Le dernier voyage d’Eyadéma

Les obsèques officielles de Gnassingbé Eyadéma, célébrées du 13 au 15 mars, à Lomé comme dans sa région natale du Nord, tournent définitivement la page de trente-huit ans de règne absolu.

Publié le 22 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

C’est au son de « oui, nous nous reverrons mes frères » interprété par la fanfare des Forces armées togolaises que la dépouille de Gnassingbé Eyadéma a été portée en terre, le 15 mars, à Pya. Point final de trois jours de cérémonies funéraires placées par la famille de l’ancien chef de l’État sous le double signe de la permanence du défunt, au-delà de sa mort physique, et de l’omniprésence de sa fratrie d’adoption : les militaires. Signe de cette volonté de ne point voir se dissiper l’ombre tutélaire et protectrice de leur chef, les fidèles du disparu avaient éparpillé le long des principaux axes de Lomé des portraits du « Vieux » légendés de slogans où se lisaient autant le chagrin que la peur du lendemain : « Je serai toujours avec vous », « Papa Eyadéma, du haut des cieux, protégez toujours votre peuple », « L’esprit d’Eyadéma ne mourra jamais »…
Contrairement à ce que raconte la rumeur, le corps de Gnassingbé Eyadéma est bien à l’intérieur du cercueil qui, le dimanche 13 mars au petit matin, est lentement descendu de la soute avant du Boeing 707 Togo 01 sur le tarmac de l’aéroport de Lomé Tokoin. L’avion présidentiel a décollé trois quarts d’heure plus tôt de Niamtougou, dans le Nord, non loin de Kara, où la dépouille reposait depuis le 5 février. Immédiatement, l’armée et la famille prennent les choses en main. Deux des fils du défunt, Kpatcha et le commandant Rock Gnassingbé, chef d’une unité de blindés légers stationnée dans la capitale, entourent le cercueil, lequel est déposé dans la benne d’un véhicule de commandement. Au volant : le général Zoumarou Gnofame, ministre de l’Environnement, vieux grognard devant l’Éternel et compagnon des premiers jours d’Eyadéma. Tout le long du trajet, qui emprunte les principaux axes de Lomé – la route de l’aéroport, le rond-point de la Colombe, le camp du RIT où le défunt passait ses nuits – et jusqu’au Palais des Congrès, le cortège est survolé par l’hélicoptère présidentiel, un Dauphin piloté par le Français Alain René, auquel a été accroché un drapeau togolais. Au même moment, deux chasseurs Alphajet de l’armée de l’air effectuent des passages à basse altitude au-dessus de la capitale, sans oublier de survoler le quartier de Bè, fief de l’opposition. Massée au bord des avenues, la foule des partisans et des curieux applaudit à ce qui se veut aussi une démonstration de force. À l’intérieur du Palais des Congrès, grande bâtisse grise construite par les Chinois et qui sert de siège à l’Assemblée nationale, Faure Gnassingbé et ses trois mille invités attendent. Aux côtés de l’éphémère successeur de son père, désormais simple candidat à l’élection présidentielle du 24 avril prochain, se presse la très nombreuse famille du défunt, sa veuve, Badaniaki Eyadéma, en tête. Cinq chefs d’État en exercice ont fait le déplacement : Olusegun Obasanjo, John Kufuor, Mathieu Kérékou, Laurent Gbagbo et Mamadou Tandja occupent les premiers rangs. Un peu en retrait, trois « ex » – Joaquim Chissano, Yakubu Gowon et Ange-Félix – devisent tranquillement. Le ministre des Affaires étrangères, Michel Barnier, représente la France, et le conseiller aux affaires africaines de l’Élysée, Michel de Bonnecorse, Jacques Chirac à titre personnel. Le commissaire européen au Développement et à l’Aide humanitaire, Louis Michel, est là également, tout comme les anciens Premiers ministres sénégalais, Moustapha Niasse, et ivoirien, Pascal Affi Nguessan. Guillaume Soro, le chef des Forces nouvelles, est venu de Bouaké, tandis qu’Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara ont dépêché respectivement Ouassénan Koné et Amadou Gon Coulibaly. Seule personnalité maghrébine à avoir fait le voyage – outre le Libyen Ali Abdessalam Treiki -, le président du Parlement marocain Abdelwaheb Radi, qui représente Mohammed VI, observe cette cérémonie de deuil africain d’un oeil étonné. Dans la petite foule des amis et des obligés de l’ancien maître du Togo pendant trente-huit ans, on distingue l’Ivoirien Georges Ouégnin, fidèle depuis toujours, et une trentaine de Français débarqués l’avant-veille du vol spécial affrété par la famille : pasteurs protestants, avocats parisiens, professeurs de médecine, hommes d’affaires, sans oublier un vendeur d’armes et un député au Parlement européen. Nulle trace cependant, parmi les ex-habitués de Lomé 2, d’un membre de la famille Debré, dont Eyadéma affirmait pourtant avoir connu quatre générations. Une absence au nom du politiquement correct ?
Cette dernière réserve, face à un défunt dont l’amitié, a fortiori la générosité proverbiale, n’étaient pas de celles dont il convenait de trop se vanter, explique sans doute d’autres absences voyantes : ni Abdou Diouf, ni Amadou Toumani Touré, ni, bien sûr, Jacques Chirac n’ont fait le déplacement de Lomé. Sans doute ces personnalités voulaient-elles aussi éviter que leur présence soit interprétée comme un soutien au candidat Faure Gnassingbé. Quoi qu’il en soit, à la différence d’un Blaise Compaoré ou d’un Omar Bongo Ondimba – dont les relations avec Eyadéma étaient délicates, mais qui ont néanmoins dépêché des délégations à ses obsèques -, les raisons de ces défections de marque ne sont pas toujours dicibles. Largement absente enfin, pour des motifs de pure politique intérieure, l’opposition togolaise n’était représentée au Palais des Congrès qu’à travers deux de ses leaders, des plus estimables certes, mais pas parmi les plus représentatifs : Léopold Gnininvi et Edem Kodjo.
Pendant plusieurs heures, entrecoupées de cantiques religieux façon gospels, le Premier ministre Koffi Sama, le chef d’état-major des Forces armées togolaises (FAT), le général Zacharie Nandja, Behaza Gnassingbé, l’une des filles du défunt, et une procession de pasteurs presbytériens, de chefs traditionnels, d’imams et de prêtres vaudous pleurent et font pleurer l’assistance. « Tu as été le grand arbre sous lequel nous nous abritions, crie Behaza, nous ne te pleurons pas, nous te chantons ! » En fin d’après-midi, la dépouille rejoint l’aéroport et, de là, Kara puis Pya. Deux jours plus tard, le fils de paysan kabyé, qui n’aimait rien tant que la pâte et la bière, rejoint le caveau de ses ancêtres. Cette fois, la page de trente-huit ans de règne absolu est définitivement tournée.

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