.A./L’INTELLIGENT : Les nombreuses violations du cessez-le-feu dans l’ouest de la Côte d’Ivoire ne risquent-elles pas de faire exploser le processus de réconciliation nationale ?
ALBERT TÉVOÉDJRÈ : J’espère que non. Le 11 avril, j’ai entendu le président Gbagbo demander à toutes les forces militaires et paramilitaires de cesser tout acte de belligérance. Ceci doit être suivi d’effet au niveau de l’armée nationale. Du côté des « Forces nouvelles » (les trois mouvements rebelles), on est conscient qu’il faut arrêter tout ce qui peut apparaître comme une violation du cessez-le-feu, parce qu’on ne pourra pas appliquer les accords de Marcoussis si les combats continuent. Les événements de ces derniers jours sont des accidents de parcours.
Ces accidents ne risquent-ils pas de se terminer par un grand carambolage ?
Nous travaillons tous pour que cela n’arrive pas. Il est certain que nous sommes dans une phase extrêmement délicate, mais si les Ivoiriens se retrouvent, ils pourront faire face ensemble à ce danger de l’Ouest, qui n’est pas nécessairement ivoirien. Il faut que la communauté internationale se penche sérieusement sur le cas du Liberia.
Trois jours après l’appel au calme de Laurent Gbagbo, les hélicoptères gouvernementaux ont lancé de nouvelles attaques. Le président joue-t-il le pourrissement ou est-il débordé par des extrémistes ?
Je ne crois pas du tout que les autorités jouent le pourrissement. Ce n’est pas dans leur intérêt. L’ONU et la Banque mondiale ont des projets importants pour le pays. Ils ne pourront se développer que si les autorités sont de bonne foi. Quant aux extrémistes, peut-être y en a-t-il, mais, si c’est le cas, ils seront vite ramenés à la raison. Le président est le chef des armées. J’ai confiance en son autorité.
Vos démarches pour la paix restent sans effet. Cela signifie-t-il que le Comité de suivi est inutile ?
Pas du tout. Regardez les progrès accomplis depuis la mise en place de ce Comité ! Le 11 février, nous étions en plein brouillard. Pas de gouvernement de réconciliation, pas de délégation de pouvoir. Méthodiquement, le Comité a mis au point une clé de répartition des tâches et des fonctions dans le nouveau gouvernement. Le 11 avril, nous avons aussi fait accepter une formule de délégation de pouvoir au Premier ministre.
Ne craignez-vous pas que le processus d’identification des personnes entamé avant Marcoussis ne soit poursuivi et imposé au nouveau gouvernement ?
Non. Selon les accords de Marcoussis, des commissions d’identification doivent être mises en place. C’est au nouveau Premier ministre et à son ministre de l’Administration territoriale, issu d’ailleurs des Forces nouvelles, de prendre en charge ou de remettre en cause ce qui a déjà été fait.
Pour mettre fin à l’exclusion de certains candidats, les accords de Marcoussis prévoit une réforme constitutionnelle. Ne risque-t-elle pas d’être bloquée au Parlement par une majorité FPI-PDCI ?
Selon les accords, les partis signataires doivent demander à leurs parlementaires de respecter les engagements pris. Je leur fais confiance pour réaliser cette réforme. Et, d’après ce que je sais, le Premier ministre s’y prépare de son côté.
Quand les élections doivent-elles avoir lieu ?
À la date constitutionnellement prévue, en 2005. D’ailleurs, les travaux de Marcoussis sont restés dans ce cadre-là.
La brouille franco-américaine sur l’Irak ne bloque- t-elle pas les efforts du Conseil de sécurité en faveur de la Côte d’Ivoire ?
Non, pas du tout. Quand j’ai été auditionné à huis clos le 15 avril par les quinze membres du Conseil, il n’y a pas eu une seule dissonance. Tout le monde, y compris l’ambassadeur des États-Unis, est intervenu pour dire qu’il fallait arrêter les hostilités, appliquer Marcoussis et aider le pays à se relever économiquement. L’envoi d’une mission des quinze dans la région a été décidé. Ce sera sans doute en mai (voir « Confidentiel » p. 6). Et la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire (Minuci) va être créée très prochainement.
Ne regrettez-vous pas quelquefois d’avoir accepté cette mission ?
Non, même si c’est très difficile. Je le fais pour l’Afrique. Je connais Kofi Annan depuis trente-cinq ans. Quand il m’a demandé cette contribution, je l’ai acceptée avec humilité.

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