[Tribune] Faveurs à l’égard d’Israël : Cyrus, Trump et Ubu roi
Plusieurs des faveurs de Donald Trump à l’égard d’Israël semblent s’inscrire dans une folie messianique qui voudrait que le président américain soit le nouveau Cyrus, futur Messie censé instaurer la paix universelle.
Dans son livre, le prophète Isaïe déclare que Cyrus, l’empereur des Perses, grand ami des Hébreux puisqu’il leur permit de reconstruire leur État détruit par Nabuchodonosor, aurait été, s’il avait bien voulu installer sa capitale à Jérusalem, le Messie attendu qui aurait instauré la paix universelle. « Ainsi parle le Seigneur à son messie, à Cyrus, qu’il a pris par la main pour lui soumettre les nations et désarmer les rois… » (Is 45-1). Mais Cyrus préféra le confort de sa capitale à la bourgade provinciale en ruine qu’était alors Jérusalem. Ainsi ne fut-il pas le Messie. Partie remise ! Cinq siècles plus tard, Jésus reprendra le rôle.
Trump n’a probablement jamais lu Isaïe – si tant est qu’il ait jamais lu autre chose que ses relevés bancaires. Mais ses principaux alliés, les évangéliques, ces chrétiens réformés qui l’ont porté au pouvoir, ont non seulement lu le Livre d’Isaïe, mais ils en ont fait leur livre de chevet. On peut légitimement supposer qu’ils n’ont pas manqué, sans doute par l’intermédiaire du vice-président, Mike Pence, le plus ardent des évangéliques, de flatter sa mégalomanie en lui murmurant à l’oreille : Cyrus, le Roi des rois, c’est peut-être toi.
Fantasmes messianiques
Il arrive que les fantasmes mènent le monde, les fantasmes messianiques particulièrement. Les évangéliques, ce courant particulier du protestantisme qui a le vent en poupe, sont, malgré leur antisémitisme déclaré, les plus grands soutiens d’Israël, pécuniairement mais surtout politiquement, à travers Trump, comme à travers le président brésilien Bolsonaro. Comment comprendre ce curieux paradoxe ?
C’est que, contrairement aux catholiques, les évangéliques croient dur comme fer à la parousie, c’est-à-dire au retour glorieux et définitif de Jésus. Ils la pensent même imminente. Or, selon leur théologie, ce retour est conditionné par celui, préalable, des Juifs en terre de Canaan, avec Jérusalem pour capitale. Alors, mais seulement alors, Jésus reviendra en gloire et obligera ces Juifs à la nuque raide à se convertir. Puis s’instaurera à jamais sur terre le temps messianique. Une histoire de fous, certes, mais une folie partagée par des centaines de millions d’hommes.
Si Trump est bien le nouveau Cyrus, alors les ayatollahs qui gouvernent l’Iran ne sont que de fieffés usurpateurs qu’il convient de chasser au plus vite du pouvoir
Plusieurs des faveurs de Trump à l’égard d’Israël s’inscrivent dans cette folie. D’abord, si Trump est bien le nouveau Cyrus, alors les ayatollahs qui gouvernent l’Iran ne sont que de fieffés usurpateurs qu’il convient de chasser au plus vite du pouvoir. On ne saurait discuter avec de tels individus, et les éventuels accords signés avec eux par ses prédécesseurs, ces pauvres d’esprit, sont nuls et non avenus.
Ensuite, il est urgent de reconnaître à Jérusalem le statut de capitale d’Israël, ce qui s’est traduit concrètement par le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Cette installation symbolique s’est accompagnée de la bénédiction d’un pasteur évangélique, notoirement antisémite.
Trump, « Messie roi d’Israël »
Il faut aussi donner à l’État juif un Lebensraum, comme disait Goebbels, c’est-à-dire un espace vital. D’où, pour commencer, la proclamation du Golan occupé comme territoire israélien. Ce geste du nouveau Cyrus fut salué par la création d’une nouvelle implantation, pour l’instant déserte, baptisée Ramat Trump, soit « les Hauts de Trump ». À ce confetti territorial ne tarda pas à s’ajouter l’affirmation de la légalité des implantations israéliennes en Cisjordanie, encouragement direct à en créer beaucoup d’autres.
La preuve que le fantasme Cyrus caresse l’ego de Trump, on la trouve dans la déclaration qu’il a faite lors d’une réunion avec des membres de la communauté juive américaine : « 98 % des Israéliens me soutiennent, leur a-t-il dit ; s’il m’arrive quelque chose ici [c’est-à-dire un impeachment], je m’envole pour Israël et, en peu de temps, je deviendrai Premier ministre. » Il n’osa pas avouer le fond de sa pensée et dire « Je deviendrai le Messie roi d’Israël, ce que Cyrus n’avait pas osé être. »
Devant de tels faits, on ne peut que regretter l’absence de services d’urgence psychiatrique, de Casques bleus sanitaires à l’échelle mondiale. En fait, il semble que dans le choix de leurs références, les évangéliques et leur agent Trump se soient trompés d’ouvrage. Ce n’est pas le Livre d’Isaïe qu’ils ont lu, mais celui, peut-être rangé alphabétiquement sur la même étagère, de Jarry Alfred, auteur d’un autre livre sacré : Ubu roi.
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