Folie xénophobe à Dakar et à Nouakchott

Publié le 24 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Le 22 avril 1989, mais aussi les jours suivants, une fièvre antinaare s’empare de Dakar. Barres de fer à la main, de véritables bandes de hooligans sillonnent la capitale sénégalaise, attaquent et pillent les boutiques des Beydanes, les Maures blancs, communément appelés, ici, les Naars. L’ambassade de Mauritanie échappe de peu à la mise à sac. Devant le déchaînement de la violence, l’armée est mise à contribution pour épauler la police et la gendarmerie, très vite débordées. Telle une épidémie, le mouvement gagne la banlieue et les villes de province. Mbour, Diourbel, Louga, Tambacounda, Kolda et Ziguinchor s’embrasent à leur tour.
Le 24 avril, la folie xénophobe s’empare de la Mauritanie, située sur l’autre rive du fleuve Sénégal. Dans la capitale, Nouakchott, des ressortissants sénégalais sont tabassés et tués. En représailles, les pillages reprennent de plus belle à Dakar, le gouvernement proclame l’état d’urgence et instaure le couvre-feu. De part et d’autre, les scènes de vandalisme sont accompagnées d’actes d’une sauvagerie inouïe : corps mutilés, têtes coupées, femmes éventrées, enfants égorgés. Les victimes, dans les deux pays, se comptent par dizaines. Des milliers de Mauritaniens quittent précipitamment un pays où ils vivaient, bien souvent, depuis plusieurs décennies. Fuyant l’enfer, certains Sénégalais empruntent des moyens de fortune – notamment, des pirogues – pour retourner chez eux.
Ce tragique bilan surprend tous ceux qui connaissent les traditions d’hospitalité et l’esprit de tolérance des peuples sénégalais et mauritanien. L’Organisation de l’unité africaine, les Nations unies, la Ligue arabe, l’Union du Maghreb arabe et l’Organisation de la conférence islamique appellent à l’arrêt des pogroms. El Hadj Abdoul Sy, le khalife général des Tidjanes, la plus importante confrérie musulmane du Sénégal (elle compte aussi de nombreux adeptes en Mauritanie) « supplie à genoux » les uns et les autres de « revenir à Dieu », tout en demandant aux présidents Abdou Diouf et Maaouya Ould Sid’Ahmed Taya de « prendre leurs responsabilités ». L’archevêque de Dakar, Hyacinthe Thiandoum, déplore ces atrocités et en appelle à la paix. Dans la classe politique, seul Abdoulaye Bathily, de la Ligue démocratique, semble émerger du lot. « Le Sénégal doit, dit-il, demeurer une terre d’accueil et d’hospitalité, où chaque personne, quelles que soient sa race, sa religion et ses opinions, peut vivre et travailler en toute sécurité. » Du côté de la Mauritanie, où le pluralisme politique n’est pas [encore] de mise, on ne note aucune voix discordante…
Les journées folles du mois d’avril 1989 étaient-elles prévisibles ? Sans doute. Le 9 avril, un incident, passé pratiquement inaperçu, avait donné le signal. Ce jour-là, lassés de chasser les dromadaires et les bovins venus de Mauritanie paître dans leurs champs, des villageois de Diawara, à l’est du Sénégal, décident de poursuivre des éleveurs mauritaniens, en fuite, jusque sur leur propre sol, de l’autre côté du fleuve. Deux d’entre eux sont tués par, semble-t-il, des gardes mauritaniens. Quelques jours plus tard, à environ 150 km de là, une rixe entre Sénégalais et Mauritaniens fait de nouvelles victimes, compliquant davantage les relations entre deux pays certes unis par la géographie, mais dont la cohabitation et les relations de bon voisinage ne sont pas exemptes de préjugés.
Pour dire les choses brutalement, d’un côté, le Sénégalais traite généralement le Maure avec quelque mépris. Le Naar exerce généralement le métier de petit commerçant que le Wolof, le Sérère ou le Lébou considèrent comme indigne d’eux. Et, de l’autre côté, le Sénégalais n’est, dans l’inconscient collectif des Maures, que le frère de sang (et de peau) de ceux qu’on appelle pudiquement les « Négro-Mauritaniens » et qui vivent le long du fleuve Sénégal. Les Sénégalais ont toujours eu le sentiment que leurs frères étaient traités en Mauritanie, sinon comme des citoyens de seconde zone, du moins comme des « citoyens différents ».
Quatorze ans après les pogroms de Dakar et de Nouakchott, le temps semble avoir fait son oeuvre. La loi séculaire des échanges humains, économiques et migratoires de part et d’autre du fleuve a repris le dessus. Beaucoup de Mauritaniens – pas tous – ont rouvert leurs bazars à Dakar, à Thiès et à Saint-Louis. Et les pécheurs, maçons et autres entrepreneurs sénégalais n’ont jamais été aussi nombreux à Nouakchott…

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