Situation contrastée en Afrique

Le Conseil mondial de l’eau appelle le secteur privé à s’impliquer davantage dans lefinancement des infrastructures.

Publié le 23 mars 2005 Lecture : 9 minutes.

Pas question de poursuivre à ce rythme, clament en choeur les instances internationales, mais que faire ? Les éléments de réponse figurent dans la « Vision mondiale de l’eau » (World Water Vision), élaborée par quarante groupes régionaux qui ont travaillé dix-huit mois durant sur leur propre situation et les solutions d’avenir à lui appliquer (voir illustration page 60). Pour eux, « beaucoup de pays sont davantage confrontés à une crise de gouvernance qu’à une crise de l’eau » et ils appellent à une gestion financière plus efficace et plus appropriée de la ressource dans les pays en développement. En d’autres termes, il faut revoir les modèles de financement associant le public pour les infrastructures, et le privé pour leur exploitation. Ces partenariats restent cependant de mise en Afrique, comme le montrent les exemples qui suivent.

Tunisie
Les petits ruisseaux
Le Maghreb est l’une des régions du monde les plus exposées au risque de manque d’eau. Pas étonnant, dans ces conditions, que l’eau soit devenue une préoccupation majeure des autorités, qui la considèrent comme une ressource stratégique. Des grands barrages aux petites retenues communales, tout est bon pour récupérer et surtout stocker l’eau, si rare en certaines périodes de l’année. En Tunisie, l’eau fait l’objet d’un plan décennal 2001-2010. D’un côté, on veille à contrôler les pompages dans les nappes phréatiques, car on s’est aperçu que la multiplication des forages entraîne une surexploitation des nappes, dont le niveau baisse dangereusement par endroits. En outre, on s’efforce de mobiliser de nouvelles ressources. Plusieurs techniques sont mises en uvre. D’abord, on construit de nouveaux barrages pour mieux retenir les eaux de pluie et les stocker. Ensuite, on commence à exploiter les techniques de remplissage artificiel des nappes à partir des eaux de crue des rivières et même des eaux usées retraitées. La première
technique semble très prometteuse et a déjà permis de récupérer des centaines de millions de mètres cubes, qui, sans cela, seraient repartis vers la mer. Le traitement des eaux usées est également en plein développement. Des stations d’épuration permettent de sauvegarder les eaux sales domestiques et industrielles et de les réutiliser pour les
besoins de l’agriculture dans les périmètres irrigués situés à proximité des villes et des centres industriels. Les chiffres officiels font état d’un taux de récupération des eaux usées de 22 %. Enfin, le must de la technologie consiste à dessaler les eaux saumâtres (légèrement salées) ou de mer. Mais là, l’obstacle financier est de taille : la
technologie est extrêmement coûteuse et le procédé glouton en énergie, avec, au bout du compte, un prix de revient souvent dissuasif. Très développé dans les pays désertiques et
riches en pétrole du golfe Persique, l’usage de la désalinisation reste limité, en Tunisie, aux besoins des stations touristiques du sud du pays.

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Bénin
À Sô-Ava, l’eau se mérite
Avrai dire, l’eau ne manque pas à Sô-Ava. Située sur les bords du lac Nokoué, au nord de Cotonou et à l’embouchure de la rivière Sô, cette commune du Bénin est surtout réputée pour ses magnifiques villages lacustres, dont le plus connu est celui de Ganvié. Mais l’image idyllique des maisons sur pilotis et des pêcheurs en pirogue ne doit pas faire oublier que la population a difficilement accès à l’eau potable. Très peu de domiciles ont un branchement particulier, et l’immense majorité des 76 000 habitants doit se déplacer pour s’approvisionner. À ce jour, on compte une vingtaine de points de distribution. La plupart du temps, il s’agit de petits châteaux d’eau dont la pompe est alimentée par des panneaux solaires ou un groupe électrogène. Il y a aussi des puits et quelques bornes-fontaines. Financées en partie par le Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD) et le diocèse de Cotonou, la plupart de ces installations remontent à la fin des années 1980. Mais aujourd’hui, cela ne suffit plus et, selon le maire André Oussou Todjè, seuls 50 % des habitants profitent de ce réseau hydraulique. Les autres continuent à boire l’eau du lac, avec des conséquences sanitaires faciles à imaginer. En 2004, 83 cas de choléra ont été dénombrés, dont 3 décès. Cette année, alors que la décrue du lac durant la saison sèche n’a pas encore débuté, les premières maladies ont déjà fait leur apparition.
C’est dans ce contexte que la commune a décidé de lancer un nouveau programme de réhabilitation et d’extension des installations, en partenariat avec le CCFD, le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) et l’association Hydraulique sans frontière. Après une série d’études, les travaux doivent permettre de renforcer les canalisations, d’augmenter la capacité de stockage des châteaux d’eau, de remplacer certaines pompes défectueuses, mais aussi et surtout d’assurer une meilleure connexion entre les différentes localités. Tout cela a un coût. Pour le seul village de Sô-Tchanhoué, l’estimation est de 45 millions de francs CFA (68 000 euros). « Devant un tel budget, notre rôle consiste surtout à rechercher et à convaincre des bailleurs et notamment l’Union européenne », déclare Bruno Angsthelm du CCFD. L’autre défi porte sur la sensibilisation et l’implication des habitants. Sur ce point, André Todjè a sa petite idée : « Si on explique correctement les enjeux, la population acceptera d’apporter sa contribution. » La création d’une association pour gérer et entretenir le réseau est même envisagée. À Sô-Ava, l’eau continuera de couler.

Gabon
Intégration et rentabilité
Patrice Fonlladosa, le PDG de Veolia Water AMI (Afrique, Moyen-Orient, Inde), aime parler de la Seeg. Il est vrai que la Société d’énergie et d’eau du Gabon est un modèle de réussite pour son groupe en Afrique. Présent notamment au Niger, au Gabon et au Maroc, l’opérateur français dessert à ce jour près de 800 000 personnes et investit chaque année plus de 100 millions d’euros dans des pays émergents.
En 1997, date de la concession entre l’État et Veolia Water, la Seeg a procédé à une augmentation de capital de 15 milliards de F CFA (23 millions d’euros). En l’espace de huit ans, le nombre de ses abonnés a augmenté de 54 % pour l’électricité et de 68 % pour l’eau. Une baisse des tarifs de 17 % a été réalisée le 1er juillet 1997 et, depuis, leur évolution est restée inférieure à l’inflation. Un programme d’investissement de 200 milliards de F CFA est en cours d’exécution, ce qui a permis de réduire considérablement les délestages. Enfin, l’ensemble des clients de la Seeg peut sans risque boire l’eau du robinet, ce qui n’est pas si courant en Afrique subsaharienne. Ce bilan n’est pas surprenant dans la mesure où la population gabonaise, fortement urbanisée, dispose d’un pouvoir d’achat relativement élevé. Mais pour le PDG de Veolia Water AMI, il s’explique également par le modèle de concession retenu. Alors que la Banque mondiale a tendance à vouloir dissocier les métiers de l’eau et de l’électricité dans les pays en développement, cette logique de séparation a montré ses limites : « La distribution d’eau et celle d’énergie sont de nature différente, explique Patrice Fonlladosa. Mais en couplant ces activités, on peut parvenir plus facilement à l’équilibre financier et répondre ainsi à la question de la rentabilité. »

Mali
Tensions entre l’État et l’opérateur
Qu’adviendra-t-il d’Énergie du Mali (EDM SA) ? À Bamako, d’aucuns s’interrogent sur l’avenir de la société de production et de distribution d’eau et d’électricité, dont la concession a été attribuée en novembre 2000 au groupe français Saur en partenariat avec IPS, filiale du groupe de l’Aga Khan. Depuis plus d’un an, les relations sont très tendues avec le gouvernement malien (actionnaire à hauteur de 40 %). Au coeur du problème : le coût de l’énergie. Le tarif moyen, de l’ordre de 100 F CFA le kilowatt/heure (0,15 euro), est l’un des plus élevés de la sous-région. Ce qui explique, en partie, pourquoi seulement 12 % de la population a accès à l’électricité. La mise en eau, en 2001, du barrage de Manantali, d’une puissance de 200 MW (dont 52 % réservés à la consommation malienne, le reste allant au Sénégal et à la Mauritanie), a permis au pays de disposer d’un approvisionnement garanti : aujourd’hui, 85 % de l’énergie distribuée par EDM est de nature hydroélectrique. Les 15 % restants sont utilisés pour desservir des zones enclavées, comme Kidal à l’extrême Nord, mais coûtent très cher : EDM dépense autant pour les produire que pour l’hydroélectrique.
Le gouvernement malien reconnaît les progrès réalisés par EDM, notamment en termes de desserte : le nombre d’abonnés à l’électricité est passé de 80 000 à 140 000 en quatre ans, et celui des abonnés à l’eau de 56 000 à 89 000. Toutefois, il considère qu’EDM facture son électricité trop cher. À son arrivée au pouvoir, en janvier 2003, le président Amadou Toumani Touré a procédé à une première baisse des tarifs d’environ 12 %, versant 7,2 milliards de F CFA à EDM en compensation. En mai 2004, une nouvelle diminution de 8 % a été réalisée (avec effet rétroactif au 1er janvier), mais, cette fois, à l’initiative du Comité de régulation de l’eau et de l’électricité (CREE). L’organe de régulation économique du secteur estime avoir calculé cette baisse des tarifs de telle sorte que l’équilibre économique et financier d’EDM soit préservé. Ce que contestent Saur et IPS, états financiers à l’appui, ajoutant que cette réduction des prix ne leur permet plus d’assurer les investissements. À ce jour, les deux parties avancent des résultats très différents : alors que le Cree estime que l’entreprise a enregistré un bénéfice de 3 milliards de F CFA en 2004, EDM indique avoir enregistré des pertes de 8 milliards de F CFA et conteste la compétence et l’indépendance du CREE (dont les membres sont nommés par décret).
Pour tenter de sortir de l’impasse, le ministère des Mines et de l’Énergie et les partenaires Saur et IPS ont signé, sous l’égide des bailleurs de fonds, dont la Banque mondiale (qui est à l’origine de la privatisation), un protocole de négociation. Aujourd’hui, les deux parties sont d’accord pour transformer la concession en affermage, une solution plus adaptée à la réalité malienne et au pouvoir d’achat de la population (et d’ailleurs en usage dans la plupart des pays africains qui ont procédé à la privatisation de leurs services publics d’eau et d’électricité). Par ce contrat, les obligations de Saur et d’IPS se limiteraient à la seule gestion commerciale tandis que l’État aurait la responsabilité des investissements ainsi qu’une plus grande liberté dans la fixation des tarifs. Reste, pour EDM, à compenser les pertes accumulés jusqu’à présent (1 milliard de F CFA par mois depuis septembre 2004, indique-t-elle). Pour l’heure, les discussions sur ce volet sont au point mort.

Côte d’Ivoire
La CIE sous pression
La Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) est sous haute tension. Cette société privée, chargée d’assurer la production et la distribution de l’électricité dans toute la Côte d’Ivoire pour le compte de l’État, subit de plein fouet les tensions politiques. Les difficultés proviennent notamment de l’impossibilité, depuis le début de la crise, en septembre 2002, de recouvrer les factures dans la région sous contrôle des Forces nouvelles. Cet important manque à gagner s’est traduit par les premières pertes enregistrées par la société. L’aggravation de la situation financière de l’entreprise risque d’entraîner à court terme une dégradation générale du service et une remise en question des investissements programmés pour répondre à la hausse continue de la demande.
Des négociations impliquant les Forces nouvelles sont en cours pour tenter de résoudre le problème, mais, pour le moment, sans succès. Faut-il alors priver le Nord d’électricité ?
C’est ce qu’avait fait le gouvernement au début du soulèvement armé. À la suite du refus des responsables de la CIE d’obtempérer, le gouvernement avait même réquisitionné
l’entreprise. Devant les vives protestations s’élevant de toutes parts, la réquisition avait été levée et le courant rétabli quelques jours plus tard…
Un autre problème vient du sentiment antifrançais qui a été ravivé dans la population ivoirienne par les événements de novembre dernier, lorsque l’armée française a tué des civils ivoiriens. La CIE est montrée du doigt comme symbole de la « recolonisation » française dans la mesure où deux groupes français, la Saur, filiale du groupe Bouygues, très présent en Côte d’Ivoire, et EDF International, détiennent la majorité du capital de
l’entreprise. C’est en novembre 1990 que la CIE a obtenu la concession de l’exploitation des installations appartenant à l’État pour une durée de quinze ans. L’échéance intervient
donc en novembre prochain, date à laquelle le contrat devra être renégocié. À la CIE, on redoute que le contexte actuel ne rende ces négociations « très délicates ».

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