Une oasis dans le génocide

« Hôtel Rwanda » raconte l’histoire vraie d’un hôtelier hutu qui sauva plus d’un millier de Tutsis en 1994. Sur les écrans en France le 30 mars.

Publié le 22 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Un million de morts en cent jours, un pays à feu et à sang, une communauté internationale sourde et muette. Pourtant, en ces jours noirs de 1994, il y a eu des hommes, des justes. Hôtel Rwanda, de l’Irlandais Terry George, raconte l’histoire vraie de Paul Rusesabagina, directeur de l’hôtel de luxe Les Mille Collines à Kigali. Il est hutu, il sauvera 1 268 Tutsis d’une mort certaine.
Une ville qui défile à travers les vitres du véhicule tout-terrain, des collines tachetées par des bananeraies, une route percée de nids-de-poule, un chauffeur qui sifflote un air de radio, un directeur d’hôtel qui parle de cigares cubains. Ça se passe à Kigali, ça aurait bien pu être, aux premières images du film, dans une autre ville africaine, insouciante, grouillante et vivante. Mais nous sommes en 1994, quelques jours avant le début du génocide. Très vite, le réalisateur Terry George distille un malaise, une tension. Une caisse de machettes neuves, entreposée entre les provisions de riz, de haricots et de whisky ; une manifestation de Hutus, machettes aux poings ; la radio qui lance des appels à la révolte et qui émaille ses émissions de « Surveillez vos voisins ».
Par un jeu troublant de contrastes, Terry George nous montre d’un côté la violence grandissante, avec les arrestations brutales et les incendies dans la ville, et, de l’autre, la quiétude aveugle, les touristes au bord de la piscine des Mille Collines, la musique d’ascenseur pour accompagner les cocktails, les filles en robes de soirée, les hommes qui plaisantent…
Si le film dénonce la capitulation de la communauté internationale, il montre aussi que certains Rwandais ont été, eux-mêmes, surpris par la tournure des événements. Rusesabagina ne veut croire à cette rumeur qui court dans la ville, qui dit qu’au signal radiophonique « il faut couper les grands arbres ». Ce qui l’obsède, c’est de garder intacte la réputation de son hôtel, une oasis de paix dans la tourmente. Pourtant, les images tournées par une équipe de télé – des massacres à l’arme blanche – le réveillent. Le soir même, il découvre que tous ses voisins sont chez lui, cachés dans le noir, parce qu’il est le seul Hutu en qui les Tutsis peuvent avoir confiance. Commence alors pour Rusesabagina un chemin de croix qu’il n’a pas choisi. Il protégera tous ceux qui viennent à lui, par hasard ou non, tous ceux qui trouvent refuge dans son hôtel, sa famille en premier, allant même jusqu’à faire promettre à sa femme de se jeter avec leurs enfants du haut du toit de l’hôtel car « mourir sous la machette n’est pas envisageable ». Essayant de composer avec la milice Interahamwe (« ceux qui résistent ensemble »), en soudoyant avec whisky et argent, en résistant aux menaces quotidiennes, en bluffant, Rusesabagina ira au bout de son courage.
Don Cheadle offre là une interprétation tout en finesse : pas de larmes, pas de crises, une émotion contenue. L’acteur américain a su incarner un Rusesabagina qui s’accroche aux détails de sa vie d’avant, celle où il était directeur du plus luxueux hôtel de Kigali : la chemise propre et bien repassée, le port droit et altier, le langage châtié, donnant aux réfugiés (qu’il désigne comme ses clients) du « Monsieur » même dans les pires moments. Comme si ces détails l’empêchaient de sombrer dans la folie et le désespoir. Malgré un sujet atroce, Terry George (l’auteur du scénario d’Au Nom du père) filme avec sobriété, sans manichéisme, s’attardant sur les hommes, sur les visages, sur les gestes quotidiens, sur la résistance de chacun. Ainsi Rusesabagina qui, avec les moyens du bord, organise un dîner aux chandelles pour sa femme sur le toit de l’hôtel avec, à l’arrière-plan, les étincelles des mitraillettes.
On sort de ce film abasourdi, admiratif du courage de cet homme au milieu de l’horreur. Le spectateur est un peu honteux pourtant, comme s’il s’était, lui aussi, fermé les yeux, bouché les oreilles en 1994. On restera hanté par la phrase du cameraman Jack, joué par Joaquin Phoenix. « Si les gens voient ces images, ils se diront « oh ! mon dieu, c’est terrible », puis ils termineront tranquillement leur dîner. »

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