[Tribune] Algérie : le président et « l’aléa moral »

Les tenants du pouvoir auraient tort de s’imaginer qu’un nouveau président permettra de tourner la page du Hirak. Il offrira, au mieux, ce que l’économiste Adam Smith théorisait comme l’« aléa moral », soit « la maximisation de l’intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables sur l’utilité collective ».

Des manifestants protestant dans les rues d’Alger, vendredi 13 décembre 2019, contre le nouveau président élu la veille, Abdelmadjid Tebboune. © Toufik Doudou/AP/SIPA

Des manifestants protestant dans les rues d’Alger, vendredi 13 décembre 2019, contre le nouveau président élu la veille, Abdelmadjid Tebboune. © Toufik Doudou/AP/SIPA

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  • Neila Latrous

    Neila Latrous est rédactrice en chef Maghreb & Moyen-Orient de Jeune Afrique.

Publié le 16 décembre 2019 Lecture : 2 minutes.

Disons-le d’emblée : l’élection du 12 décembre n’est qu’une péripétie en regard du mouvement de fond qui traverse l’Algérie. Une anecdote. Presque un « fait d’hiver ». C’est d’autant plus frustrant que l’Histoire aurait pu s’écrire différemment : un peuple se soulève, obtient le départ de celui qui cause son désarroi et plébiscite un jeune président dans le cadre d’un scrutin transparent, dont la légitimité et la sincérité sont unanimement saluées. Brique par brique, le mur de la défiance est démantelé. Un nouveau récit national émerge, porteur de mille promesses. Clap de fin. Générique. Mais il faut croire que les scénaristes manquaient d’imagination.

Climat étouffant

La présidentielle s’est tenue dans un climat étouffant. En lieu et place de grands meetings populaires, les réunions publiques organisées dans des salles étriquées étaient réservées aux seuls journalistes et équipes de campagne. Les déplacements des candidats ont quasiment tous été chahutés. Le débat inédit du 6 décembre s’est résumé à des exposés courtois et sans relief : peu d’échanges, pas de confrontation, chaque prétendant dans son couloir a égrené des propositions vaporeuses. Pas à la hauteur d’une première historique.

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Mais le pire vint sans doute du télescopage entre calendrier politique et agenda judiciaire. Le 10 décembre, deux anciens Premiers ministres et plusieurs hommes d’affaires étaient condamnés, au terme d’une semaine de procès, à plusieurs années de prison ferme pour corruption et abus de pouvoir. Non que les responsables de l’ancien régime – figures honnies de la population – fussent en droit de bénéficier d’une quelconque impunité, car ils doivent rendre des comptes pour toutes ces années de gabegie.

Poursuite de la lutte

Mais un jugement expéditif dans une affaire complexe, avec de lourdes peines prononcées à 48 heures du scrutin, conforte l’idée que l’aspiration à un État de droit, exprimée semaine après semaine dans la rue, n’a pas été entendue. Le pouvoir n’a pas mieux qu’un ersatz de justice à proposer. Démarche contre-productive : en fait de catharsis, c’est le soupçon d’une magistrature aux ordres qui a primé. D’autant qu’au même moment les mêmes juges condamnaient à tour de bras des manifestants pour entrave au processus électoral.

La parenthèse ouverte par le Hirak n’est pas près de se refermer. Les plaies sont à vif

Les tenants du pouvoir auraient tort de s’imaginer qu’un nouveau président permettra de tourner la page du Hirak. Il offrira, au mieux, ce que l’économiste Adam Smith théorisait comme l’« aléa moral », soit « la maximisation de l’intérêt individuel sans prise en compte des conséquences défavorables sur l’utilité collective ».

Une nouvelle incarnation civile permettra au « système » – l’État profond, dans d’autres cultures – de retrouver quelques mois le doux confort de l’opacité. Mais la parenthèse ouverte par le Hirak n’est pas près de se refermer. Les plaies sont à vif. Les fractures, multiples et profondes. Surtout, les Algériens ont découvert que la force du nombre permet même de déboulonner un président au pouvoir depuis vingt ans. Le matin du vote, nombre d’entre eux promettaient de poursuivre la lutte sous d’autres formes.

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