[Tribune] Tunisie : de la nécessité de moraliser la vie publique
À la question « Où va la Tunisie ? », personne n’est capable de répondre, et il faudrait être devin pour apporter une ébauche de réponse. Quant à « Comment va le pays ? », tous les Tunisiens sont unanimes, il va de plus en plus en plus mal, par la faute de ses enfants.
Le diagnostic est parfois sans appel et, données à l’appui, on se résout à cette réalité cruelle et crue : la Tunisie traverse l’œil du cyclone. Ceux qui ont l’art de jouer les cassandres n’hésitent pas à annoncer des prédictions alarmistes et dramatiques, et un avenir plus sombre encore. Ils réalisent dans une sorte d’illumination que le pays va « droit dans le mur ». De quoi attiser la peur de l’avenir et semer le désespoir. Les sondages le disent et, souvent, les Tunisiens le croient.
Le spectacle donné à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), retransmis mardi 3 décembre en direct par la chaîne publique, lors de l’examen du projet de loi de finances complémentaire, a fini par désespérer l’ensemble des Tunisiens de cette classe politique et de la capacité de cette dernière à susciter l’espoir et à ramener la confiance – après des élections jugées pourtant libres et démocratiques.
La séance a été tendue, voire houleuse, et l’hémicycle a failli se transformer en arène de pugilat. Accusations, insultes et échanges de propos malveillants ont émaillé la séance. Le niveau général des interventions est tombé si bas qu’il est à se demander si certains députés sont conscients qu’au-delà du nombre de décibels que dégagent leurs vociférations, ils nuisent à l’image de l’institution, déjà fortement écornée. Et ce n’est pas en braillant cent fois plus fort que les autres qu’on pourra mieux se faire entendre et imposer ses choix.
Crise multiple
En vérité, ce qui s’est passé lors de cette journée n’est pas une première en soi, puisque l’enceinte parlementaire a, souvent, été le théâtre de vives altercations entre députés. Du temps de la défunte Constituante, on en était même venu aux mains. Les dissensions prennent, parfois, une tournure inattendue et inacceptable.
Tout cela n’est malheureusement que le reflet de ce que vivent les Tunisiens depuis un certain temps, traduisant un malaise ambiant dans la société, où la violence s’est installée sous plusieurs facettes. Une violence qui ne cesse de prendre de l’ampleur, en raison d’une accumulation de facteurs au cours des dernières années. Une société permissive où tout est bafoué, y compris la liberté d’expression – fondement, pourtant, de la démocratie – parce qu’elle est devenue synonyme de liberté d’insulter.
Cette violence est le corollaire de la méfiance qui règne envers les politiques et qui, hélas ! , s’est répercutée à l’ensemble de la société
Cette violence est le corollaire de la méfiance qui règne envers les politiques et qui, hélas ! , s’est répercutée à l’ensemble de la société. Aujourd’hui, nous devons reconnaître que la crise est multiple. Elle est à la fois politique, économique et sociale, mais aussi morale, se concrétisant par la fin de l’espérance, la perte de confiance, la peur de l’autre.
La politique est devenue cynique, tuant tout espoir de redressement. Les hiérarques des partis politiques se laissent parfois aller à des discours violents, contribuant à polluer un climat général déjà délétère. L’argent joue un rôle majeur dans l’affaissement des valeurs morales. Tout est à vendre, y compris l’honneur de politiques dont la nature profonde serait la versatilité, l’opportunisme et l’inconstance. D’où les notions de « girouette » ou de « caméléon », qui se sont imposées comme des éléments incontournables chez beaucoup de ces élus qui passent, comme ils changent de chemise, d’un parti ou d’un groupe parlementaire à l’autre.
Débat de fond
Face à cette situation, les Tunisiens se sont fait à l’idée que seuls les intérêts personnels prévalent en ces temps de crise, et que l’intérêt supérieur du pays n’est qu’un slogan creux, utilisé comme un calmant, mais qui ne calme plus rien. Ils se sentent épuisés par cette ébullition, révoltés contre cette mascarade qu’ils ne cautionnent pas, angoissés face à un avenir qui tarde à se dessiner.
C’est dans ce contexte que se pose la question de la moralisation de la vie politique, aujourd’hui devenue une nécessité. Elle est d’abord tributaire de la mise en place de garde-fous, dans une série de dispositions tendant à renforcer la transparence, à encadrer le financement des partis politiques et des campagnes électorales, à garantir l’impartialité des nominations à de hautes fonctions, à éviter les conflits d’intérêt et l’enrichissement illicite. Elle passe, également, par l’amélioration et le renforcement des mécanismes de contrôle de déontologie, comme dans les différents corps de métiers.
Cette moralisation mérite un débat de fond, un débat démocratique dont l’enjeu est de replacer l’intérêt général au premier plan, et de restaurer la confiance des citoyens. Pendant ce temps, le pays est entré dans une période de flou, faite d’incertitude et d’expectative. Climat propice aux « complotistes », qui en profitent pour semer la panique, la division et la suspicion. Ils épluchent, à leur manière, l’histoire du pays, réveillent les vieux démons, montent les Tunisiens les uns contre les autres et exacerbent les sentiments régionalistes.
En cette période de crise, nul n’est exempt de reproche, et nul ne doit prétendre détenir la vérité et les clés de la réussite. La responsabilité est commune et doit être partagée par tous les partenaires politiques, économiques et sociaux, loin de toute forme d’exclusion.
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