Paul Wolfowitz

Le numéro deux du Pentagone quittera son poste le 1er juin pour la présidence de la Banque mondiale. Après les départs de Feith et de Bolton, c’est un nouveau revers pour les néocon-servateurs américains.

Publié le 21 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

George W. Bush l’a officiellement annoncé, le 16 mars : Paul Wolfowitz (61 ans) sera le candidat des États-Unis à la présidence de la Banque mondiale, que James Wolfensohn (71 ans) abandonnera le 31 mai, au terme de deux mandats de cinq ans. La tacite répartition des rôles entre Américains et Européens étant ce qu’elle est depuis la création des institutions de Bretton Woods, en 1944 aux premiers la direction de la Banque mondiale,
aux seconds celle du Fonds monétaire international , sa désignation ne fait aucun doute. L’accord des vingt-quatre directeurs exécutifs de l’institution n’a été qu’une formalité, et, pour éviter toute mauvaise surprise, le chef de l’exécutif américain avait préalablement pris soin d’informer au dernier moment, il est vrai ses principaux partenaires: de Blair à Berlusconi, en passant par Chirac, Schröder, Koizumi et Mbeki.
« L’enthousiasme de la vieille Europe n’est pas vraiment débordant », a commenté Heidemarie Wieczorek-Zeul, la ministre allemande de la Coopération et du Développement, ce qui ne doit pas empêcher de dormir les stratèges de la Maison Blanche. « Choisir le bon général dans la guerre contre la pauvreté ne garantit pas la victoire, mais choisir le mauvais accroît les risques de défaite », a pour sa part estimé le Prix Nobel Joseph Stiglitz, ancien chef du staff des économistes de l’institution, relayé par une légion d’humanitaires (Greenpeace, Action Aid, Oxfam) et de spécialistes du développement.
Pour compréhensibles qu’elles soient compte tenu de l’hostilité suscitée dans le monde entier par la politique impériale menée depuis plus de quatre ans par les États-Unis – et du rôle capital joué par le secrétaire adjoint à la Défense dans son élaboration -, ces réactions partisanes n’en sont pas moins un peu courtes. D’abord, parce que Wolfowitz est un homme remarquablement intelligent dont on ne voit pas a priori pourquoi il ne serait pas qualifié pour le poste. Ensuite, parce que le plus important, et le plus lourd de conséquences à court terme, est moins son arrivée à la Banque mondiale – ce placard doré – que son départ du Pentagone.
Dès le 1er mars, le Financial Times annonce que Wolfowitz figure en tête de la short list des candidats à la succession de Wolfensohn. Démenti immédiat de l’intéressé : il n’est nullement… intéressé par la fonction. Pourquoi a-t-il si vite changé d’avis et se déclare-t-il prêt aujourd’hui à « relever le défi de la lutte contre la pauvreté dans le monde » ? Deux hypothèses. Soit le quotidien britannique, peu suspect de sympathies néoconservatrices, a délibérément vendu la mèche pour tenter de court-circuiter sa candidature avant la réunion des directeurs exécutifs – ce qui n’est pas exclu. Soit le numéro deux du Pentagone a résisté jusqu’au bout à ce qu’il considère comme une éviction, ce qui témoignerait de dures luttes intestines au sein de l’administration, entre le clan des intégristes chrétiens (Bush, Condoleezza Rice), celui des affairistes (Dick Cheney, Donald Rumsfeld) et celui des néoconservateurs, ces intellectuels droit- de-l’hommiste proches de la droite ou de l’extrême droite israélienne dont Wolfowitz est l’indiscutable chef de file.
L’un n’exclut d’ailleurs pas l’autre. Même si le FinTimes a joué son rôle, on sentait depuis plusieurs mois que les « néocons » n’avaient plus le vent en poupe. Il y a un peu moins d’un an, la déclaration de William Kristol, directeur de l’influent Weekly Standard et vieil ami de Wolfowitz, jugeant « calamiteuse » la gestion rumsfeldienne de l’après-guerre en Irak, avait constitué le premier symptôme d’une possible crise. En fait, les hostilités étaient bel et bien déclarées.
La première victime est tombée un mois à peine après la mise en place de la seconde administration Bush et l’arrivée de Rice au département d’État. Le 28 janvier, le très néocon Douglas J. Feith, secrétaire adjoint à la Défense et maître d’oeuvre de la guerre contre le terrorisme, a démissionné de ses fonctions pour « raisons familiales ». Le motif invoqué a suscité une franche hilarité à la Maison Blanche et au Capitole, où nul n’ignore que Feith (« le type le plus bête du monde », selon le général Tommy Franks, l’ancien chef des forces américaines en Afghanistan et en Irak) est indirectement impliqué dans une sombre histoire de fuite d’informations « classifiées » au bénéfice d’Israël, par l’intermédiaire de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac).
La seconde « victime » se nomme John Bolton, contraint de quitter le département d’État, où Condi Rice place méthodiquement ses hommes (Robert Zoellick, Nicholas Burns), pour le siège des Nations unies, à New York. La disgrâce est certes relative, et Bolton a sans nul doute un rôle important à jouer pour faire payer à Kofi Annan ses erreurs de gestion et ses (timides) velléités d’indépendance, mais il passe quand même du statut de policy maker à celui d’exécutant, fût-il haut de gamme : comment croire qu’il s’agisse d’une promotion ? Bien entendu, ce qui vaut pour le nouvel ambassadeur à l’ONU vaut bien davantage encore pour Wolfowitz, ce théoricien de la guerre préventive et du « remodelage » démocratique du Moyen-Orient, qui fut, une décennie durant, l’inlassable avocat du renversement de Saddam Hussein…
Tout incite à penser que sa mise à l’écart en douceur porte la griffe – dans tous les sens du terme – de Condoleezza Rice, qui semble bien avoir désormais les pleins pouvoirs sur la politique étrangère des États-Unis. Singulièrement au Moyen-Orient. On n’a sans doute pas suffisamment remarqué, lors de la récente conférence de Londres (1er mars), sa ferme mise en garde à l’adresse des autorités de l’État hébreu : l’administration « n’admettra pas qu’Israël prenne des mesures de nature à menacer les espoirs de paix ». Imagine- t-on de tels propos dans la bouche de Feith ou de Wolfowitz ? Un infléchissement de la diplomatie américaine semble bel et bien s’ébaucher, même si son ampleur est encore difficile à apprécier. Il implique une prudente prise d’autonomie par rapport à Israël et, selon toute apparence, la relégation des néoconservateurs à la périphérie du pouvoir. Indice de l’influence désormais sans partage de Rice, George W. Bush, lors de la conférence de presse au cours de laquelle il a annoncé la candidature de Wolfowitz, a usé d’un ton franchement nouveau à propos de la Syrie et de l’Iran : « Un peu de patience est nécessaire pour atteindre un objectif diplomatique », a-t-il estimé. On est loin des rodomontades des paladins de la guerre préventive !
Par parenthèse, le vieux Donald Rumsfeld, qui a toujours eu tendance à prendre de haut la nouvelle secrétaire d’État, a assurément intérêt à rester sur ses gardes. Beaucoup ont déjà commis l’imprudence de sous-estimer la frêle et discrète Condi Rice et l’ont amèrement regretté par la suite. Ironique suggestion du Los Angeles Times : après Bolton à l’ONU et Wolfowitz à la Banque mondiale, pourquoi ne pas nommer le chef du Pentagone à la tête de l’Unicef ?
Reste à savoir ce que « Wolfie », comme le surnomme affectueusement George W., cet intellectuel diplômé de sciences politiques et de mathématiques (Jacob, son père, fut lui-même un mathématicien de haut vol), va pouvoir faire à la tête d’une institution financière qui dispose d’un budget annuel de quelque 9 milliards de dollars. Avancé par certains de ses détracteurs, l’argument de sa relative inexpérience en la matière n’est pas recevable : on ne dirige pas un mastodonte comme le Pentagone (plusieurs centaines de milliers de salariés) sans de solides compétences de gestionnaire. Et puis, la Banque ne manque pas de spécialistes financiers pour assurer l’intendance : le rôle de Wolfowitz est essentiellement politique. Dans ce domaine, le futur président pourrait bien réserver quelques surprises. Car il est indiscutable que cet enfant de l’Holocauste – une partie de sa famille fut massacrée en Pologne – est sincèrement attaché à la défense des droits de l’homme, même si les moyens mis en oeuvre pour l’assurer donnent parfois le vertige – ou le frisson. Spécialiste du Sud-Est asiatique, il a jadis, au sein des administrations Reagan et Bush père, travaillé souterrainement au renversement des dictatures indonésienne (Suharto) et philippine (Marcos) – avec un succès inégal. Il est en outre, quoi qu’on puisse en penser, parfaitement conscient de l’importance du développement dans la lutte contre le terrorisme. « Je ne crois pas, dit-il, que tous les problèmes du monde puissent être résolus par des moyens militaires. » Pourquoi ne pas lui accorder un crédit, ne serait-ce que limité ?

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