Rodrigo de Rato

Pour le patron du FMI, les pays en développement doivent s’approprier leur politique économique. Et procéder à de nouvelles réformes.

Publié le 22 mars 2005 Lecture : 10 minutes.

Rien ne semblait le destiner à prendre la tête du Fonds monétaire international. Pourtant, il y a tout juste un an, Rodrigo de Rato y Figaredo, 55 ans, est devenu le candidat de l’Europe à la direction générale du FMI. Appuyé par le Royaume-Uni contre le candidat de la France, il est le premier Espagnol à diriger une institution financière internationale. Élu le 7 juin 2004, le nouveau DG est arrivé à Washington précédé d’une solide réputation. Ministre de l’Économie de José María Aznar de 1996 à 2004, il incarne le miracle ibérique dans toute sa splendeur. Croissance exceptionnelle, réduction spectaculaire du chômage… Ce baron du Parti populaire (PP) peut s’enorgueillir d’un bilan plutôt flatteur. À tel point que son nom a figuré sur la liste des « Premiers ministrables » espagnols. Rato n’a donc pas le profil technocratique de ses prédécesseurs, le Français Michel Camdessus et l’Allemand Horst Köhler. Politicien dans l’âme, il est censé redonner de l’autorité à l’institution qu’il dirige.
Né à Madrid en 1949, Rodrigo de Rato est peu connu de l’opinion publique internationale. Titulaire d’un MBA et d’un doctorat en économie, il fut élu député pour la première fois en 1982. Vétéran du PP, il fréquente la scène politique madrilène depuis plus de vingt ans. Son accession au poste de grand argentier lui a permis de se faire connaître de ses collègues européens. En revanche, l’homme paraît moins familier des pays en développement, auxquels il est appelé, de par ses fonctions, à s’intéresser de près. Surtout depuis que le G7 s’est emparé du dossier de l’aide aux États les plus pauvres.
Plaidant pour une annulation de la dette publique des pays du Sud, le chancelier de l’Échiquier, Gordon Brown, s’est fixé deux objectifs dans le cadre de son « plan Marshall » pour l’Afrique : l’annulation de 100 % de la dette multilatérale des pays pauvres et la création d’une Facilité financière internationale (IFF) visant à doubler, d’ici à 2015, le montant annuel de l’aide au développement. Mais le Royaume-Uni n’est pas seul à faire assaut de générosité en la matière. Il est suivi de près par la France et les États-Unis, qui veulent aussi se faire entendre. Parmi les propositions, on reparle avec insistance de la vente du stock d’or du FMI, qui, une fois réévalué, pourrait permettre de dégager quelque 8,5 milliards de dollars en faveur de l’aide aux plus démunis. Sollicité par le G7, Rodrigo de Rato doit se prononcer sur le sujet en avril. Mais pour le patron du Fonds, les éternels débats entre donateurs n’ont que trop duré. Il y a urgence ! C’est pourquoi il appelle les pays développés à parvenir le plus rapidement possible à un consensus sur la question. De la même manière, ce libéral convaincu préconise une ouverture des marchés des pays développés aux exportations en provenance des pays pauvres. « Le protectionnisme dont font preuve les pays riches, en particulier dans les secteurs agricoles et industriels, est indéfendable, s’insurge-t-il. La libéralisation des échanges et la suppression des subventions agricoles pourraient générer plus de 280 milliards de dollars d’ici à 2015, dont une très large part reviendrait aux pays en développement. »

Jeune Afrique/L’Intelligent : Est-il vrai que, lorsque l’Union européenne a présenté votre candidature à la tête du FMI, la France et le Royaume-Uni vous ont demandé de donner la priorité au développement et à l’Afrique ?
Rodrigo de Rato : Cela ne s’est pas passé exactement ainsi. L’an dernier, lorsque je me suis rendu à Washington pour assister à la réunion de printemps du FMI, beaucoup m’ont dit qu’ils espéraient du nouveau directeur général une attention particulière sur l’Afrique. Par la suite, il est vrai que le président français et le Premier ministre britannique ont insisté pour que ce continent demeure l’une de nos priorités. Mais ce n’est pas une nouveauté : le FMI a toujours porté une attention particulière à cette région. Nous lui consacrons la moitié des fonds affectés au programme FRPC (Facilité pour la réduction de la pauvreté et la croissance), et nous sommes physiquement très présents sur le terrain.
J.A.I. : L’Afrique étant une priorité, n’est-il pas nécessaire de réformer le FMI pour que ses petits actionnaires soient mieux représentés ?
R.D.R. : Il est vrai que l’Afrique ne dispose que de deux sièges au conseil d’administration du FMI. Et nous réfléchissons actuellement à la façon d’assurer une meilleure représentation des pays du Tiers Monde, car ce n’est pas un problème exclusivement africain. Dans le cas de l’Afrique, il s’agit davantage de prendre en compte le nombre de pays concernés que leur poids économique réel.
J.A.I. : Depuis sa création, le FMI a surtout joué un rôle de pompier, intervenant pour juguler les crises financières. Mais vos missions de développement et d’assistance technique semblent se renforcer. Ne risquez-vous pas de marcher sur les plates-bandes de la Banque mondiale ?
R.D.R. : Je ne le pense pas. D’une part, notre institution est considérée comme l’ultime prêteur. Lorsqu’un pays est confronté à une crise des paiements, lorsque plus personne ne lui fait crédit, c’est le rôle du Fonds de s’engager. D’autre part, le FMI exerce une activité essentielle de surveillance, de consultation et d’assistance technique. Nous travaillons avec la plupart des pays actionnaires du Fonds pour la définition des politiques budgétaires, la régulation des systèmes de change, la politique bancaire, la fiscalité… Nous avons toujours assumé cette mission de conseil, sans pour autant être redondant avec la Banque mondiale, qui est une institution de développement. Bien souvent, l’action du FMI s’arrête là où commence celle de la Banque mondiale.
J.A.I. : Le FMI conserve le pouvoir de renforcer – ou d’anéantir – la crédibilité financière des pays en développement. Même la Guinée équatoriale, pourtant riche en pétrole, veut bénéficier de l’assistance du Fonds…
R.D.R. : La Guinée équatoriale, qui est membre du FMI, veut travailler avec nous pour développer un système budgétaire transparent et parvenir à une utilisation efficace de ses ressources en or noir. Ce pays a développé une activité pétrolière intense, mais son économie n’est pas diversifiée et la pauvreté y demeure importante. Le défi est d’utiliser la manne pétrolière de façon économiquement et socialement efficace.
J.A.I. : Ce problème de transparence concerne la plupart des pays africains producteurs de pétrole…
R.D.R. : Il faut toutefois reconnaître que plusieurs gouvernements ont entamé de sérieuses réformes. À ce titre, l’Initiative pour la transparence des industries extractives (Extractive Industries Transparency Initiative, EITI) mérite notre soutien. Si ces pays avaient pris certaines décisions, peut-être qu’ils s’en porteraient mieux. Maintenant, il s’agit de regarder vers l’avenir. Les États disposant de ressources minières ou pétrolières doivent encore améliorer leurs dépenses dans les domaines sociaux et dans celui des infrastructures.
J.A.I. : L’Afrique reste en proie à un certain nombre de crises, qui remettent régulièrement en question les efforts consentis sur le plan économique. N’y a-t-il pas matière à découragement ?
R.D.R. : Je ne le pense pas. J’en veux pour preuve l’exécution des programmes postconflits. Six pays africains bénéficient actuellement de ce type d’assistance : Rwanda, Burundi, République démocratique du Congo, Centrafrique, Sierra Leone, Guinée-Bissau. Tous souhaitent revenir à la normalité mais connaissent des problèmes tant sur le plan de leur balance des paiements que sur celui de leur capacité institutionnelle. Nos programmes postconflits servent de signal pour le retour des autres bailleurs de fonds. Ils constituent une étape nécessaire pour pouvoir bénéficier du programme FRPC.
J.A.I. : En l’espace de neuf mois, vous vous êtes rendu plusieurs fois en Afrique. Votre perception du continent a-t-elle changé ?
R.D.R. : Depuis que je suis en poste, j’ai rencontré la moitié des chefs d’État et de gouvernement africains. Et même si l’on constate une amélioration globale au sud du Sahara, les pays africains connaissent encore des situations très hétérogènes. Il est maintenant nécessaire que chaque État concerné parvienne à s’approprier sa politique économique. Pour beaucoup, il s’agit de procéder à des réformes de seconde génération : renforcement du système bancaire ; modernisation de la fiscalité ; meilleure affectation des dépenses ; utilisation plus rationnelle des ressources naturelles. Nous avons franchi la première étape, celle de la stabilisation économique. Il faut maintenant améliorer le sort des populations.
J.A.I. : Vous soulignez l’hétérogénéité de l’Afrique. Or, où que vous alliez sur le continent, la perception unanime que l’on a du FMI est négative, votre image restant associée à des exigences d’austérité…
R.D.R. : C’est un sentiment que l’on retrouve dans le monde entier. Nous nous devons d’exercer une surveillance du niveau d’endettement des pays avec lesquels nous travaillons. Dans une économie mondialisée, la dette peut amener un État à sombrer dans une crise très rapidement. La « soutenabilité » de sa dette est donc essentielle. Et beaucoup de pays africains ont atteint une situation d’endettement intenable. Nous traversons actuellement une période où le coût de l’argent est particulièrement bas. C’est le moment de prendre les décisions propres à assainir cet endettement, notamment en renégociant les taux d’intérêt. Si l’on ne réduit pas le niveau d’endettement, beaucoup de pays pourraient pâtir d’un retournement de conjoncture. Et tous les gouvernements doivent garder à l’esprit que ce retournement va se produire. Dans cette perspective, il est important de conserver une politique d’austérité. L’austérité ne signifie pas que l’on ne dépense plus, mais que l’on dépense mieux. Je me souviens d’un pays – je ne vous dirai pas lequel – où le revenu annuel par habitant était inférieur à 500 dollars, et où l’on avait construit, dans la ville d’origine du Premier ministre, un stade qui avait coûté l’équivalent de 1 % du PIB !
J.A.I. : Le FMI est maître d’oeuvre dans l’initiative PPTE, qui vise à réduire la dette des pays pauvres. Mais certains États n’ont pas les structures pour absorber la manne promise par les bailleurs de fonds…
R.D.R. : Cela prouve que l’aide au développement est un travail de longue haleine et que le renforcement de la capacité institutionnelle des États les plus pauvres est impératif. Nous devons travailler pour avoir de bonnes banques centrales, de bonnes politiques budgétaires, une affectation des ressources plus transparente, de bons systèmes de perception de taxes… Mais l’initiative PPTE a été positive. Les pays éligibles ont accru de manière substantielle leurs financements en faveur de la lutte contre la pauvreté et le service de la dette a également diminué. Mais la réduction de la dette n’est pas une fin en soi ; elle doit s’inscrire dans une politique plus globale.
J.A.I. : Vous plaidez pour l’accroissement de l’aide publique au développement (APD). La proposition de la France de taxer les transferts financiers pour augmenter cette aide vous semble-t-elle réaliste ?
R.D.R. : La taxation des mouvements financiers n’est pas une idée folle, elle est techniquement possible. Cette proposition présente des inconvénients, mais sa faisabilité dépend surtout de qui va être taxé et comment on va collecter cette taxe. Au-delà de cette proposition, plusieurs projets destinés à dégager des ressources supplémentaires en faveur du désendettement et du développement ont été évoqués. Tous sont techniquement possibles, mais aucun n’est parfait. L’essentiel est de parvenir à un consensus politique qui nous permette d’augmenter rapidement l’APD. En proportion du PIB, l’APD est inférieure aujourd’hui à ce qu’elle était il y a dix ans. Et quelle que soit la stratégie adoptée, il faudra du temps pour la mettre en oeuvre. Or nous avons besoin de ressources pour financer le développement maintenant !
J.A.I. : Le FMI a envisagé de vendre ses réserves d’or. Est-ce toujours d’actualité ?
R.D.R. : Cet or étant la propriété des actionnaires du FMI, la décision ne m’appartient pas. Si l’on choisit cette solution, il faut garder à l’esprit qu’elle va réduire la marge de manoeuvre du FMI, car les ressources que nous utiliserons alors ne seront plus disponibles pour des opérations futures. En outre, il convient de s’interroger sur l’impact de cette mesure, à la fois sur les finances du FMI, sur le marché mondial de l’or et sur la dette publique des pays pauvres. Si l’on décide de vendre cet or, nous procéderons à cette opération de manière efficace et sans conséquences néfastes pour le marché de l’or. Maintenant, le débat doit aller plus loin, car l’objectif est de réduire l’ensemble de la dette multilatérale, et pas seulement celle contractée auprès du FMI. Or il faut savoir que les créances du Fonds ne représentent que 20 % de la dette multilatérale.
J.A.I. : Alors que les pays du Sud souffrent d’une faible représentation au conseil d’administration du FMI, certains semblent bénéficier d’un traitement de faveur : sur une période récente, le Brésil, la Turquie et l’Argentine ont reçu 83 % de l’aide distribuée par le FMI ?
R.D.R. : C’est un problème ponctuel. Si vous m’aviez posé cette question il y a dix ans, vous auriez cité d’autres pays. Ces trois États ont eu des besoins très importants. Nous sommes une administration publique dont la mission est de répondre à ce genre de demande. Je pense que le choix d’aider ces trois pays était parfaitement raisonné. Nous n’avons fait là que notre métier.
J.A.I. : Mais les véritables risques de déséquilibres financiers viennent des pays développés…
R.D.R. : Dans une économie mondialisée, les plus influents sont naturellement les plus grands. Ils sont responsables de la stabilité de l’économie mondiale. Les États-Unis doivent contenir leurs déficits publics, l’Europe doit élargir ses potentialités de croissance, le Japon, sortir de la déflation, et la Chine, faire évoluer son système de change pour que celui-ci reflète la réalité de son économie. C’est le moment d’agir. À l’heure actuelle, le coût de l’argent est faible. Il faut en profiter pour amorcer cette évolution en toute sérénité.

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