Islam de France : de la peur à l’espoir

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Revenu à Paris en 1975, après une vingtaine d’années passées au Maghreb, j’ai rencontré un jour un ami français, polytechnicien, qui me demanda quel était mon nouveau travail. Je lui dis que je venais d’être chargé par les évêques français d’animer le Secrétariat pour les relations avec l’islam qu’ils venaient de créer. Cet ami me répondit qu’il ne voyait pas du tout l’utilité de ce Secrétariat car, m’expliqua-t-il, « l’islam, en France, n’a aucune importance, les « intellectuels » s’en éloignant et les ouvriers immigrés ont trop de soucis matériels pour avoir le temps de s’en occuper ». Je lui répondis qu’il se trompait.
Je le revis quinze ans plus tard, et il me demanda si je m’occupais toujours des relations entre l’Église et l’islam. Puis, avant ma réponse, il ajouta : « De nos jours, pour nous, Occidentaux, l’islam est vraiment le problème majeur, la menace numéro un : il est, en ce début du XXIe siècle, le plus grand péril pour l’Europe. » Je lui rappelai alors notre conversation de 1975, en lui faisant remarquer qu’il s’était alors trompé. Puis j’ajoutai qu’il se trompait encore en prétendant que l’islam est « un danger pour l’Occident ».

Je me suis souvent demandé pourquoi tant d’Européens et d’Américains de toutes tendances, croyants et non croyants, ont peur de la religion musulmane. Il y a, certes, les contentieux historiques, si présents encore dans les mentalités collectives ; il y a aussi certaines réalités contemporaines qui – hélas ! – donnent de l’islam une image aussi inquiétante que caricaturale, largement médiatisée en Occident. Il y a surtout, y compris dans certains milieux cultivés, une immense ignorance. Ont peur de la religion musulmane ceux qui ne connaissent pas vraiment le message du Coran et les valeurs spirituelles, éthiques, sociales dont il est la source, dans le prolongement des prophètes bibliques et de l’Évangile.
Il est donc important que les musulmans de France aient des porte-parole compétents et représentatifs, qui puissent établir des relations sereines, confiantes et fécondes avec les pouvoirs public ainsi qu’avec les autres familles spirituelles et les médias. À cet égard, il faut être reconnaissant au ministre de l’Intérieur chargé des cultes, Nicolas Sarkozy, d’avoir aidé les musulmans de notre pays à mettre en place le Conseil français du culte musulman (CFCM).
Affrontant les critiques et les mises en garde, refusant de qualifier hâtivement et injustement telle ou telle association d’« intégriste », le ministre de l’Intérieur et ses conseillers se sont efforcés de réunir autour d’une même table des croyants représentant les divers courants et sensibilités qui existent au sein de leur communauté : car, comme le christianisme, comme le judaïsme, l’islam est à la fois un et divers. Il est donc important que ses représentants parlent d’une même voix quand il s’agit de la foi et du culte, tout en ayant des options différentes, dans les domaines politique, social et culturel.
Il appartient désormais aux musulmans eux-mêmes de faire en sorte que le CFCM réponde aux espoirs mis en lui en assumant la grande et belle tâche qui est la sienne : faire en sorte que l’islam soit enfin, dans notre pays, « une religion comme les autres », et qu’ainsi, aux côtés des Églises chrétiennes, du judaïsme, du bouddhisme, il apporte sa contribution à la promotion des valeurs spirituelles, éthiques, civiques dont notre société a bien besoin.

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Bien entendu, il faudra faire en sorte que soient résolus quelques problèmes délicats, en particulier celui des liens existant entre les musulmans de France et les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Mais là aussi, il faut aborder la question avec sérénité et objectivité : car s’il est souhaitable que, financièrement, l’islam de France ne dépende pas des pays étrangers, s’il est nécessaire qu’il ne reste pas, politiquement, sous l’influence de tel ou tel gouvernement arabe, africain ou asiatique, il est légitime, en revanche, et tout à fait normal que des relations existent entre coreligionnaires vivant en diverses régions du monde : catholiques et protestants africains n’ont-ils pas des relations avec les Églises chrétiennes d’Europe et des États-Unis ? Quant aux juifs européens et américains, ils entretiennent avec l’État d’Israël des liens étroits, allant parfois jusqu’à un excessif soutien politique, même quand cet État ne respecte pas le droit international. Pourquoi alors reprocherait-on aux musulmans – et aussi aux chrétiens – occidentaux de soutenir la juste cause de leurs frères palestiniens ? L’essentiel est que le pluralisme religieux ne conduise pas à de redoutables « communautarismes » qui menacent l’unité nationale et refusent une saine laïcité.
Dans la mesure où il en sera ainsi – et cela me semble facile à réaliser – l’islam, bien loin d’être « un péril pour l’Occident », pourra, au contraire, comme les autres familles spirituelles et avec elles, apporter une précieuse contribution à l’éducation civique et morale dans notre société occidentale, ainsi qu’à la solidarité et à la paix entre les peuples riverains de la Méditerranée.

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