[Tribune] Alternances en trompe l’œil

L’emprisonnement de Hama Amadou, le principal opposant nigérien, rappelle à quel point les règlements de comptes violents et les bras de fer impitoyables sont inhérents aux mœurs politiques des classes dirigeantes en Afrique.

Hama Amadou (Niger), ancien Premier ministre, élu président de l’Assemblée nationale en avril 2011. © Vincent FOURNIER pour Jeune Afrique

Hama Amadou (Niger), ancien Premier ministre, élu président de l’Assemblée nationale en avril 2011. © Vincent FOURNIER pour Jeune Afrique

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  • Jean-Pierre Olivier de Sardan

    Chercheur au Lasdel (Laboratoire d’études et de recherche sur les dynamiques sociales et le développement local), directeur de recherche au CNRS.

Publié le 4 décembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Après quatre années d’exil, Hama Amadou est à nouveau derrière les barreaux, depuis le 18 novembre. Si l’emprisonnement du principal opposant nigérien tient à une sombre affaire de droit commun concernant essentiellement son épouse – soupçonnée d’être impliquée dans un réseau d’achat de bébés –, il rappelle à quel point les règlements de comptes violents et les bras de fer impitoyables sont inhérents aux mœurs politiques des classes dirigeantes en Afrique, tous clans confondus, les ennemis d’aujourd’hui étant les amis d’hier et peut-être les alliés de demain.

Certes, dans les cercles du pouvoir, on assure que l’incarcération de Hama Amadou relève d’une décision de justice prise en toute indépendance. Mais bien rares sont au Niger, comme ailleurs en Afrique, ceux qui croient à ce principe dès lors que des hommes politiques de premier plan sont concernés.

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Violence pénale

Comment pourrait-il en être autrement tant le passage par la case « prison » est fréquent dans le parcours des hommes politiques du continent ? On ne peut hélas pas y voir un signal positif émanant de la justice, qui serait implacable envers les suspects quel que soit leur rang. Selon les termes mêmes de ceux que nous avons interrogés, les magistrats sont souvent vénaux et soumis aux injonctions du pouvoir. Les règlements de comptes politiques par le biais de la justice sont habituels : l’opération Épervier au Cameroun en est l’illustration la plus connue.

Le plus regrettable dans ces affaires, c’est qu’il n’y a ni bons ni méchants. Ceux qui instrumentalisent la justice aujourd’hui sont souvent ceux-là mêmes qui en étaient les victimes hier, quand ils étaient dans l’opposition, et ceux qui sont en prison aujourd’hui n’étaient pas les derniers à se rapprocher de gardes des Sceaux corrompus et de magistrats complaisants pour faire exécuter leurs ordres quand ils étaient au pouvoir (Hama Amadou en a lui-même fourni l’exemple).

Cela relativise d’autant les alternances, tant applaudies par les observateurs occidentaux

L’usage de la violence pénale s’exerce ainsi au sein d’une classe politique qui partage profondément les mêmes comportements, exerce le même type de gouvernance, et concasse les opposants avec les mêmes procédés, qu’ils bénéficient du pouvoir ou qu’ils le dénoncent. C’est un tout petit monde, où prospèrent les rivalités de proximité, et où coexistent connivences et haines, mariages et divorces, sourires et coups bas.

Cela relativise d’autant les alternances, tant applaudies par les observateurs occidentaux, qui leur décernent un brevet de démocratie. Ceux qui, quand ils étaient dans l’opposition, dénonçaient l’instrumentalisation de la justice, la politisation de l’administration, le trucage des élections et l’affairisme des dirigeants, mettent, une fois arrivés au pouvoir, leurs pieds dans les traces de leurs prédécesseurs. Ce sont ainsi des alternances sans rupture avec les mœurs politiques en vigueur.

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Un tout petit monde

L’exemple de la lutte contre la corruption en est une illustration. C’est une revendication réitérée de toutes les oppositions, mais celles-ci oublient bien vite de passer à l’action une fois installées au pouvoir. Quant aux gouvernants eux-mêmes, qui mettent en avant le combat contre ce fléau dans des discours vigoureux pour apparaître comme de bons élèves face aux bailleurs de fonds, ils se gardent bien de s’attaquer à ses vecteurs principaux, qui résident dans les allées du pouvoir.

Ces dirigeants sont particulièrement « tolérants » envers la corruption électorale, car elle fonde la puissance (et la capacité de nuisance) des grands hommes d’affaires et autres opérateurs économiques qui seuls peuvent financer les énormes dépenses engagées lors des campagnes électorales. Dès lors, la lutte contre la corruption, quand elle ne sert pas de prétexte pour régler des comptes politiques, se résume à désigner quelques boucs émissaires de second rang, à s’attaquer de façon spasmodique à la corruption « d’en bas », et/ou à créer des instances ad hoc privées des moyens réels de leur mission.

Adopter une stratégie de rupture signifierait se mettre à dos une grande partie de ceux qui l’ont soutenu

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Il est vrai que rompre avec les mœurs politiques en place n’est pas chose facile. Un nouveau président est à divers égards prisonnier de ceux qui l’on fait roi. Il doit alors offrir des postes, allouer des marchés publics ou accorder une certaine impunité aux militants et aux cadres de son parti qui se sont battus pour lui, aux alliés grâce à qui il a remporté la victoire finale, aux hommes d’affaires qui ont financé sa campagne ou encore aux préfets, aux gouverneurs, aux chefs traditionnels et aux leaders religieux qui ont mobilisé l’opinion à son profit. Adopter une stratégie de rupture signifierait se mettre à dos une grande partie de ceux qui l’ont soutenu, sans pour autant rallier à sa cause ceux qui l’ont combattu.

Rejet de la classe politique

Cette redevabilité envers son camp est une des raisons qui empêchent tout président nouvellement élu de se mettre au-dessus des partis, de pacifier politiquement le pays, de tendre la main à ses opposants, de quitter ses habits de chef de faction pour endosser ceux de chef d’État représentant désormais le pays tout entier et non plus seulement ceux qui l’ont soutenu. Les cas de la Guinée et du Bénin illustrent ce phénomène tout autant, voire plus, que celui du Niger. Il est vrai que la responsabilité des oppositions est aussi engagée, car elles agissent conformément aux mêmes usages politiques.

C’est justement pour cela qu’une rupture avec ces mœurs est tant espérée par la grande majorité des populations. C’est ce qui fonde la popularité aujourd’hui encore d’un Thomas Sankara. Le rejet de la classe politique dans son ensemble s’est généralisé et débouche sur une crise de la démocratie elle-même. Celle-ci ne survivra que si la rupture s’opère. Sinon, ce sont ceux qui proposent des alternatives à la démocratie qui feront recette.

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