Maroc : l’inébranlable Abdeslam Ahizoune

De Vivendi à Etisalat, Abdeslam Ahizoune, le dirigeant historique de Maroc Télécom, résiste à tous les changements d’actionnaires. Son carnet d’adresses, ses résultats et son habileté tactique lui permettent aujourd’hui d’élargir encore sa sphère d’influence en Afrique.

Abdeslam Ahizoune dirige Maroc Télécom depuis 1998. © Eric Larrayadieu/JA

Abdeslam Ahizoune dirige Maroc Télécom depuis 1998. © Eric Larrayadieu/JA

Publié le 7 juillet 2014 Lecture : 5 minutes.

Maroc Télécom a encore une fois changé de main. Vivendi, actionnaire de référence du groupe depuis sa privatisation, en 2001, a cédé ses parts à l’émirati Etisalat. Ce deal, en négociation depuis plus d’un an déjà, s’est révélé avantageux pour toutes les parties. D’abord pour Vivendi, qui a empoché plus de 470 millions d’euros. Ensuite pour Etisalat, qui récupère l’un des opérateurs les plus rentables du continent. Mais aussi pour Abdeslam Ahizoune, 59 ans, qui a réussi à se maintenir à la tête de l’opérateur.

Une capacité à traverser les époques

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Une partie qui n’était pas jouée d’avance pour le puissant patron. « Au début du processus de négociation, Ahizoune a été exclu. Il semblait définitivement hors jeu. Mais on s’est trompés… Ahizoune a décidément la peau dure, plus encore que ce que l’on imaginait », commente ce banquier d’affaires qui a suivi de près l’accord Vivendi-Etisalat.

Maroc Telecom Abdeslam Ahizoune BioCette capacité à traverser les époques, à survivre aux changements, intrigue. Aux commandes de Maroc Télécom depuis sa création, en 1998, l’homme a su négocier le virage de la privatisation de 2001 en se rapprochant des différents patrons de Vivendi : Jean-Marie Messier, puis Jean-René Fourtou.

Désormais, c’est avec les cheikhs émiratis qu’il doit composer. Un changement de « culture » qu’il a su anticiper dès les premiers pourparlers. « Ahizoune a multiplié les voyages aux Émirats ces derniers mois. Il voulait s’imprégner de la culture locale, comprendre les codes du pays. Il a surtout su créer des liens solides avec les dirigeants d’Etisalat et certains pontes de l’économie du pays », raconte l’un de ses proches.

Soutien de l’État

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Ahizoune a pu aussi compter sur le soutien de l’État. « La cession de Maroc Télécom était un dossier piloté en haut lieu. Et l’État a dû imposer Ahizoune pour plusieurs raisons », explique un proche. Car si Maroc Télécom, avec ses 2 milliards de dirhams (177,6 millions d’euros) de dividendes annuels pour l’État actionnaire, est une poule aux oeufs d’or, il est également un objet de sécurité nationale. « Quand Mohammed VI a un souci sur sa ligne téléphonique, il appelle Ahizoune sur son portable », raconte un proche.

Pur produit du secteur public, ancien ministre des PTT sous Hassan II, Ahizoune est un fin connaisseur des us et coutumes du Makhzen. Une qualité indispensable quand on atteint un tel niveau de responsabilités dans le royaume chérifien.

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Cette proximité avec les milieux du pouvoir, Ahizoune a su aussi la cultiver dans les pays d’Afrique subsaharienne où son groupe est présent. Au Mali, au Gabon, en Mauritanie, mais surtout au Burkina Faso, il est reçu comme un chef d’État. En parfait homme du sérail, il n’aime pas que cela soit mis en avant, pour ne pas froisser certains ego de l’establishment marocain. Mais la réalité est ainsi : « Ahizoune a la confiance des présidences africaines. Au cours des négociations entre Vivendi et Etisalat, plusieurs hauts responsables africains ont répété qu’ils ne connaissaient qu’un seul interlocuteur : Abdeslam Ahizoune. Son nom était presque imposé », raconte l’un des proches du président.

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Afrique subsaharienne

C’est aussi cela qui a contribué à son maintien. Présent dans quatre pays au sud du Sahara, Maroc Télécom verra très prochainement son influence s’élargir à cinq nouveaux pays de la région : la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo, le Niger et la Centrafrique.

Un accord négocié dans la foulée de la cession des parts de Vivendi, qui permettra à Maroc Télécom de récupérer les six filiales africaines d’Etisalat, réunies sous la bannière Moov, pour la bagatelle de 650 millions de dollars (480 millions d’euros). Ce sont des opérateurs de petit poids qui réalisent des taux de marges ne dépassant pas les 30 %.

Jongleur

On est loin, très loin de la rentabilité de Maroc Télécom et de ses filiales, qui tournent à une marge d’Ebitda de 50 % au bas mot. Le défi consistera à les aligner sur les standards de profitabilité du groupe. Et Ahizoune est justement l’homme de la situation. « C’est un redresseur hors normes. Toutes les filiales africaines rachetées depuis 2002 étaient en situation difficile. Mais il a su les restructurer, leur donner de l’impulsion, et les rendre rentables », souligne un analyste.

Ahizoune compare d’ailleurs son travail à celui d’un jongleur, qui, pour maintenir les assiettes en l’air, doit veiller en permanence à leur vitesse de rotation. Au moindre ralentissement, il redonne « une petite impulsion », comme il aime à l’expliquer. En langage managérial, cela signifie un suivi régulier des indicateurs d’activité et de rentabilité du groupe et de ses filiales.

Ahizoune compare d’ailleurs son travail à celui d’un jongleur. Pour maintenir les assiettes en l’air, il doit veiller en permanence à leur vitesse de rotation.

Dans le tableau de bord que ses équipes lui transmettent chaque semaine, l’homme s’attache surtout à deux indicateurs : la croissance du chiffre d’affaires et la marge d’Ebidta. Une méthode de pilotage simple, mais qui a jusque-là fait ses preuves. Ce n’est pas pour rien que Maroc Télécom et ses filiales continuent d’afficher les taux de marges les plus élevés du continent, offrant dans la foulée jusqu’à 7 % de rendement à ses actionnaires – l’un des meilleurs des places casablancaise et parisienne, où la firme est cotée.

Rentabilité

« C’est une performance remarquable, surtout quand on sait que le chiffre d’affaires de Maroc Télécom est en chute continue depuis trois ans, en raison notamment des baisses de prix concédées sur le marché marocain », note cet analyste financier. Des qualités qui lui seront nécessaires pour mettre à niveau les anciennes filiales africaines d’Etisalat et les aligner sur ses propres exigences de rentabilité.

Mais en attendant, l’homme devra d’abord arracher le transfert des licences dans les différents pays où Moov est présent. « Une tâche qui peut prendre en théorie jusqu’à deux ans », souligne ce fin connaisseur des milieux africains des affaires. Avant de poursuivre : « Abdeslam Ahizoune, lui, fait partie de ces gens qui peuvent vous arracher un transfert de licences en deux mois. »

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