L’âge du capitaine

Le futur État sera-t-il fédéral ou unitaire ? Qui pourra se porter candidat pour en prendre la tête en juin prochain ? L’avant-projet de Constitution en discussion au Parlement divise la classe politique.

Publié le 21 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Des élections dans ce pays sans routes et sans état civil, peu de gens y croyaient il y a deux ans. Et pourtant, l’incroyable va peut-être se produire. Bien sûr, si cela ne tenait qu’aux acteurs de la transition, celle-ci serait prolongée à l’envi. Car ce processus sous perfusion internationale est une rente formidable pour le président de la République et les quatre vice-présidents, les 36 ministres et 25 vice-ministres, sans oublier les 500 députés et 120 sénateurs. Tous se sont autodésignés ou l’ont été par leur parti. Nul doute que beaucoup d’entre eux redoutent le verdict des urnes. Mais, depuis deux mois, ce personnel politique est sous la pression de la rue. Le 6 janvier dernier, le président de la Commission électorale indépendante, l’abbé Malu Malu, annonce avec une certaine franchise que, compte tenu des retards pris par la transition, l’élection présidentielle ne pourra sans doute pas avoir lieu avant octobre 2005. Mal lui en prend. Aussitôt des milliers de Kinois des quartiers Chine populaire et Lemba, dans l’est de la capitale, descendent dans la rue et réclament les élections avant le 30 juin prochain, comme promis il y a deux ans par les signataires de l’accord de transition. Le 10 janvier, les forces de l’ordre tirent à balles réelles dans la foule. Quatre morts. L’année ne pouvait pas plus mal commencer !
Ce drame en dit long sur l’impatience du peuple. Certes, des partis attisent le feu. À commencer par l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Son chef charismatique, Étienne Tshisekedi, n’est pas associé à la transition. A-t-il été exclu ou s’est-il mis hors jeu tout seul ? En tout cas, le vieux lutteur de Limete annonce « le chaos » si le processus électoral n’est pas achevé le 30 juin prochain. Sauf à mettre en place de nouvelles structures transitoires… Sa position jusqu’au-boutiste est d’autant plus contestable que les textes prévoient une prolongation éventuelle de la transition de douze mois (six mois renouvelables une fois). Mais la manifestation du 10 janvier est un avertissement que les acteurs ont pris très au sérieux. Les bailleurs de fonds réunis au sein du Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat) également. Aujourd’hui, le rythme des réformes s’accélère. Et le 14 février, à l’ouverture de la session extraordinaire du Parlement sur l’avant-projet de Constitution, le président de l’Assemblée nationale, Olivier Kamitatu, a déclaré : « Nos pensées doivent être tournées en ce moment vers tous ceux qui ont succombé à ces événements malheureux […] faisant ainsi des martyrs de plus sur le chemin de la démocratisation de notre pays. » Puis le numéro deux du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba a lancé en lingala : « Tolinga, tolinga te, élections ekosalema » (« Bon an, mal an, qu’il pleuve ou qu’il neige, les élections auront lieu »). À cet instant, la salle s’est soulevée comme un seul homme.
Cela dit, la partie n’est pas encore gagnée. Avant ces élections, les Congolais vont devoir s’entendre sur deux questions pièges : la nature de leur futur État et l’âge minimal de leur futur président de la République. C’est l’objet de la session extraordinaire qui vient de s’ouvrir au Parlement de Kinshasa. Les trois semaines à venir promettent d’être chaudes. Le débat sur l’âge du capitaine a été lancé, presque en catimini, en novembre dernier par huit sénateurs malicieux réunis en conclave à Kisangani – loin de la pression de la capitale – pour rédiger un premier projet de Constitution. Proposition : tout candidat à la présidence de la République doit être âgé d’au moins 40 ans, sauf s’il a déjà exercé la fonction. Un tel projet n’exclurait pas l’actuel chef de l’État Joseph Kabila, bien qu’il n’ait que 33 ans. Mais un amendement est si vite arrivé… Pour éviter toute mauvaise surprise, les partisans de Joseph Kabila ont organisé la contre-attaque. Début février, lors d’un séminaire réuni à Kinshasa, ils ont proposé de baisser l’âge plancher à 30 ans. Alors, 40 ans ou 30 ans ? Le MLC de Jean-Pierre Bemba et le RCD Goma (Rassemblement congolais pour la démocratie) d’Azarias Ruberwa pèsent à eux deux un bon tiers des sièges au Parlement. Sauf contrepartie, ils n’ont pas de raison de faire le moindre cadeau à Joseph Kabila, leur futur adversaire politique. Le Parti du peuple pour la reconstruction et le développement (PPRD, du président Kabila) peut compter, lui, sur un certain nombre de membres de l’opposition politique d’Arthur Z’ahidi Ngoma et de la société civile. Mais pas tous. Bref, les jeux sont loin d’être faits…
Autre question piège, et autrement plus fondamentale : la nature de l’État. Sans réveiller les mânes de Moïse Tshombé, nombre de Katangais continuent de penser qu’ils vivraient peut-être mieux sans le reste du Congo ! Ou du moins dans un État fédéral. À l’heure du boom chinois, de l’aéronautique et du téléphone portable, le cuivre et le cobalt sont des valeurs montantes. Naturellement tourné vers la Zambie et l’Afrique du Sud, le Katanga ne veut pas d’un État unitaire. À Kinshasa, les représentants de l’Union des fédéralistes et républicains indépendants (Uferi) – héritiers de l’ancien ministre des Affaires étrangères Nguz’a Karl-i-Bond – et ceux de l’Union des nationalistes fédéralistes congolais (Unafec), du ministre de la Justice Honorius Kisimba Ngoy, se battront pour le fédéralisme. Et qui sait ce que les Katangais du PPRD voteront… Le Bacongo pourrait également être séduit par une solution fédérale. Seule province maritime avec le port de Matadi, le Bacongo est lui aussi tourné vers le monde extérieur. Évidemment, ces deux provinces ne feront pas le poids face aux neuf autres, mais elles pourraient obtenir le soutien tactique du RCD Goma et des rwandophones du Kivu, qui ont appris à se méfier du pouvoir central depuis les multiples accrochages de l’année dernière.
En réalité, un État unitaire sans garde-fous fait peur à tout le monde. Car les élections sous haute surveillance internationale « risquent » d’être transparentes. Personne ne sait qui va gagner et, sans l’avouer, chacun se prépare – au cas où – une base de repli. Le PPRD au Katanga – la région d’origine du père de Joseph Kabila, le MLC en Équateur, le RCD au Kivu… Un État unitaire fortement décentralisé pourrait donc être un compromis acceptable pour une majorité de parlementaires. Certains envisagent déjà des gouverneurs et des assemblées provinciales élus… Bref, un État fédéral sans le dire !
Si tout va bien – un voeu pieux au Congo ? -, le projet de Constitution sera adopté fin mars, puis soumis à référendum. Mais le peuple ne pourra pas voter avant d’avoir été recensé. Ce travail de Titan prendra au moins deux mois. Et cela, c’est une autre histoire…

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