Un coup de vieux

Conséquence inéluctable du contrôle des naissances : le vieillissement de la population. Comment faire face au « papy-boom » qui pointe à l’horizon ?

Publié le 21 février 2005 Lecture : 4 minutes.

« Croître ou vieillir : il faut choisir, disait Alfred Sauvy. On devrait dire plutôt : Croître et vieillir : nous n’avons pas à choisir. » C’est avec cette boutade que Jean-Claude Chesnais, chercheur à l’Institut national des études démographiques (Ined, Paris), a commencé sa communication à la quatrième session du Cercle de la santé de la reproduction, organisé par l’Office national de la famille et de la population (ONFP), le 28 janvier dernier, à Tunis, sous le thème : « Du baby-boom au papy-boom ».
Pourquoi, en Tunisie, un pays relativement jeune (l’âge médian y est actuellement de 24 ans et demi) et qui est encore confronté aux défis de la pression démographique (explosion des effectifs universitaires, taux de chômage proche de 15 %…), commence-t-on déjà à poser le problème du vieillissement de la population ? Réponse de Nabiha Gueddana, directrice générale de l’ONFP : « Le recensement de la population de 2004 montre que la pyramide des âges voit poindre à son sommet un groupe important de personnes âgées de 60 ans et plus. Cette situation nouvelle, à laquelle nous ne sommes pas encore préparés, constitue un sujet de préoccupation pour toutes les structures publiques. »
En effet, « de 1966, année de la mise en place d’un programme de planning familial, à 2004, la population âgée de plus de 60 ans est passée de 249 000 personnes (5,5 % de la population globale) à 926 000 (9,3 %). Alors que la population totale n’a fait que doubler, passant de 5,5 millions à 9,9 millions, celle des personnes âgées a presque quadruplé », a fait remarquer Habib Fourati, chef du département des statistiques démographiques à l’Institut national des statistiques (INS-Tunisie). Cette évolution est le fruit de la conjugaison de plusieurs facteurs, dont le plus important est l’amélioration des conditions sanitaires qui a permis de réduire le taux de mortalité, durant la période indiquée, de 15 à 5,6 pour 1 000 habitants et d’élever ainsi l’espérance de vie de 51 à 73 ans.
De même, le recul de l’âge moyen du mariage chez les femmes de 20 ans à près de 30 (33 ans chez les hommes), la baisse de l’indice synthétique de fécondité (ISF : nombre d’enfants par femme) de 7,5 à 2 – un taux inférieur au seuil du renouvellement des générations, établi à 2,1 – et une politique volontariste – pour ne pas dire agressive – de limitation des naissances ont fait reculer le taux d’accroissement démographique de 2,6 à 1,2 actuellement.
Cette baisse de la fécondité a entraîné une réduction de la base de la pyramide des âges. Elle a aussi allégé d’autant la pression démographique pesant sur la population active, qui a augmenté sensiblement, passant de 48 % à 57 % de la population globale. Très bénéfique pour l’économie – il n’est d’ailleurs pas étranger aux performances actuelles du pays dans ce domaine -, cet « âge d’or démographique » sera de courte durée. « La Tunisie, qui achève tout juste la transition de sa fécondité, très peu de temps après l’avoir entamée, entre déjà dans cette phase de progrès sanitaire où les progrès ultérieurs de l’espérance de vie seront eux-mêmes porteurs de vieillissement démographique », notent à ce propos Jacques Vallin et Thérèse Locoh dans l’introduction de l’ouvrage collectif Population et développement en Tunisie : la métamorphose (Cérès éditions, Tunis, 2001). Traduire : à peine amorcé, le vieillissement démographique va s’accélérer de façon exponentielle.
Selon les projections de l’INS-France, la proportion des plus de 60 ans passera, entre 1994 et 2030, de 8 % à 17 %. Dans des projections similaires faites par l’INS-Tunisie, on retrouve la même tendance lourde : le nombre de personnes âgées devrait passer effet de 0,85 million (sur un total de 9,5 millions) en 1999 à 2 millions (sur 11,8 millions) en 2029, soit d’un taux de 9 % à 17,7 %. Ce pourcentage est très proche de celui actuellement en vigueur dans les pays développés.
Seulement voilà : ces pays, où le processus de vieillissement a été relativement lent, ont eu assez de temps pour s’y préparer – même s’ils ne sont pas tous parvenus à bien le gérer. Ce ne sera malheureusement pas le cas de la Tunisie, qui devra prendre des dispositions pour affronter ce problème – et ses innombrables conséquences économiques et sociales – dans un temps beaucoup plus court et, surtout, dans des conditions économiques moins favorables.
Parmi ces conséquences, les experts citent l’accroissement des dépenses de santé (10 % du PIB), la baisse des effectifs scolaires, la raréfaction de la main-d’oeuvre jeune et ses corollaires : le renchérissement du coût du travail, la baisse de l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers et le nécessaire recours aux travailleurs étrangers. Cette profonde modification des besoins collectifs appellera une restructuration des dépenses publiques et une nouvelle hiérarchisation des priorités dans des domaines aussi importants que l’enseignement, l’emploi, le logement, la santé ou les retraites.
La Tunisie, actuellement en pleine transition, doit donc agir rapidement pour essayer de profiter de son « âge d’or démographique », de manière à accélérer son développement économique et mieux se préparer à faire face aux défis du papy-boom qui pointe à l’horizon. Cette préparation spécifique passe par la consolidation du système de sécurité sociale – dont la réforme fait actuellement débat -, l’élargissement de la couverture sanitaire, la formation de cadres médicaux et paramédicaux capables de prendre en charge les personnes âgées et la mise en place de structures sanitaires appropriées à cette population.
Sans mettre en question les grands acquis de sa politique sociale, qui est citée en exemple dans les pays du Sud, la Tunisie doit aussi envisager de nouvelles orientations, notamment des programmes de soutien à la natalité – ce qui serait une véritable révolution au terme de quatre décennies de contrôle des naissances – et une valorisation de l’enfant et de l’accueil qui lui est réservé par la société. Des experts parlent même déjà de l’instauration du congé parental, du travail à temps partiel pour les mères, de déductions fiscales, etc. Le pays, qui fait face à d’énormes défis économiques et sociaux, peut-il supporter les incidences de telles mesures ? Quoi qu’il en soit, le débat sur ces questions ne peut plus être reporté.

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