La Namibie veut mettre fin au « statu quo » des fermes aux mains des Blancs
Comme l’Afrique du Sud et le Zimbabwe, la Namibie est agitée par la question de la réforme agraire et de la propriété des terres cultivables, toujours largement contrôlées par la minorité blanche issue des colons.
Le bétail a été remplacé par des plants de tomates et d’épinards alignés au cordeau. Installé dans le nord de la Namibie, Kornelius Hamasab a métamorphosé ses 2.400 m2 de terre sablonneuse héritées d’un descendant de colon allemand. Ce Namibien noir de 69 ans fait figure d’exception.
Dans son pays semi-désertique d’Afrique australe, les Blancs, descendants de Sud-Africains et de colons allemands, continuent de posséder la majorité des terres arables (70%) alors qu’ils ne représentent que 6% de la population.
Près de trente ans après l’indépendance, la majorité noire doit se contenter de 16% des surfaces agricoles, une répartition qui alimente rancoeurs et frustrations.
« Ça me semble injuste », estime Kornelius Hamasab, la tête couverte d’une casquette aussi beige que sa terre. « Le gouvernement devrait faire quelque chose », ajoute-t-il pendant que des membres de sa famille ramassent des épinards destinés à la vente à Windhoek, la capitale à 150 km plus au sud.
Kornelius Hamasab fait partie de la vingtaine de familles qui a obtenu gratuitement un lopin de terre près d’Okahandja, quand leur patron, éleveur de bétail, a décidé de réduire ses activités et de congédier ses 170 salariés.
Au lieu de percevoir des indemnités de licenciement, Kornelius Hamasab a opté pour des terres que lui proposait son employeur, avec l’aval des autorités.
La surface non attribuée a été confiée au gouvernement, prioritaire en cas de démantèlement ou de vente de fermes.
A l’indépendance en 1990, la Namibie a opté pour une réforme agraire fondée sur le volontariat. Les agriculteurs qui souhaitent vendre leurs fermes doivent proposer en priorité leurs terres à l’Etat, qui les redécoupe en petites parcelles ensuite attribuées à des « Namibiens anciennement défavorisés », la majorité noire.
Mais cette stratégie n’a pas permis d’obtenir « les résultats escomptés », a souligné le chef de l’Etat Hage Geingob l’an dernier en relançant un grand débat sur la réforme agraire.
L’Afrique australe concernée
« Le statu quo ne peut pas continuer », a-t-il ajouté en annonçant des amendements constitutionnels pour exproprier, en échange de « compensations justes », des fermiers blancs.
Ces amendements sont toujours en discussion mais le sujet a largement alimenté la campagne présidentielle de novembre, au terme de laquelle Geingob a été réélu pour cinq ans.
La question agite la Namibie comme plusieurs de ses voisins d’Afrique australe, où historiquement les terres cultivables étaient contrôlées par la minorité blanche issue des colons.
Au Zimbabwe, à partir du début des années 2000, des milliers de fermiers blancs ont été expropriés manu militari dans le cadre d’une réforme agraire controversée. Elle s’est soldée par un effondrement de la production agricole.
En Afrique du Sud, le gouvernement a fait de la réforme agraire une priorité en se prononçant pour des expropriations sans indemnisation pour, selon son président Cyril Ramaphosa, « réparer les injustices de l’apartheid ».
A la tête d’une ferme de plusieurs dizaines d’hectares près de Windhoek, Helmut Halenke doute que l’Etat, aux abois financièrement, s’intéresse rapidement à sa propriété héritée de son grand-père allemand, arrivé en Namibie en 1908.
« Il y a beaucoup de fermes sur le marché actuellement. Le problème est que le gouvernement n’a pas d’argent et ne peut pas les acheter », souligne cet agriculteur imposant de 67 ans, vêtu de kaki des pieds à la tête.
Depuis l’indépendance, environ 8 millions d’hectares de terre ont été proposées au gouvernement, qui n’en a acheté que 3, selon le syndicat des fermes commerciales.
Mouvement de « sans terre »
« La communauté blanche vend ses terres », constate Bernardus Swartbooi, ministre adjoint des Terres de 2015 à 2017, « elle ne les garde pas comme ce fut le cas au Zimbabwe ».
Swartbooi a fait de la terre son principal thème de campagne pendant la présidentielle, où il s’est présenté sous les couleurs de son parti, le Mouvement des gens sans terre, qui a recueilli 4,9% des suffrages.
Ce Noir accuse le pouvoir d’utiliser la réforme pour servir « une petite élite ». « Les plus pauvres n’en bénéficient pas », dit-il. Des accusations auxquelles le gouvernement a refusé de répondre.
Le président Geingob, réélu, s’est engagé à confier 43% des terres arables aux Noirs d’ici… 2020. Un pari osé. Helmut Halenke s’en inquiète. Si le projet n’est « pas bien mené », avertit-il, il risque de perturber la production agricole comme au Zimbabwe voisin.
« On ne peut pas prendre un homme sous un arbre et le mettre dans une ferme », insiste-t-il en citant le cas de la plantation horticole d’Ongombo West, près de Windhoek, qui a dépéri une fois redistribuée à des familles mal formées et sans moyens.
« Des ministres ont des fermes et chez eux, il n’y a pas de vraie production », estime Halenke. « Ils pensent que c’est facile, mais être fermier n’est pas fait pour les poules mouillées. »
Kornelius Hamasab est bien placé pour en parler. Il a reçu le précieux soutien de son précédent employeur et des conseils d’experts agricoles allemands. Mais la plupart des Namibiens qui ont obtenu des terres n’ont pas eu autant de chance.
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