Les Verts annoncent la couleur

Premier du genre dans le pays, un parti écologiste espère participer aux municipales de mai.

Publié le 21 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Tunisie verte est – comme son nom ne l’indique pas – un parti politique. Créé il y a onze mois par un groupe d’universitaires, d’ingénieurs et de hauts cadres de l’administration, il commence à se trouver une place dans le paysage politique. Ainsi, le 2 mars, son coordinateur national, Abdelkader Zitouni, ingénieur et ancien syndicaliste, a pris part à une réunion préparatoire des élections municipales de mai prochain, aux côtés des représentants de quatre autres formations : le Forum démocratique pour le travail et la liberté (FDTL), le Parti démocratique progressiste (PDP), le Parti du travail national démocratique (PTND) et l’Initiative démocratique (ID).
Même s’ils ne sont pas encore reconnus officiellement, les Verts tunisiens – puisqu’il faut les appeler désormais ainsi – espèrent participer au prochain scrutin en présentant des candidats sur des listes communes avec d’autres formations. Objectif : créer un front – électoral et politique – des forces démocratiques de gauche. Un « Comité national de liaison » devrait définir les modalités de cette participation [constitution des listes, mots d’ordre, animation de la campagne…]. « Les conditions d’une véritable compétition électorale sont loin d’être réunies. Mais le verrouillage de la scène politique et les obstacles à l’expression libre, plutôt que de nous décourager, devraient nous inciter à poursuivre le combat », explique Zitouni.
Dans un pays où la scène politique est occupée par les forces traditionnelles – sociaux-libéraux, nationalistes arabes, islamistes et démocrates de gauche -, y a-t-il vraiment une place pour un mouvement écologiste ? Réponse de Zitouni : « La Tunisie est confrontée à des problèmes environnementaux causés par la surexploitation des ressources naturelles, la dégradation des écosystèmes, l’industrialisation anarchique et la pollution atmosphérique. Un parti écologiste, qui se donne pour mission d’oeuvrer en vue de remédier à ces problèmes, y a donc largement sa place. »
Né en 1942 à Gabès, ville oasienne du Sud-Est, Abdelkader Zitouni est titulaire d’une maîtrise de sciences de l’Université de Grenoble (1966) et d’un diplôme d’ingénieur de l’École centrale de Paris (1970). Il a milité au sein de l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET), du Comité Palestine fondé en 1968 par Jean-Paul Sartre, du groupe « Perspectives tunisiennes » et de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT, syndicat unique). Arrêté et jugé par la Cour de sûreté d’État dans le cadre du procès de la gauche tunisienne, il a été acquitté et libéré en 1973. Cet expert en logement social a supervisé la construction de près de 20 000 logements pour le compte de diverses sociétés de promotion immobilière. Son intérêt pour l’environnement, Zitouni le doit à son travail d’ingénieur, souvent sur le terrain, mais aussi à ses activités syndicales et associatives.
Dans sa charte d’une trentaine de pages, Tunisie verte brosse un tableau peu reluisant de l’état de l’environnement en Tunisie. Ce pays aride et semi-aride – recevant en moyenne 230 mm/an – manque cruellement d’eau. La pluviosité y est également marquée par un déséquilibre entre le Nord (1 500 mm/an), le Centre (300 mm) et le Sud (150 mm). Alors que la région méridionale ne dispose d’aucune réserve, 77 % des ressources hydriques retenues par les barrages sont situées dans le Nord. Conséquence : les oasis du Sud, qui faisaient vivre des centaines de milliers de familles, sont aujourd’hui rongées par une urbanisation rampante, voire abandonnées. L’écosystème oasien est lui-même menacé.
Malgré les travaux de reboisement, de conservation des eaux et d’aménagement des parcours pastoraux, les sols continuent de perdre de leur fertilité, déjà très faible (2 % de matières organiques dans le Nord, 1,5 % dans le Centre et 1 % dans le Sud), alors que la couverture végétale ne représente plus que 7 % des terres agricoles.
À ces problèmes de désertification s’ajoutent les méfaits de la pollution atmosphérique qui est concentrée dans les zones industrielles de Sfax, Gabès, Gafsa et Bizerte. Cette pollution, même si elle n’a pas encore pris une dimension inquiétante, affecte néanmoins la diversité biologique, une richesse inestimable dans un pays à vocations agricole et touristique. Ses effets négatifs sur le développement économique commencent à se faire ressentir.
« Jusque-là, les « écolos » tunisiens ont milité individuellement ou en petits groupes au sein d’organismes officiels et d’associations de protection de l’environnement. Ils cherchent aujourd’hui à s’organiser politiquement pour mieux sensibiliser le public aux problèmes de la pollution et proposer des programmes d’action visant à préserver le cadre de vie des populations », explique Zitouni.
Les fondateurs de Tunisie verte ont remis le 19 avril 2004 aux autorités du ministère de l’Intérieur « un dossier remplissant toutes les formalités administratives et juridiques », accompagné d’une demande de légalisation de leur parti. S’ils n’ont pas obtenu le récépissé de dépôt de demande comme l’exige la loi, ni une réponse écrite à celle-ci, l’information relative à la constitution du parti a été largement diffusée par les agences de presse internationales. Cela les a encouragés à constituer des noyaux de militants dans de nombreuses villes, notamment Sfax, Gabès, Gafsa, Bizerte et Ben Arous, d’établir des liens avec les autres partis de l’opposition, ainsi qu’avec les Verts de France, de Belgique, d’Allemagne, du Maroc et du Sénégal.
Lors de leur assemblée fédérale, réunie le 4 décembre 2004 à Reims, les Verts français ont adressé un message de soutien à leurs homologues tunisiens dans lequel ils considèrent que « la création d’un parti Vert en Tunisie constitue un enjeu majeur, […] tant sont faibles le pluralisme et la démocratie sur la rive sud de la Méditerranée, dans le monde arabe et en Afrique, tant est grand enfin le besoin d’orienter les rapports euro-méditerranéens sur la voie d’un codéveloppement soutenable, promoteur de justice Nord-Sud, de démocratie, des droits de l’homme et du respect de l’environnement ».
« Si les autorités tunisiennes n’ont pas encore répondu à notre demande de légalisation, la Fédération des Verts écologistes d’Afrique et la Global Green, l’internationale écologiste, n’ont pas hésité à enregistrer notre adhésion », explique Zitouni. Qui ajoute : « La loi tunisienne stipule que l’absence de réponse négative, quatre mois après le dépôt d’une demande de légalisation d’un parti, équivaut à une reconnaissance de fait. Nous espérons cependant qu’une reconnaissance de jure de Tunisie verte ne saurait tarder. »

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