Paludisme : 2005 sera une année charnière

Pour l’ancienne ministre sénégalaise de la Santé, c’est en combinant prévention et traitements qu’on luttera efficacement contre la maladie. Entretien.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 6 minutes.

Spécialiste des maladies infectieuses, le professeur Awa Marie Coll-Seck a été à la pointe du combat contre le sida au Sénégal et directeur du département politique, stratégie et recherche de l’Onusida, avant d’être ministre de la Santé et de la Prévention du Sénégal en 2001. Elle est aujourd’hui secrétaire exécutif du partenariat mondial « Faire reculer le paludisme » (Roll Back Malaria, RBM), créé en 1998 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), alors dirigé par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), l’Unicef et la Banque mondiale. Ce partenariat compte aujourd’hui, en plus des membres fondateurs, les pays endémiques (notamment africains), les donateurs bilatéraux, les ONG, les entreprises privées, les instituts universitaires et de recherche et les fondations.

Jeune Afrique/l’intelligent : Le paludisme est responsable de plus d’un million de décès par an dans le monde. En Afrique, il est la principale cause de mortalité chez les enfants de moins de 5 ans, et il coûte chaque année au continent 12 milliards de dollars sous forme de pertes de Produit intérieur brut et de retard de développement. Le plan RBM se proposait, par définition, de faire reculer le paludisme et de faire baisser le taux de mortalité « d’au moins 50 % entre 1998 et 2010 ». Il y a pourtant eu, en 2004, trois fois plus de morts que dans les années 1970. Quand peut-on espérer un vrai recul du paludisme ?
Awa Marie Coll-Seck : Il ne recule pas encore, c’est exact, mais 2005 sera une année charnière. Pour le faire régresser rapidement, le couple prévention plus traitement est incontournable. Un atout essentiel de la prévention est la moustiquaire imprégnée d’insecticide. Avec ces moustiquaires, on peut obtenir un recul de 50 % des accès palustres et de 25 % de la mortalité. Or cet atout, maintenant, on l’a. La date clé est le 17 novembre 2004, quand on a commencé à fabriquer en Tanzanie, aux A to Z Textile Mills d’Arusha, la moustiquaire Olyset longue durée. C’est une moustiquaire imprégnée d’insecticide, comme il en existait déjà, avec toutefois cette particularité qu’elle garde son efficacité non plus six mois, mais de trois à cinq ans. Lorsqu’elle tournera à plein régime, l’usine tanzanienne pourra en fabriquer un million par an.
Le symbole de l’Olyset est double. D’abord, la Tanzanie est la victime numéro un de la maladie, avec environ 10 % des décès mondiaux : 90 % des cas y sont provoqués par le Plasmodium falciparum, le parasite le plus dangereux. Ensuite, cette moustiquaire imprégnée est une réussite du partenariat public-privé : elle n’a pu voir le jour que grâce à la collaboration de l’OMS, de l’Unicef, de Sumitomo Chemical, d’ExxonMobil, de l’Acumen Fund et de Population Services International, qui ont facilité le transfert de technologie aux A to Z Textile Mills. Elle ne sera vendue que 5 dollars. La pulvérisation intradomiciliaire d’insecticide est une autre méthode efficace de prévention.

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J.A.I. : Mais comment ces moustiquaires imprégnées seront-elles distribuées ? Au Sommet africain d’Abuja, en avril 2000, on prévoyait qu’en 2005, elles protégeraient 60 % des personnes à risque. Début 2003, on n’en était qu’à 5 %…
A.M.C.S. : L’Érythrée a déjà dépassé cet objectif de 60 % de couverture. Le Mali n’en est pas loin. La lutte contre le paludisme doit former une partie intégrante des stratégies existantes de santé et de développement. Ainsi, à la mi-décembre 2004, au Togo, on a fait une campagne de vaccination à l’échelle nationale contre la rougeole. À chaque enfant qui venait se faire vacciner on donnait une moustiquaire gratuite. C’est une approche dont l’efficacité a été démontrée au Ghana, en Zambie et au Sénégal. Il y a aussi une question de volonté politique : tous les pays de l’Afrique subsaharienne n’ont pas encore supprimé les taxes sur les moustiquaires imprégnées, mais de plus en plus s’y mettent. L’argent suit. Richard Feachem, le directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme assistait à l’inauguration de l’usine A to Z Textile Mills : il a indiqué que le Fonds consacrerait près de 1 milliard de dollars dans les deux ans à la lutte contre le paludisme.

J.A.I. : Si les enfants en bas âge sont tous protégés des piqûres de l’anophèle, qu’adviendra-t-il de ceux qui développaient une auto-immunisation ?
A.M.C.S. : C’est un faux problème. En fait, on est toujours un peu piqué dans les zones impaludées, et cela évite à beaucoup de gens des formes sévères de la maladie. L’essentiel est de protéger les enfants de moins de 5 ans qui sont les plus fragiles. Après, ils résistent mieux.

J.A.I. : Il semble également qu’on dispose désormais de médicaments efficaces…
A.M.C.S. : L’une des raisons de l’accroissement de la mortalité et de la morbidité, ces dernières années, a été la résistance de plus en plus forte du Plasmodium falciparum aux médicaments classiques, à base de chloroquine, de sulfadoxine-pyriméthamine (SP) et d’amodiaquine, utilisés le plus souvent en monothérapie. Parallèlement, en revanche, on mettait au point de nouveaux médicaments, les ACT, les Artemisinin-based Combination Therapies (associations thérapeutiques comportant de l’artémisinine). L’OMS recommande leur usage en combinaison avec les monothérapies en cas de résistance du Plasmodium falciparum. Quarante pays ont adopté ces traitements combinés, dont en 2004, en Afrique, le Kenya, le Ghana, la Guinée équatoriale, le Cameroun, São Tomé e Príncipe, le Bénin, la Tanzanie, l’Éthiopie, le Liberia, Madagascar, le Mozambique, la Sierra Leone, le Soudan et l’Ouganda. Les composés d’artémisinine sont tirés de l’agent actif de l’Artemisia annua, une plante qui pousse en Chine du Sud, dans le Guangxi et le Hunan, et qu’on appelle là-bas le quinghao. Le quinghao est utilisé dans la médecine traditionnelle chinoise depuis un bon millénaire. Un des laboratoires producteurs d’ACT, la compagnie suisse Novartis, a mis au point, à partir de l’artémisinine, un médicament, le Coartem, qui s’est révélé d’une grande efficacité, notamment au Kwazulu-Natal, en Afrique du Sud.
On se heurte, cependant, à plusieurs difficultés. D’abord, la plante met six mois à pousser et il faut de deux à cinq mois pour en tirer l’extrait indispensable, le traiter et fabriquer le médicament. Et l’on commence seulement à la mettre en culture dans d’autres pays comme la Tanzanie et le Kenya. L’approvisionnement est difficile. Ensuite, même si Novartis vend le Coartem à prix coûtant (0,9 dollar pour les enfants, 2,40 dollars pour les adultes), le traitement revient beaucoup plus cher qu’avec les remèdes classiques. Sous la supervision de l’OMS, un plan d’action a donc été mis en route à la fois pour la production d’artémisinine et le financement d’achats d’ACT. Le partenariat RBM s’est mobilisé pour alerter les pays concernés et oeuvrer à la réalisation de ces objectifs [voir encadré ci-dessous].
Une autre possibilité serait qu’on arrive à reconstituer en laboratoire un produit qui ait les vertus de l’artémisinine. Grâce au soutien de MMV (Medicines for Malaria Venture), un partenariat public-privé, incluant entre autres l’université de Nebraska et la société pharmaceutique indienne Ranbaxy, développe le potentiel d’une molécule synthétique, baptisée OZ277, qui donne de grands espoirs. Elle devrait être testée en Thaïlande au début de 2005.

J.A.I. : Que peut-on attendre des vaccins ?
A.M.C.S. : Seuls les vaccins permettront un jour une éradication totale. Mais ce n’est pas pour demain. L’espoir est cependant permis. Différentes équipes sont au travail, auxquelles participent des Africains. Le « candidat vaccin » le plus encourageant, jusqu’à présent, est celui qui a été testé au Mozambique en 2004. Il est dû, lui aussi, à un partenariat public-privé. L’hebdomadaire médical britannique The Lancet a rendu compte en octobre 2004 de l’essai clinique, qui avait été approuvé par le ministère de la Santé du Mozambique. Cet essai a été mené par le Centro de Investigação em Saude da Manhiça et cosponsorisé par GSK Biologicals et la Malaria Vaccine Initiative, mise sur pied en 1999 avec un soutien financier de la Fondation Bill et Melinda Gates. Le vaccin, baptisé RTS, S/AS02A, pourrait être utilisé, si tout va bien, à partir de 2010. D’ici là, il faut miser au maximum sur les autres moyens de prévention et sur un traitement efficace.

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