Au Soudan, la révolution du football féminin

Le Soudan a lancé le 30 septembre dernier le premier championnat de football féminin de son histoire. Une révolution dans ce pays qui s’ouvre depuis la chute de l’ex-président Omar El-Bechir, et qui ne va pas sans susciter quelques réticences.

Des femmes soudanaises réfugiées jouent au football, dans un camp ougandais, en juin 2017. Photo d’illustration. © Ben Curtis/AP/SIPA

Des femmes soudanaises réfugiées jouent au football, dans un camp ougandais, en juin 2017. Photo d’illustration. © Ben Curtis/AP/SIPA

Alexis Billebault

Publié le 10 décembre 2019 Lecture : 4 minutes.

Il y a encore quelques mois, personne n’aurait vraiment pris au sérieux l’hypothèse de voir un championnat de football féminin se créer au Soudan. Mais depuis le départ forcé de l’ancien homme fort du pays, Omar El-Bechir, arrivé au pouvoir après un coup d’État en 1989 largement soutenu par les islamistes, le pays s’est engagé dans une transition censée favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes. La création de cette ligue féminine, qui comprend 21 clubs, répartis en trois régions, en est l’une des plus spectaculaires expressions.

Les religieux se font entendre

Le premier match de l’histoire du championnat, entre les équipes de Tahdi et Difaa, s’est ainsi déroulé le 30 septembre à Khartoum, devant près de 8 000 spectateurs. Parmi eux, la ministre des Sports, Wala Essam, qui a déclaré « qu’une attention spécifique serait accordée au sport féminin et au football féminin. » D’autres villes du pays ont également accueilli des matches, comme à Kadugli, Madani et Al-Obeid.

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Mais dans ce pays qui reste profondément conservateur, la pratique du football par des femmes n’est pas acceptée par tous. Le 11 octobre, une importante foule s’était rassemblée devant une mosquée de Khartoum, suite à un appel lancé par le prédicateur islamiste Abdel Hay Youssef, connu pour ses prêches radicaux et son soutien à Omar El-Bechir. Abdel Hay Youssef avait violemment critiqué la ministre des Sports pour avoir encouragé la création de ce championnat féminin, assurant que l’islam interdirait la pratique du football par les femmes.

« Il y a aussi des gens qui ne sont pas fondamentalement opposés à la pratique du football par des femmes. Mais ils réclament en revanche que le public soit exclusivement féminin, notamment parce que des joueuses ne portent pas de foulard », affirme Ali Abusufiuan, consultant auprès d’Al Merreikh, un des plus grands clubs du pays.

« La révolution a fait évoluer les choses »

Mirvat Hussein, en charge du football féminin au sein de la Fédération soudanaise de football depuis son élection en 2017, est revenue sur ce qui est considéré comme une vraie évolution au sein de la société soudanaise. « Il y a moins de deux ans, un championnat féminin au Soudan n’était pas envisageable. Des filles jouaient, mais rien n’était organisé », explique-t-elle à Jeune Afrique.

Les médias s’intéressent au championnat, certains matches sont même retransmis

« La révolution de 2019 a fait évoluer les choses et des clubs exclusivement féminins ont été créés. La première phase de la compétition vient de s’achever, la seconde partie va commencer début décembre. Il y a un intérêt du public, qui est mixte. Les médias s’intéressent au championnat, certains matches sont même retransmis, et le niveau de jeu s’améliore. La fédération envisage même de créer des compétitions pour les jeunes, et dans les établissements scolaires, la pratique du foot par les filles se développe », poursuit la dirigeante.

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Réticences

Mirvat Hussein n’est pas sourde aux réserves émises par ceux qui ne tolèrent pas la pratique du football par des femmes. « On entend leurs critiques. Pour les plus radicaux, la place de la femme est à la maison. Ils expliquent que l’islam n’est pas compatible avec la pratique du sport par les femmes. Mais on note tout de même qu’il y a une évolution dans la société. Les gens sont plus ouverts au changement », assure-t-elle.

Yacin Youssef, dirigeant du club d’Al-Saham, n’est pas totalement opposé à la pratique du football par des femmes. Mais il énonce de strictes conditions : « Il faut les protéger des regards extérieurs. C’est pour cela que je fais partie de ceux qui préféreraient qu’elles pratiquent le foot dans un lieu fermé, sans caméra et sans public masculin. La société soudanaise est particulière, avec des traditions, une culture », argue-t-il, en prenant l’exemple du basket et du volley, deux disciplines pratiquées par les femmes. « Cela a pris du temps. Pour le foot, la décision est trop brutale, il fallait laisser les gens s’habituer. Tout est allé trop vite », poursuit Yacin Youssef, qui suit toutefois à la télé les compétitions féminines internationales, mais n’a jamais assisté à un match du nouveau championnat du Soudan, se contentant de visionner quelques extraits sur Internet.

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Bientôt une sélection nationale ?

L’État soudanais suit avec attention ce premier championnat féminin – totalement amateur – de l’histoire du pays, et a même fait quelques promesses pour apporter une aide financière pour son développement. Pour l’instant, la Fédération y injecte une partie de la dotation qu’elle reçoit annuellement de la FIFA.

« En outre, les matches ont la plupart du temps lieu dans les stades homologués par la CAF et la FIFA, et où se déroulent des matches masculins », ajoute Mirvat Hussein. La Fédération soudanaise travaille à la création d’une sélection nationale, qui devrait être effective en décembre et sera autorisée à prendre part aux compétitions organisées par la CAF et la FIFA. Ce développement du football féminin a fait des émules : comme son voisin, le Soudan du Sud a lui aussi lancé un championnat pour les femmes à la fin du mois d’octobre.

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