Eloigner le spectre de la sécheresse

La situation est claire : l’humanité épuise la source de vie à un rythme effarant. De multiples voix appellent à un véritable partage mondial des ressources. Des paroles aux actes, le chemin est encore long. Aux politiques de faire les choix qui s’imposen

Publié le 23 mars 2005 Lecture : 6 minutes.

La Journée internationale de l’eau, fixée au 22 mars par les Nations unies, ouvre la voie à plusieurs conférences politiques et scientifiques, organisées dans l’objectif du prochain Sommet mondial de l’eau, qui se tiendra dans un an à Mexico. Les responsables africains sont particulièrement concernés, qui ont rendez-vous à Paris au même moment pour une Conférence euro-africaine organisée sous les auspices de l’Unesco. Les ministres des Finances des 53 pays du continent sont également invités le 31 mars dans la capitale française, à l’initiative de la Banque africaine de développement (BAD) dans le cadre de son programme « Eau », qui vise à mobiliser 14 milliards de dollars pour contribuer à la réalisation, en Afrique, des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD).
Il était temps. Voilà plusieurs années que les scientifiques tirent la sonnette d’alarme : la planète et ses habitants risquent la pénurie dans un avenir proche. En 2025, dans moins d’une génération, la planète comptera 8 milliards d’habitants, soit 1,5 milliard de plus qu’aujourd’hui. Selon les pays, chaque habitant consommera entre 2 000 et 5 000 litres d’eau par jour pour son alimentation, 10 à 600 litres pour l’usage domestique et 2 à 5 litres pour la boisson. Sur ce total, l’agriculture absorbera plus de 70 % des ressources, contre 20 % environ pour l’industrie.
L’augmentation de la consommation d’eau connaîtra de multiples variantes, suivant les régions et les volontés politiques. Dans les pays en développement, elle portera avant tout, du moins il faut l’espérer, sur l’usage domestique. Car aujourd’hui encore, dans de très nombreux cas, ce n’est pas le manque d’eau qui pose problème, mais l’accès direct à l’eau potable. Actuellement, 1,4 milliard de personnes n’y ont pas accès, et 2,3 milliards ne disposent pas d’installations sanitaires correctes. Les Nations unies se sont engagées à réduire de moitié le nombre de ces défavorisés dans les dix ans à venir, dans le cadre des OMD. Par contrecoup, les villes devraient voir leur consommation d’eau doubler sur vingt ans. À titre de comparaison, la population mondiale a triplé au cours du siècle dernier, ce qui a multiplié par six l’utilisation de ce précieux liquide. Actuellement, un habitant d’Amérique du Nord ou du Japon emploie 600 litres d’eau par jour pour ses besoins domestiques, un Européen 300 litres, un Africain seulement 10 à 20 litres. Que se passerait-il si les Africains employaient autant d’eau que leurs homologues du Nord ? De toute évidence, la planète ne le supporterait pas, comme l’a démontré « l’empreinte écologique » définie par l’ONG World Wildlife Foundation (WWF), qui a calculé les besoins des humains des différents continents par rapport aux capacités de la terre. Selon ce modèle, l’empreinte écologique des pays du Nord est telle que, si tous les hommes consommaient autant que les Européens, il nous faudrait 3,4 planètes ; s’ils prenaient les habitudes des Nord-Américains, il nous en faudrait 5,6.
Des signes évidents montrent que nous sommes déjà engagés sur la mauvaise pente. Alors même que 800 millions de personnes ne mangent toujours pas à leur faim, nous épuisons déjà les ressources naturelles en eau. Si une partie de celle que nous consommons à travers notre alimentation (et qu’il a fallu utiliser pour faire pousser les plantes) vient de l’eau de pluie, une partie plus importante encore est directement pompée dans les réserves souterraines. Si les puits existent depuis l’Antiquité, la baisse accélérée du niveau des nappes phréatiques est un phénomène nouveau et inquiétant. Nous sommes en train de « pomper dans nos réserves ». L’expression populaire trouve ici tout son sens : cachés dans les replis du sous-sol, les stocks n’ont plus le temps de se remplir et vont inéluctablement s’assécher, obligeant les humains à aller chercher l’eau plus en profondeur. Or, si une nappe de surface se renouvelle en quinze ou vingt ans, il faut plusieurs centaines d’années d’infiltration pour qu’un bassin plus profond se recharge. Dans le nord de la Chine, le niveau hydrostatique de certaines nappes est passé de 8 m à 50 m de profondeur dans les trente dernières années, conséquence du nombre croissant d’agriculteurs qui recourent aux eaux souterraines. Dans de nombreuses régions d’Inde et du Pakistan, il baisse de 2 m à 3 m par an à cause de l’augmentation du nombre de puits. À certains endroits, on va chercher l’eau à plus de 100 m, alors qu’il y a cinquante ans elle était disponible à quelques mètres seulement. Voilà bien la preuve que la tendance est à consommer plus que ce que la terre ne peut offrir. Le développement durable vise au contraire à exploiter les ressources naturelles sans les épuiser.
Il y a peu, on considérait l’eau comme une ressource abondante, renouvelable à l’infini ; aujourd’hui on réalise qu’un jour, comme le pétrole, ses réserves seront épuisées. Mais si des alternatives au pétrole existent, ce n’est pas le cas pour l’eau ! La pénurie qui guette porte en elle des germes de conflits. Plus un bien est rare, plus il est convoité. Ainsi, un État peut vouloir s’approprier l’eau d’un fleuve, au détriment de son voisin situé en aval. Les Nations unies ont recensé plus de trois cents sources de conflits potentiels de ce type. Il est donc urgent et important d’établir, ou de renforcer quand elles existent, les règles définissant les principes du partage de l’eau, y compris entre différents types d’utilisateurs d’un même pays. À cet égard, dans une région comme le Sahel où le problème de l’eau revêt une importance vitale, il convient de saluer la décision de gérer le fleuve Niger à travers une structure multinationale, l’Autorité du bassin du Niger (ABN). Ces pays ont décidé qu’aucun d’entre eux ne pourra aménager le cours du fleuve (en construisant un barrage ou un canal de dérivation, par exemple) sans en avoir, au préalable, averti les autres membres et obtenu leur accord.
Devant ce constat général, les scientifiques élaborent toute une panoplie de recettes. L’objectif est de tout faire pour que cette ressource soit utilisée de façon plus efficace. Pour éviter une crise majeure, l’essentiel de l’effort doit porter sur l’agriculture, estiment les scientifiques, dans la mesure où c’est elle qui consomme le plus : produire plus avec moins d’eau est devenu l’un des grands défis posé aux agronomes. Une technique déjà utilisée consiste à réutiliser les eaux usées des villes ou de l’industrie, préalablement nettoyées dans des stations d’épuration, pour irriguer les cultures. On cherche également à améliorer les systèmes d’irrigation pour diminuer les pertes, généralement très importantes dans les systèmes traditionnels. Les spécialistes insistent aussi sur la nécessité de mieux capter les eaux de pluie, dont une grande partie se perd en évaporation et en écoulement. Enfin, certains milieux scientifiques fondent beaucoup d’espoirs sur la génétique et les biotechnologies, avec la mise au point d’espèces végétales résistantes à la sécheresse, c’est-à-dire moins exigeantes en eau. Tout récemment, une équipe de chercheurs égyptiens a affirmé avoir créé, par croisement génétique, une espèce de blé capable de pousser dans des espaces quasi désertiques. Pour s’approvisionner en eau potable, certains pays particulièrement arides ont opté pour le dessalement de l’eau de mer, technique qui a l’inconvénient de coûter très cher et de consommer beaucoup d’énergie. Les observations de la Terre par satellite permettent également de repérer des nappes d’eau souterraines jusqu’alors inconnues. Les solutions scientifiques et techniques ne manquent donc pas. Reste à les mettre en oeuvre. Et à transformer en actes concrets l’engagement politique qui se manifeste en ce début 2004.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires