[Chronique] Bernard-Henri Lévy : « Attention, Darfour nigérian ! »

Envoyé spécial au Nigeria, le philosophe « bankable » sculpte à la serpette le profil géopolitique d’un pays qu’il découvre. Mieux que rien ?

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Publié le 5 décembre 2019 Lecture : 2 minutes.

Bernard-Henri Lévy pratique le journalisme international comme Tintin. Comme le reporter controversé d’Hergé, il butine d’un conflit à l’autre, sans s’attarder. Comme Tintin déploie ses aventures exotiques calibrées, « BHL » intercale, dans les lasagnes de sa carrière, essais éditoriaux et trips aventureux en guise de caution sartrienne.

Comme Tintin son pull bleu ciel et son pantalon de golf, le philosophe arbore toujours le même look, chemise blanche à col relevé et costume noir. Toujours visible, comme Tintin, sur les captations de ses reportages, il affirme que c’est une tenue de baroudeur qui vaudrait déguisement. Anachronisme local pour cohérence médiatique. Seule concession « cosmétique » à la nécessaire distinction entre terrain et plateau de télévision : une barbe de quelques jours, comme pour dire « C’est dur, même si la chemise est repassée »…

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Mi-people mi-engagé

Dernier reportage de BHL aux sonorités d’alerte incendie : un long article publié ce 5 décembre, dans l’hebdomadaire Paris Match, intitulé « “Au Nigeria, on massacre les chrétiens », le SOS de Bernard-Henri Lévy ». Relayé par les studios télévisuels dont il est un bon client, le témoin mi-people mi-engagé livre un regard germanopratin [de Saint-Germain des prés, quartier historique des intellectuels parisiens] au journal lui aussi mi-people mi-engagé.

Lapidaire, BHL se met en scène et s’approprie le slogan du magazine : le poids des mots, le choc des photos

Lapidaire, il s’approprie le slogan du magazine – « le poids des mots, le choc des photos » – , lançant à la face du lecteur, dès les premières phrases, de quoi faire frissonner : « pays le plus riche d’Afrique », « bergers musulmans », « paysans chrétiens », « nettoyage ethnique », « suprématisme ancestral », « état-major complice », « tee-shirt à croix gammée » et « femme partiellement découpée en tranche ».

Précédent libyen

La situation réelle nécessiterait-elle des termes moins réducteurs, générés par l’enquête plus approfondie d’un spécialiste ? Certes, le centre du Nigeria a connu une montée de violence ces dernières années. Les fermiers et les éleveurs se heurtent sur certaines terres fertiles, et de nombreux chrétiens y ont laissé la vie. Certes, dans ce pays, la carte des croyances se superpose largement à celle des options agricoles.

Certes, là comme ailleurs, le jihad est de nature à dévoyer la cohabitation entre les confessions religieuses. Pourtant, des spécialistes moins dilettantes que BHL tardent à évoquer l’intention génocidaire. Plus encore, les récurrents sur ce terrain ne voient pas d’un bon œil la mise à l’index de tel groupe sous le prisme d’une origine ethnique qu’il est inutile de citer ici…

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Bien sûr, qu’importe l’intention narcissique présumée du « lanceur d’alerte » autoproclamé, pourvu qu’on ait une alarme audible. Bien sûr, donner des leçons à un donneur de leçons friserait la mise en abîme stérile. Bien sûr, aller à Godogodo et à Adan, c’est mieux que de ne pas y aller. Bien sûr, anticiper un conflit toujours possible ne mange pas de pain, pour peu que les journalistes professionnels s’en emparent et que les politiciens ne cèdent pas à une émotion ambiguë.

Mais de Bernard-Henri Lévy, l’Afrique retient encore la croisade philosophico-médiatique libyenne. Et, à tort ou à raison, le continent – singulièrement le Sahel – n’a pas la sensation de mieux se porter depuis que le chaos innommable a remplacé l’autoritarisme illuminé.

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