A nous Jéricho !

Le 16 mars, Tsahal a démantelé la plupart de ses check-points dans la circonscription de la ville cisjordanienne et transféré le contrôle sécuritaire à l’Autorité palestinienne. Reportage.

Publié le 21 mars 2005 Lecture : 3 minutes.

Le mercredi 16 mars au matin, seule la présence de plusieurs Land-Rover blindées avec les grandes lettres « T.V. » scotchées sur le capot avertit les observateurs que, sur cette route désertique de la Cisjordanie, le monde entier a les yeux braqués sur l’Histoire en train de se faire. Sinon, rien à signaler, ou presque.
Au premier barrage israélien sur l’axe principal reliant Jérusalem à Jéricho, une grue charge paresseusement sur le plateau d’une remorque quelques-uns des blocs de béton utilisés comme chicanes pour ralentir les véhicules, tandis que les militaires filtrent, comme à l’accoutumée, les allers et venues des camions et des taxis collectifs. Plus loin vers le nord, au-delà de l’oasis endormie, le poste de contrôle israélien est toujours en place, truffé de tireurs d’élite et surmonté de sa casemate où flotte l’étoile de David. « Dans deux heures, on s’en va », déclare cependant, comme une évidence, l’officier de Tsahal devant des Palestiniens incrédules, sans cesser de consulter les laissez-passer que les conducteurs lui tendent par la fenêtre de leur voiture.
Pourquoi dans deux heures ? « Les discussions ne sont pas terminées. » Elles vont encore durer toute la journée, entre militaires israéliens et Palestiniens, avant de clore d’une poignée de main plus d’un mois de tergiversations. Il est vrai que l’enjeu n’est pas mince : il s’agit du transfert à l’Autorité palestinienne (AP) du contrôle sécuritaire de Jéricho et de sa circonscription, soit le démantèlement de la plupart de ces check-points israéliens qui sont devenus la hantise des Palestiniens pour les entraves désastreuses qu’ils ont causées à leur liberté de circulation.
Un chauffeur de taxi s’exclame en arabe : « Qu’est-ce qu’on nous bassine avec ce retrait ? On peut me dire ce que ça change ? » Un soldat israélien lui répond en hébreu, sans le regarder : « Tu patientes depuis des années. Attends deux heures de plus ! »
Samer Mouassalam, le gouverneur de Jéricho, qui nous reçoit dans un bureau tapissé de photos de Yasser Arafat et de la mosquée Al-Aqsa, ainsi que de tableaux équestres rappelant l’existence du centre hippique, fierté de la ville, en sommeil depuis l’Intifada, n’est pas aussi blasé que la plupart de ses compatriotes : « On peut penser ce qu’on veut de cet accord. Il n’est pas parfait, mais il a été négocié et obtenu par nous, et il va dans le bon sens : celui de l’indépendance de l’État palestinien. Si un incident se produit, ici ou à Hébron, tout ne sera-t-il pas une fois de plus remis en cause ? Réagissons en êtres humains et pas seulement au nom de notre peur. Il y a un accord. On l’applique, au mieux de nos intérêts, et on espère que les Israéliens tiendront, eux aussi, leurs engagements pour permettre le libre-accès de la ville aux visiteurs de toute la Palestine, d’ici à quatre semaines. »
C’est ce dont le gouverneur va essayer de s’assurer aussitôt après notre départ en sillonnant la route qui encercle l’agglomération pour suivre pas à pas l’avancée de la grue et la levée des barrages israéliens concernés. Cette dernière, effective en fin d’après-midi, ne signifie d’ailleurs pas que les automobilistes aient dorénavant le champ libre : avant même que les militaires israéliens aient plié bagage, d’autres militaires, palestiniens ceux-là, viennent prendre position à quelques dizaines de mètres du point de contrôle initial en déployant leurs drapeaux.
En outre, une voiture de police israélienne se poste à son tour, un peu plus loin, avec pour mission non pas de contrôler la sortie des véhicules palestiniens, mais d’empêcher les Israéliens qui en auraient l’intention de pénétrer plus avant en Palestine ! Bref, cette « libération », ô combien symbolique, d’une ville où le roi Hussein de Jordanie aimait jadis passer des vacances et qui est presque toujours restée paisible, ne s’est certes pas effectuée sans de multiples arrière-pensées, exprimées par autant de garanties tatillonnes mises au point dans la peine.
Mais un pas a été franchi. Aujourd’hui à Jéricho, demain peut-être à Tulkarem, à Ramallah et à Bethléem, les Israéliens ont desserré leur étau sur une ville de Palestine, non par la force, mais par la négociation avec des autorités qu’ils semblent enfin prendre au sérieux. Cela au moment même où Mahmoud Abbas, au Caire, vient d’obtenir du Hamas et du Djihad islamique qu’ils prolongent leur trêve. Vous avez dit « Désescalade » ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires