Kadhafi, ses fonctionnaires et sa police

Comment alléger l’administration ? En mutant plus de 100 000 agents dans les services de sécurité…

Publié le 21 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Mouammar Kadhafi n’est jamais à court d’idées. Il vient une fois encore de le démontrer en imaginant une solution originale pour résoudre le casse-tête de l’hypertrophie de la fonction publique qui pèse sur le budget de l’État et préoccupe le Fonds monétaire international (FMI).
Lorsque le « Guide » a instauré son système de pouvoir populaire en 1978, l’une de ses premières mesures a été d’empêcher le développement de la classe moyenne, considérée comme une menace potentielle pour son système socialiste. Pour cela, il a pratiquement mis fin au secteur privé et donné une ampleur considérable à la fonction publique – où il a placé en masse ses partisans. Résultat, la part des fonctionnaires de l’administration et des employés du secteur public dans le total de la population active est passée de 54 % en 1984 à 75 % en 2004. Fin 2004, on comptait 862 000 fonctionnaires et assimilés (dont 462 000 dans l’enseignement), pour une population qui dépasse à peine 5 millions d’âmes. Plus de 80 % des ménages libyens tirent leurs revenus des salaires qui leur sont versés par le budget de l’État, et plus de 90 % si l’on y ajoute les pensions des 300 000 retraités.
Cela représente une charge exorbitante pour les dépenses publiques, même si les salaires sont gelés depuis une vingtaine d’années et qu’ils ne dépassent pas les 250 à 300 dollars par mois. Ces dépenses se sont élevées à 3 milliards de dinars libyens en 2004, et, pour 2005, le budget prévoit 3,6 milliards de dinars libyens (environ le même montant en dollars), soit plus du double du budget de fonctionnement de l’État, qui est de l’ordre de 1,6 milliard de dinars.
Jusqu’ici, Kadhafi s’accommodait de cette pléthore de fonctionnaires payés à ne rien faire. C’était sa façon de redistribuer les revenus, surtout que, d’année en année, les cours mondiaux du pétrole dégageaient un surplus de recettes lui permettant de payer les traitements. Mais comme il a besoin, depuis 2003, de se convertir à l’économie de marché et d’attirer les investisseurs étrangers, il lui faut passer sous les fourches caudines du Fonds monétaire international (FMI) et obtenir son certificat de bonne gestion. L’une des principales conditions de cette institution est précisément que le gouvernement libyen procède à une réforme de la fonction publique, ce qui doit nécessairement se traduire par un dégraissage du personnel dans l’administration et les entreprises publiques.
Kadhafi se trouve ainsi au pied du mur : s’il obtempère aux recommandations du FMI et renvoie chez eux une bonne partie des fonctionnaires, il devra affronter le mécontentement de ses comités révolutionnaires dont les membres figurent parmi les principaux bénéficiaires de la fonction publique. Ceux qui perdraient leur emploi iraient grossir les rangs des sans-emploi, dont le nombre est officiellement estimé à 300 000 pour un taux de chômage de 15 % (30 % selon d’autres estimations).
C’était sans compter l’imagination du « Guide ». Tous les jeunes fonctionnaires – soit entre 100 000 et 200 000 personnes – seront mutés dans les services de sécurité, a annoncé Kadhafi, le 3 mars. Il s’agit, en somme, d’une opération de dégraissage, accompagnée d’une opération d’engraissage. A priori, ce tour de passe-passe ne devrait pas être du goût des experts du FMI. Mais Kadhafi a un argument choc : le gonflement des services de sécurité est destiné, dit-il, à « montrer notre force dans la lutte contre le terrorisme ». De quoi laisser sans réponse les administrateurs représentant l’administration américaine au conseil d’administration du FMI. On peut se montrer compréhensif lorsqu’il s’agit de contribuer à la lutte dans le cadre de la « cause commune ».

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