Enquête sur le sang contaminé

La justice française ouvre enfin une instruction sur l’exportation, par l’Institut Mérieux, en 1985, de lots de fractions anticoagulantes destinées aux hémophiles tunisiens.

Publié le 23 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Cinq mois après le dépôt d’une plainte contre X, à Paris, pour homicide involontaire dans le cadre du volet tunisien de l’affaire du « sang contaminé », un juge d’instruction vient enfin d’être désigné. La justice française va pouvoir commencer à enquêter sur l’exportation vers la Tunisie, en novembre 1985, par l’Institut Mérieux, de lots de fractions anticoagulantes destinées aux hémophiles. Ces lots n’avaient pas été chauffés, alors que la dangerosité de ces dérivés sanguins collectés aux États-Unis, un pays très touché par le virus du sida, était connue. L’envoi de seize de ces flacons (voir notre enquête dans J.A.I. n° 2188) est susceptible d’avoir contaminé des malades tunisiens, à qui ces fractions plasmatiques ont été administrées au moins jusqu’en janvier 1986. C’est la famille d’Abdelkader Fradi, un jeune hémophile mort du sida en 1989, qui est à l’origine de la plainte. La victime était française par sa mère, Joséphine Fradi, une infirmière mariée à un Tunisien et installée dans la région de Sousse.
Une affaire compliquée car le laboratoire Mérieux est devenu entre-temps une filiale du groupe Aventis Pasteur. En dépit de sollicitations multiples de la presse et de l’avocat de la famille Fradi, Me François Honnorat, le groupe Aventis Pasteur s’est refusé à communiquer et à ouvrir les archives Mérieux. L’enjeu est de taille. La famille de la victime a réussi, après dix années de vaines requêtes, à se procurer la liste des lots administrés au jeune Abdelkader à l’hôpital de Sousse. Le rapprochement entre les numéros des lots incriminés et la liste des produits non chauffés exportés par Mérieux, conservée théoriquement dans les archives du groupe, peut permettre d’établir la responsabilité du laboratoire dans la mort du patient. « L’exportation de produits non chauffés, dont on savait depuis novembre 1984 qu’ils étaient dangereux, constituerait au moins un manquement grave à une obligation de sécurité », précise Me Honnorat. Le laboratoire pharmaceutique pourrait être condamné au pénal et à verser une indemnisation à la famille. Ce qui ouvrirait la voie à des poursuites émanant d’autres victimes, si la Tunisie se résolvait à informer les autres transfusés qui ont reçu des produits suspects. Ce qu’elle s’est bien gardée de faire jusqu’à présent…
Pour l’instant, la perspective du procès reste lointaine. La désignation du juge Marie-Odile Bertella-Geoffroy marque seulement le point de départ de l’enquête. La magistrate connaît bien le dossier. Elle a mené l’instruction du volet français de l’affaire du sang contaminé. Faute de victimes identifiées et de plaintes recevables, elle n’avait pu pousser plus avant les investigations sur ses ramifications internationales (en Grèce, en Libye, en Égypte, en Irak et au Bénin notamment). Mais la juge Bertella-Geoffroy croule sous les dossiers. Elle a aussi en charge l’affaire Buffalo Grill, qui défraie la chronique en France depuis le mois de décembre 2002. Elle risque donc de tarder un peu avant de lancer les commissions rogatoires pour récupérer les archives Mérieux ainsi que la commission rogatoire internationale qui devrait permettre de mettre la main sur le dossier médical d’Abdelkader Fradi, que l’hôpital de Sousse a toujours refusé de transmettre à la famille. Le retour des documents – les numéros des lots non chauffés exportés – est essentiel. Une fois ces documents acquis, la famille pourra se tourner, en attendant le procès, vers une des institutions françaises créées dans la foulée du scandale du sang contaminé pour indemniser les victimes. Il en existe deux : le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles (Fith), et la Commission d’indemnisation des victimes des infractions pénales (Civip). s

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