M6, Gbagbo et la dépêche
Le roi Mohammed VI, dont un hebdomadaire marocain irrévérencieux se demandait il y a peu, à la une, ce qu’il pouvait bien faire tant il lui paraissait absent, aurait-il décidé de « bouger » pour exister ? Avant de se rendre, fin mars, au sommet de la Ligue arabe, à Alger, le souverain devait s’embarquer, le 20 février, pour une tournée africaine, la seconde en l’espace de huit mois. Rien de bouleversant dans l’itinéraire choisi, puisque deux des trois pays visités – le Gabon et le Sénégal – l’avaient déjà été en juin 2004 : M6 y sera en terrain sûr, chez des amis de longue date. Le Burkina Faso, en revanche, constitue une nouveauté, aucun roi du Maroc ne s’étant jamais rendu à Ouagadougou. Le président Compaoré ayant retiré sa reconnaissance de la RASD il y a neuf ans, l’étape se faisait attendre – ce sera désormais chose faite. Hors OUA (puis hors UA) depuis 1984, le royaume continue de compenser comme il peut son absence de la scène panafricaine.
Une étrange cacophonie ivoirienne, dont Rabat se serait bien passé, vient pourtant de pimenter les préparatifs de ce voyage. Le 16 février, un émissaire venu d’Abidjan, le vice-président du Front populaire ivoirien, Abou Drahmane Sangaré, est reçu au palais de Casablanca par Mohammed VI. Dans son attaché-case, Sangaré apporte un long message de Laurent Gbagbo au roi. Le Maroc, on le sait, a envoyé un contingent de 700 bérets bleus onusiens en Côte d’Ivoire, et l’ex-ambassadeur du royaume en France, Hassan Abouyoub, était le favori pour le poste à pourvoir de représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en Côte d’Ivoire avant d’être récusé par… Laurent Gbagbo. Ce dernier a donc des explications à fournir, une ou deux choses à se faire pardonner et une demande à formuler. Malin, le président ivoirien commence par établir un parallèle entre « ses » rebelles des Forces nouvelles et… les indépendantistes du Front Polisario – on ne sait si l’analogie a convaincu le destinataire du message – avant d’en venir à sa requête : que M6, dont on connaît les liens avec Jacques Chirac, l’aide à aplanir ses différends avec la France. Ce que l’agence officielle marocaine MAP, dans une dépêche publiée le soir même, résume en ces termes : Gbagbo a demandé au roi de « mener les efforts de médiation appropriés pour la résolution de la crise ».
Une petite phrase ambiguë à la formulation hasardeuse qui fait l’effet d’une petite bombe. Pourquoi Gbagbo sollicite-t-il le Maroc alors que l’Afrique du Sud s’en occupe ? Pourquoi s’adresse-t-il à un pays qui n’est pas membre de l’Union africaine et dont les relations avec Pretoria sont notoirement mauvaises ? Pourquoi jette-t-il cette pierre dans le jardin de Thabo Mbeki alors que ce dernier ne lui est pas, a priori, défavorable ? À quel jeu joue-t-il et dans quel tapis se prend-il les pieds à force de subtilités incompréhensibles ? Il faudra attendre vingt-quatre heures pour que la présidence ivoirienne, qui a pris la mesure des dégâts, publie un « démenti formel » à ces « informations tendancieuses » et réitère son « soutien total et sa pleine confiance » en la médiation Mbeki. Prudent tout de même, le cabinet de Gbagbo évite de s’en prendre à la MAP pour concentrer le tir sur les médias qui ont repris la dépêche : en l’occurrence « la radio d’État française RFI », coupable de « manipulation » et de « désinformation ». Quand un message déplaît, c’est bien connu, rien de plus simple que de tuer le messager.
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