La vie sans Diouf

L’ancien chef de l’État a démissionné de la présidence du PS il y a six mois. Depuis, le parti paraît avoir trouvé son second souffle. Il était temps !

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

Le 3 avril, dans un discours à la nation, le président Abdoulaye Wade avait proposé la constitution d’une « majorité d’idées » pour diriger le Sénégal. Six jours plus tard, le bureau politique du Parti socialiste a fermement décliné la proposition. Décidément, depuis la démission d’Abdou Diouf de la présidence du parti, le 11 novembre 2002, après son élection au secrétariat général de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), les socialistes sénégalais paraissent avoir repris du poil de la bête : il y a longtemps qu’on ne les avait pas vus si combatifs. Coïncidence ou lien de cause à effet ?
En réalité, la démission de l’ancien chef de l’État n’était qu’une formalité : il avait pris ses distances avec le PS dès son départ du pouvoir, en avril 2000. Et sans doute même bien avant. Depuis le congrès « sans débat » de mars 1996, Diouf s’abstenait en effet de participer aux réunions du bureau politique, la gestion quotidienne du parti étant assurée par Ousmane Tanor Dieng. Ce dernier consultait néanmoins très régulièrement son patron. Ainsi, en 1999, lors de l’exclusion de Moustapha Niasse de l’instance dirigeante, « Tanor », aussitôt la réunion terminée, s’était rendu au palais de la République pour l’en informer.
Indiscutablement, cette « gestion concertée » a porté ses fruits. « Le fait que le président nous ait appris à diriger le parti sans lui nous a sauvé de l’explosion après la défaite du 19 mars 2000 », estime un responsable. Il est vrai que le PS n’a pas explosé, mais la retraite de Diouf n’en a pas moins provoqué un phénomène assez peu glorieux de « transhumance politique », plusieurs dirigeants socialistes de premier plan s’empressant de rejoindre le Parti démocratique sénégalais (PDS) du président Wade ou l’Alliance des forces du progrès (AFP), de Moustapha Niasse. Quant à Abdourahim Agne, le sémillant porte-parole de l’ex-parti au pouvoir, il avait carrément créé une nouvelle formation.
Cette cascade de démissions augurait d’autant plus mal de l’avenir du PS que plusieurs responsables, au premier rang desquels Robert Sagna, l’inamovible ministre et maire de Ziguinchor, et Mamadou Diop, l’ancien maire de Dakar, avaient brandi l’étendard de la révolte et réclamé la démission de Tanor, responsable, selon eux, de la débâcle. Le 22 mars 2000, une partie du bureau politique avait même tenté de débarquer le premier secrétaire. En vain. Une seconde offensive avait été déclenchée, sans plus de succès, au lendemain des élections législatives d’avril 2001 : il est vrai que le nombre des députés socialistes était passé de 93 à 10 !
Ces tumultes se sont apaisés. Personne aujourd’hui ne réclame plus la tête de Tanor, redevenu, au moins aux yeux de l’opinion, le leader incontesté du parti. Est-ce à dire que ses adversaires ont renoncé à toute velléité contestatrice ? Ou qu’ils se tiennent en embuscade, dans l’attente d’une occasion favorable ? Sans doute comptent-ils sur la tenue d’un congrès pour faire entendre leur voix, mais celle-ci a été reportée à plusieurs reprises. Par crainte de mettre en péril la fragile unité du parti, mais aussi parce que certains socialistes ont longtemps conservé le secret espoir de voir Diouf reprendre les commandes.
Depuis avril 2000, les délégations se sont succédé au domicile parisien de l’ancien président. Soit pour sonder ses intentions à ce sujet, soit pour lui demander d’intervenir dans le débat sur sa succession. Ce à quoi, bien entendu, Diouf s’est toujours refusé. Sa nomination à la tête de l’OIF, le 20 octobre 2002, a mis fin au suspens. Plus rien désormais ne s’oppose à la convocation d’un congrès, dont la tenue est annoncée pour la fin de cette année ou, au plus tard, pour le début de la suivante. Pourquoi si tard ? « Il faut d’abord renouveler les instances de base et élire les délégués, se justifie Tanor. Nous avons distribué quelque cinq cent mille cartes qui seront vendues aux militants. Et puis il faut arrêter l’ordre du jour. »
Celui-ci n’est pas encore fixé, mais on sait déjà que la question de la démocratie au sein du parti y figurera en bonne place. « Tout responsable socialiste sera désormais élu », a récemment expliqué Robert Sagna. Par ailleurs, le poste de président du parti a toute chance d’être supprimé. Dans cette hypothèse, le premier secrétaire élu par le congrès deviendrait tout naturellement le chef de file des socialistes.
Autre question importante : celle des structures. Aux yeux de certains militants, celles-ci sont beaucoup trop lourdes et, en tout cas, guère adaptées à une formation d’opposition. Le comité central, par exemple, compte pas moins de six cents membres. Quant aux « coordinations », elles sont quatre-vingt-sept, dont vingt-huit pour la seule ville de Dakar. Faut-il en réduire le nombre pour les faire correspondre au nouvel électorat du parti ? Ou, au contraire, les conserver pour assurer le meilleur « maillage » possible du pays ? Le congrès tranchera, même si, tout le monde en convient, le PS ne pourra indéfiniment entretenir une aussi lourde machine, ne serait-ce que pour des raisons financières. Depuis la catastrophe des dernières législatives, les caisses, en effet, sont vides. Où est donc passé le fameux « trésor de guerre » – 6 milliards de F CFA, disait-on – que les adversaires du premier secrétaire l’accusaient d’avoir constitué ?
L’intéressé soutient que l’essentiel des ressources provient des indemnités partiellement reversées par les dix députés : 1,5 million de F CFA par mois, au total. Apparemment, ce n’est pas assez. Au siège du PS, dans le quartier populaire de Colobane, l’heure est à l’austérité : les quarante-cinq salariés ont tous été licenciés « à l’amiable ». Le PS n’est plus aux affaires et, en Afrique plus qu’ailleurs, ça change tout.
N’empêche, il faut bien « exister », tenter de tenir la dragée haute au gouvernement. Certains militants reprochent amèrement à la direction de trop ménager le régime. De fait, au cours des trois premières années de l’alternance, les socialistes, accaparés par leurs dissensions, ont largement abandonné le terrain de la contestation à Djibo Kâ, puis, après son départ du gouvernement (le 3 mars 2001), à Niasse. Bien qu’électoralement plus faibles, les partenaires du PS au sein du Cadre permanent de concertation de l’opposition (CPC) semblent avoir pris une ou plusieurs longueurs d’avance sur lui.
À l’évidence, Tanor a entrepris de réagir et, depuis plusieurs semaines, n’épargne plus ses critiques au gouvernement. « Il y a des opposants plus flamboyants et virulents que nous, mais à chacun son style, se défend-il. Nous ne nous croyons pas obligés d’être systématiquement contre les décisions du pouvoir, contrairement à ce que faisait Wade lorsqu’il était dans l’opposition. Il a appris aux jeunes Sénégalais des contre-valeurs comme la désobéissance civile. Certains sont en train lui appliquer la même recette. »
Ces saillies irritent manifestement le camp adverse. Après avoir longtemps loué les « qualités républicaines » du patron du PS, qui entretient d’ailleurs des relations plus que cordiales avec le Premier ministre Idrissa Seck, et tenté de le rallier à la cause gouvernementale, Wade paraît aujourd’hui désorienté par la violence des critiques dont il est l’objet.
Commentaire d’un responsable socialiste : « Le chef de l’État a la mémoire courte. Car enfin, que n’a-t-il pas dit et écrit sur Diouf et sa famille lorsque nous étions au pouvoir ! En comparaison, je trouve Tanor presque modéré. Si le naufrage du Joola avait eu lieu du temps de Diouf, soyez sûr que Wade n’aurait pas hésité à faire descendre les jeunes dans la rue, qu’il aurait tenté de renverser le régime. Il commence à se rendre compte de ce que c’est que d’essuyer des critiques. »

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