Le remodelage du Moyen-Orient

Publié le 21 février 2005 Lecture : 5 minutes.

Le Moyen-Orient est réputé « compliqué » et, plus que d’autres parties du monde, sécrète en permanence « du bruit et de la fureur ».
Si vous avez du mal à trouver la signification de ce qui s’y passe en ce moment, prenez ceci pour fil conducteur : tout procède du plan de remodelage de la carte de la région par les États-Unis et Israël.
Bush et Sharon ont décidé de conjuguer les moyens de leurs deux pays pour refaçonner le Moyen-Orient. Il s’agit, pour eux, d’en éliminer ou de réduire toutes les forces hostiles à l’Amérique ou à Israël, et de les remplacer par des entités favorables.
Rien de moins.
Ce qu’ils ont fait en Irak depuis deux ans, ce qu’ils ont initié en Palestine il y a deux mois et ce qu’ils entreprennent en ce moment même pour régler son compte à la Syrie entrent dans ce cadre. Ils sont aidés principalement par Tony Blair et Silvio Berlusconi – et bénéficient de la passivité-inertie des dirigeants arabes : apeurés, ces derniers préfèrent courber l’échine, attendre que « ça se passe… ».

1. L’Irak : c’est le 9 avril 2003, le jour où l’armée américaine a occupé sa capitale, que Saddam Hussein a perdu le pouvoir. Ses troupes se sont alors liquéfiées et son gouvernement s’est désintégré ; lui-même a dû se résoudre à devenir un clandestin dans le pays dont, la veille encore, il se disait (et se croyait) le chef.
Et c’est le 13 décembre de la même année, lorsqu’il a été débusqué dans « un trou à rats », qu’il a perdu la liberté.
Tout de suite après, Saddam a été exhibé à son peuple et au monde dans des positions humiliantes avant de se retrouver dans la condition de vulgaire détenu incomunicado.
Mais ce n’est qu’à l’issue du scrutin tenu le 30 janvier dernier, et seulement après que les résultats de ce vote sont devenus officiels – ce 13 février -, que le régime qu’il avait instauré le 16 juillet 1971 a définitivement rendu l’âme : ce jour-là, la minorité sunnite (le quart de la population) qui, sous son règne plus encore qu’auparavant, a tenu les rênes du pouvoir, l’a perdu, pour toujours, je pense.
Deux fois plus nombreux, les chiites vont enfin accéder au pouvoir, et ce n’est que justice !
En ce mois de février 2005 est en train de naître, à côté de l’Iran gouverné (depuis cinq siècles) par les chiites, le premier État arabe chiite de l’époque contemporaine.

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Sa naissance introduit plus de justice dans la société irakienne. Mais aussi un facteur d’incertitude, voire d’instabilité.
Nul ne sait, en effet, comment le pouvoir chiite irakien se comportera :
– à l’intérieur vis-à-vis des autres composantes minoritaires de la nation irakienne (sunnites, Kurdes et Turkmènes)
– et à l’extérieur vis-à-vis de son voisin iranien (et chiite), des pays arabes, gouvernés, eux, par des sunnites, vis-à-vis de son parrain américain (allié d’Israël).
Puissance occupante, ayant beaucoup investi dans l’affaire, l’Amérique a, en principe, les moyens – et les hommes – qui lui permettront de « tenir » le pays, de le mettre dans son orbite. Elle le pense, en tout cas, et agit en conséquence.

Cela dit, il faut le souligner : l’événement que constitue la conquête du pouvoir en Irak par les chiites est aussi considérable que l’arrivée au pouvoir de la majorité noire en Afrique du Sud, au début des années 1990. Elle en a alors écarté la minorité blanche qui l’avait accaparé, elle aussi, pendant près d’un siècle.
Dans ce même Moyen-Orient, consécutifs à la conquête de l’Irak qui les a rendus possibles, sont intervenus deux autres événements de même amplitude et qui procèdent, eux aussi, de la volonté israélo-américaine de remodeler la carte de la région.

2. Israël-Palestine
Les meilleurs observateurs de cette affaire croient que la mort d’Arafat a donné naissance à un « nouveau Sharon » : de même que le général de Gaulle s’est résigné à l’indépendance de l’Algérie et au rapatriement des Français qui s’y étaient installés, s’inclinant devant les réalités politiques et démographiques, le général Sharon ferait évacuer la Cisjordanie après Gaza pour y faire place à l’État palestinien dont il a accepté la création.
C’est du moins ce que croient pouvoir annoncer ces observateurs.
Je ne crois pas une seconde à cette étonnante et tardive conversion de Sharon au processus d’Oslo ou au plan de Genève, que lui-même dit continuer à combattre.

Je pense qu’en faisant le pronostic résumé ci-dessus, ces observateurs, de très bonne foi, prêtent à Sharon une évolution qu’il n’a pas faite – et ne fera pas.
Plus manoeuvrier et plus têtu qu’ils ne le pensent, l’actuel Premier ministre israélien applique le plan qu’il avait en tête lorsqu’il a accédé au pouvoir il y a quatre ans et qu’il a formulé plusieurs fois : garder pour Israël 52 % de la Cisjordanie et n’en concéder aux Palestiniens que 48 % (plus Gaza) pour qu’ils y installent « l’État » palestinien, soit quelques bantoustans où ils s’entasseront comme ils pourront, cernés de tous côtés et surveillés tout le temps par un Israël riche et puissant.
Ce plan, dont l’exécution va débuter par l’évacuation des 7 000 colons de Gaza – réinstallés en… Cisjordanie ! -, Sharon l’a fait approuver – explicitement – par George W. Bush.
Et, Dieu les ayant opportunément débarrassés d’Arafat, Israël et les États-Unis se font fort désormais d’amener l’Autorité palestinienne à se contenter de ce qu’on lui accorde, agrémenté d’une aide financière « généreuse ». Ils comptent en particulier sur son président Mahmoud Abbas, sur le ministre des Finances Salem Fayyad et sur l’homme de la Sécurité Mohamed Dahlan, jugés acquis à une coopération avec Israël.
Ils comptent sur Abdallah II de Jordanie et sur Moubarak Ier d’Égypte pour les aider à réussir leur entreprise : faire de la Palestine une deuxième Jordanie, un mini-État amical, inféodé et dépendant.

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3. Liban-Syrie
Dans une confidence faite à son ami William Safire à la fin de 2004, Ariel Sharon a murmuré :
« La Syrie ? Après l’Irak, les choses changeront aussi avec la Syrie : un problème à la fois… »
On ne saurait mieux dire !
Bush et Sharon ont dû estimer qu’avec les élections du 30 janvier dernier le cas de l’Irak était virtuellement réglé puisque, comme chacun peut s’en rendre compte, l’attaque du tandem États-Unis/Israël contre la Syrie vient de commencer.
On en est pour l’heure à l’intimidation et aux escarmouches. Mais le but est affiché, et l’on ne s’arrêtera pas avant l’évacuation du Liban par les Syriens, la renonciation par eux à leur soutien au Hezbollah et, très probablement, « le changement de régime ».

Après avoir détruit en 2003 l’armée et le Baas irakiens, considérés par Israël comme une menace, il faut, en 2005, toujours dans le cadre du remodelage de la carte du Moyen-Orient, changer la donne à Damas : se débarrasser d’un pouvoir minoritaire lui aussi, semi-dictatorial, pas assez coopératif, et… baasiste de surcroît, comme celui qu’on a abattu à Bagdad.
Dirigé par un président inexpérimenté et faible, tenu par des dinosaures dépourvus de toute imagination politique (comme d’ailleurs les collaborateurs de Saddam), le pouvoir syrien ne tiendra pas longtemps devant l’attaque américano-israélienne.

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