L’autre fracture

Les juniors du continent ont collectionné les défaites lors de l’édition 2005 de la Coupe Méridien. Un démenti au mythe du talent africain entretenu dans le Nord.

Publié le 21 mars 2005 Lecture : 5 minutes.

Europe : 44, Afrique : 2 ! Le score est sans appel. C’est le verdict de la Coupe Méridien 2005, disputée du 4 au 11 février en Turquie. Née en 1997, d’une convention signée conjointement par l’Uefa (Union des associations européennes de football) et la CAF (Confédération africaine de football), cette Coupe oppose, tous les deux ans et alternativement dans chaque continent, huit équipes de jeunes footballeurs âgés de moins de 17 ans – quatre d’Europe et quatre d’Afrique. Chaque formation européenne affronte chaque formation africaine dans le cadre d’un tournoi qui comprend seize matchs. Une victoire rapporte 3 points à la confédération gagnante, un match nul 1 point. Une Coupe récompense la meilleure confédération, et un trophée du fair-play est également attribué.
En Turquie, les jeunes Européens (France, Espagne, Portugal et Turquie) ont remporté 14 matchs sur 16 et marqué 39 buts contre 6. La palme revient à l’équipe de France qui a dominé le Cameroun (7-0), la Sierra Leone (2-1), le Nigeria (2-0) et l’Égypte (4-1). L’Afrique (Cameroun, Nigeria, Égypte et Sierra Leone) est repartie avec 2 nuls et 14 défaites. En 2003 en Égypte comme en 2001 à Bari (en Italie), le bilan avait également été négatif. Au total, lors des trois dernières éditions et sur 48 matchs, l’Europe en a remporté 34 et l’Afrique un seul !
Cette comptabilité rejoint celle du Championnat du monde de la Fifa. En 2003, en Finlande, les trois représentants du continent (Cameroun, Nigeria et Sierra Leone) n’ont pas franchi le premier tour et n’ont gagné que 1 match sur les 9 disputés. La dernière victoire africaine dans cette compétition remonte à août 1995, en Équateur, avec le succès des Blacks Starlets du Ghana qui avaient été déjà couronnés en 1991, en Italie. Les Flying Eagles du Nigeria ont pour leur part conquis le titre mondial en 1985 en Chine et en 1993 au Japon.
Depuis 1995, les jeunes footballeurs africains sont abonnés, à l’occasion des confrontations internationales, aux revers. Le constat vaut également pour les moins de 20 ans. Depuis 1977, le Ghana a été deux fois finaliste du Championnat du monde, en 1993 et en 2001, et le Nigeria une fois, en 1989. Toutes ces statistiques tordent le cou à une légende, celle qui canonisait le talent africain, et remettent les pendules à l’heure.
« Si les Africains, fait remarquer un technicien expatrié, ne s’imposent plus dans les compétitions des jeunes, c’est parce qu’ils ne trichent plus ! » En février 2003, à Lagos, le ministre nigérian des Sports, Steven Akiga, reconnaissait : « Nous avons, et depuis longtemps, aligné dans les compétitions internationales de jeunes des joueurs dont l’âge réel dépassait celui fixé par les règlements. » Un mois plus tard, interpellé à Accra, au Parlement, sur la médiocre prestation des Black Satellites lors du Championnat d’Afrique pour les moins de 20 ans, le ministre ghanéen des Sports, Edward Osei-Kwaku, répondit : « La contre-performance découle de la décision de la Ghana Football Association (Gafa) de ne recourir désormais qu’aux services de joueurs dont l’âge réel correspond aux conditions d’éligibilité fixées par la Fifa et la CAF. Dorénavant, nous privilégions les valeurs du sport, à savoir l’honnêteté, le fair-play et le respect des lois et des règlements. »
Les pratiques dénoncées par les deux ministres ont-elles disparu ? Le 29 janvier dernier, le stade de l’Amitié de Cotonou accueillait la finale du XIVe Championnat d’Afrique de football pour les moins de 20 ans. Les Flying Eagles du Nigeria y ont affronté et battu les Égyptiens (2-0). Les deux finalistes ainsi que le Bénin et le Maroc participeront, du 10 juin au 2 juillet aux Pays-Bas, au Championnat du monde de la Fifa. Le coach des Flying Eagles s’appelle… Samson Siasia.
Ancien international et ancien professionnel, Siasia est… fiché à la Fifa. En août 1985, le Nigérian faisait partie des Flying Eagles qui participaient à Minsk, en Biélorussie, au IIIe Championnat du monde de la Fifa pour les juniors. Sur son passeport, une date de naissance : 14 août 1967. Trois années plus tard, Siasia faisait partie des Super Eagles qui ont disputé le tournoi olympique de Séoul. Sur son passeport, une autre date de naissance : 4 juin 1964. Deux de ses coéquipiers étaient dans le même cas. Les limiers de la Fifa découvrirent la falsification. En décembre 1989, le Nigeria fut suspendu pour deux ans de toutes les compétitions de jeunes.
Aux Pays-Bas, dans quelques semaines, Siasia sera sur le banc des Flying Eagles. Espérons qu’il aura pris soin de vérifier les dates de naissance déclarées par ses protégés !
Mais l’âge civil tel qu’il figure sur le passeport ne correspond pas nécessairement à une capacité physique donnée. Il n’est plus une constante fiable. Pour résoudre cette difficulté, le Dr Yacine Zerguini, membre des commissions médicales de la Fifa et de la CAF, préconise de rendre obligatoire, avant l’engagement de tout joueur, l’établissement d’un bilan médical complet (aptitude et croissance), d’ajouter au critère d’âge civil un second d’ordre médical (biologique, hormonal ou radiologique), et, enfin, de mettre au point un système de contrôle lié aux éléments du bilan ainsi qu’aux critères de participation.
À défaut de parvenir à ces « régulations », ne conviendrait-il pas, dans un premier temps, d’exiger des fédérations africaines l’organisation de compétitions nationales pour les moins de 17 et 20 ans ? Le ministre ghanéen Osei-Kwaku l’a bien reconnu : la Gafa s’est toujours contentée de prospecter dans les clubs de divisions inférieures pour « monter » des sélections de cadets ou de juniors. Elle n’a pas eu d’autre projet pour les jeunes. Le Ghana ne constitue pas un cas unique en Afrique. Il n’existe pas de championnats avec catégorie d’âge au Cameroun, au Nigeria ou en Sierra Leone, trois pays dont les équipes de cadets ont pris part à la dernière Coupe Méridien. En revanche, il en existe, et depuis longtemps, en France, en Espagne, au Portugal et en Turquie. C’est dire que la fracture avec l’Europe se situe bien dans ce domaine. La CAF dépêche depuis 1997 à la Coupe Méridien des équipes sans se préoccuper de leur préparation ou de leur forme. Le talent des surdoués africains, si grand soit-il, ne leur permet plus, faute d’un encadrement sportif et administratif compétent, d’un entraînement assidu et d’un environnement matériel conséquent, de faire la différence. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes : leurs adversaires européens recourent de plus en plus à des joueurs d’origine… africaine. Ainsi, l’équipe de France, championne d’Europe 2004 et vainqueur du Méridien 2005, compte-t-elle dans ses rangs cinq Beurs et autant de Blacks… Le talent africain n’est plus là où on le croit.

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