La ville des embouteillages

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 2 minutes.

Lundi 14 avril, il pleut à Lagos. Et pas qu’un peu : un orage comme on n’en a pas vu depuis quinze ans, de mémoire de Lagosian. Dans le quartier d’Ikeja, qui jouxte l’aéroport international Murtalla-Mohammed, trois heures de pluie ont suffi à provoquer une inondation. Des gens traversent, pieds nus, des flaques profondes de vingt centimètres. Le vent souffle en rafales, et ils ont abandonné tout espoir de se protéger. Certains ont même le parapluie fermé à la main, de crainte de le voir emporté par une bourrasque. D’autres, épuisés d’attendre sur le bord de la route d’hypothétiques transports en commun, marchent le dos courbé, la main en visière. Dans les dénivelés de la route, transformés en piscines, des voitures surnagent, moteur noyé.
La nuit est d’encre et, dans le halo des phares, apparaissent de temps en temps de curieux ectoplasmes, silhouettes enveloppées dans des impers de plastique transparent. On n’y voit pas à un mètre cinquante, et nous roulons très lentement. Heureusement, car parfois surgit une voiture en contresens, égarée. En arrivant sur Third Mainland Bridge, le pont-autoroute long de plusieurs kilomètres qui relie la grande terre à l’île d’Ikoyi, où se trouvent les hôtels, nous tombons en plein embouteillage. Un go-slow, littéralement un « va-lentement », la bien nommée spécialité du coin.
En une demi-heure, nous parcourons cinq cents mètres. Le vent a renversé des poubelles qui traînaient le long du muret de séparation des deux voies, la pluie transporte doucement les ordures au milieu de la chaussée. Que Sango, dieu yorouba de l’orage et de la foudre, nous préserve de crever un pneu sur une ferraille quelconque ! La pluie redouble, le go-slow aussi. Depuis quarante minutes, nous n’avons pas bougé d’un pouce. Tout le monde a éteint son moteur – pénurie d’essence oblige – et ses phares. Surtout ne pas tomber en panne de batterie. J’écris mes notes dans le noir. We don’t need another hero, chante Tina Turner à la radio, reprise en écho par le présentateur qui commente « oui, nous n’avons pas besoin d’un nouveau héros, faites attention, pour qui vous votez. » Le chauffeur pouffe de rire. Au loin, un gyrophare rouge et bleu, une voiture de police, plus dissuasive qu’efficace. On dit que les attaques d’automobilistes sont courantes dans les go-slow. La colonne avance. Un tricheur nous ravit cinq mètres en déboîtant traîtreusement de sa file avant que nous ayons redémarré. Une bordée d’injures, quelques gestes menaçants, heureusement rien de plus. Nous retombons dans le noir.
Puis nous avançons, doucement, mais avec constance. Le long du muret sont postés des policiers et des militaires, qui règlent la circulation kalachnikov en main. En réalité, ils sont chargés de pousser tout le monde sur une file pour laisser la place à un convoi officiel. Leur agressivité porte ses fruits, mais pour n’avoir pas obtempéré assez vite, notre véhicule prend un coup de crosse qui fait voler en éclats son rétroviseur. Les voitures blindées passées, le calme revient. Nous reprenons à grand-peine notre progression. L’eau monte, on l’entend clapoter sous le plancher. Il aura fallu quatre heures pour sortir de cette pagaille.

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