Retour au Tchad

Poète, romancier, essayiste, Nimrod a dû fuir son pays en guerre il y a vingt ans. Dans son dernier livre, il revient sur ses années d’enfance.

Publié le 22 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Nimrod, de son vrai nom Béna Djangrang, né en 1959 à Koyom, dans le sud du Tchad, arpente le boulevard Saint-Germain, à Paris, avec des allures de berger perdu dans la ville, d’un pas tantôt cadencé, tantôt lent. En permanence sur le qui-vive.
Poète et romancier, Nimrod est issu d’un pays qui connaît rarement la paix et où les rumeurs enflent à chaque lever du soleil. Dans son dernier récit autobiographique, il y traverse les rues, marchant vers l’inconnu. Sous son bras, sa soeur Royès, une gamine échevelée. Dans la tourmente, c’est le zin qui lui sert de ressort. En kim, sa langue maternelle, ce mot signifie « devant ». D’une puissance singulière, le zin trace un axe, impose un trajet : Mbo zin, Marche devant !
Voilà qui, en 1984, en pleine crise tchadienne, pousse Nimrod et plusieurs des siens à fuir vers la Côte d’Ivoire. Son père, décrit comme « un pasteur luthérien en tout point semblable aux ministres du culte que l’on voit dans les films de Bergman ou ceux de Dreyer », ne fera pas partie du cortège. Mais il tient de lui un goût pour la théologie et la métaphysique.
Les années ivoiriennes de Nimrod sont consacrées à l’enseignement de la philosophie à Daloa, dans le Sud-Ouest. Pour exorciser sa solitude, il aligne des vers sur les marges de vieux cahiers. Cela donne Pierre, Poussière. Un premier jet magistral qui décroche le prix de la Vocation 1989. Il fascine l’ancien poète-président Léopold Sédar Senghor qui demande à Alain Decaux, alors ministre français délégué à la Francophonie, une bourse d’encouragement pour le poète en herbe. C’est ainsi qu’en 1991 Nimrod pose ses valises à Paris. Il n’oubliera pas son bienfaiteur, à qui il emprunte jusqu’à l’image métaphorique.
Aujourd’hui, il partage son temps entre des ateliers d’écriture et des cours sur la littérature francophone à l’université d’Amiens. Il soutient que, sans la poésie, sa vie n’aurait aucun sens. L’écriture est sa passion essentielle. Mais celle-ci, plus qu’une revendication, est un espace de combat. « L’Afrique a certes connu des échecs. Seulement, dit l’auteur d’En Saison, nous, Africains, avons plus de charges. Nous avons des urgences que les autres n’ont pas. Mal gouvernés, nos peuples ont faim. »
Révolté, Nimrod n’omet pas pour autant la rigueur. Et se montre sans concession pour ses pairs. « Passe encore que la maîtrise de l’économie nous échappe. Mais force est de reconnaître que, même dans le domaine intellectuel, nous ne savons plus organiser la résistance. Chose que les Senghor, Césaire et d’autres de leur génération avaient su faire. »
Dans Tombeau de Léopold Sédar Senghor, un hommage au maître, il laisse exploser sa colère : « Stupidité pour stupidité, la voie royale pour certains de nos écrivains est devenue de vendre aux Occidentaux camelotes et négreries sans talent. Hier, l’Occident vendait son Christ aux Africains. Aujourd’hui, ces derniers lui vendent leur âme. C’est dommage… La jeunesse de cette littérature africaine n’excuse en rien certaines fautes, insuffisances. Il manque chez beaucoup l’affirmation claire d’une esthétique, d’une voie. Tierno Monénembo, qui vient de publier un beau roman, Peuls [Le Seuil, 2004, NDLR], il me semble, sort du lot. Son oeuvre a acquis une visibilité certaine. Pour tous les autres, moi y compris, il faudra attendre de cinq à dix ans pour juger », conclut-il. Nimrod met la dernière main à deux essais. Le premier porte sur l’Ivoirien Ahmadou Kourouma, disparu en 2003, le second est une anthologie des poètes francophones d’Afrique noire et du Maghreb.
Dans la voix de Nimrod toussote le poids de l’exil. Il dit attendre avec impatience le soir du retour au pays. « J’y pense de plus en plus, murmure-t-il comme dans une confidence. Mais que vais-je retrouver ? Beaucoup des miens sont partis. » La douleur est perceptible, le pays natal irremplaçable, même dans une ville aussi splendide que Paris. « Car du feu qui rédime les sanglots, sanglote le poète blessé, les abeilles ne tirent aucun miel. »

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