Le Rwanda ou les secrets d’un bon élève
Dévasté par un génocide il y a vingt ans, le pays pauvre et enclavé réalise un spectaculaire redressement économique. « Jeune Afrique » analyse les ingrédients de cette réussite, entre méthodes non conventionnelles et culture du résultat.
Nul n’aurait misé le moindre kopeck sur le Rwanda en 1994. Et pourtant… Vingt ans après le génocide qui l’a ravagé, le pays est devenu une destination prisée des investisseurs, et les organisations internationales de financement du développement ne tarissent pas d’éloges sur ses progrès.
Ses performances économiques impressionnent : un taux de croissance soutenu de 8,1 % en moyenne depuis 2001 et près de 1 million de personnes sorties de l’extrême pauvreté entre 2006 et 2011. Meilleur réformateur au niveau mondial depuis 2005, selon le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale, le pays est aussi la troisième économie la plus compétitive d’Afrique subsaharienne en 2013-2014…
Gestion rigoureuse
Critiqué pour sa virulence vis-à-vis de ses opposants et longtemps accusé d’avoir soutenu des mouvements rebelles qui pillent l’est de la RD Congo voisine, son président, Paul Kagamé, est cependant salué pour la gestion saine et rigoureuse de ses finances publiques, de même que pour la qualité du climat des affaires dans le pays. Le premier emprunt obligataire international lancé en avril 2013 par le Rwanda a été sursouscrit… huit fois.
Rien ne prédisposait le Rwanda à devenir un pays touristique.
Autrefois essentiellement agricole (avec des exportations de thé et de café), le pays des Mille Collines se positionne désormais comme une économie de services (52 % du PIB). Avec trois principaux piliers : le tourisme, la finance et les technologies de l’information et de la communication (TIC).
Et ce sont surtout ces secteurs qui attirent les entreprises étrangères. Comme les groupes Rezidor et Marriott, qui sont sur le point d’ouvrir des établissements haut de gamme à Kigali, l’américain Starwood a annoncé son implantation dans le pays d’ici à 2018. La prestigieuse université américaine Carnegie-Mellon va quant à elle y créer son premier campus africain consacré aux TIC.
Défis
Le modèle du petit pays d’Afrique de l’Est séduit et inspire d’autres économies du continent. Après des pays comme le Ghana ou l’Ouganda, le Togo a instauré en 2013 – à l’image du Rwanda Revenue Authority (RRA) – un Office togolais des recettes (OTR) qui doit centraliser et gérer l’ensemble des revenus publics (fiscaux et douaniers) nationaux. C’est d’ailleurs à un Rwandais, Henri Gapéri, que la direction de cette structure a été confiée…
JA2790" class="caption" style="margin: 4px; border: 0px solid #000000; float: left;" />Certes, le pays de Paul Kagamé connaît un progrès fulgurant, mais il n’est pas riche pour autant. Du moins pas encore. Avec un PIB par habitant d’environ 698 dollars (513 euros), selon le Fonds monétaire international (FMI), il doit faire face à de nombreux défis en matière d’emploi et de réduction de la pauvreté…
« La question de la stabilité politique et sociale reste fondamentale. Que va faire Paul Kagamé, qui dirige le pays d’une main de fer depuis 2000 et dont le second mandat arrive à terme dans trois ans ? » s’interroge un homme d’affaires étranger actif sur le territoire rwandais. En attendant, pour mieux comprendre le succès du Rwanda, Jeune Afrique a mené son enquête et retenu trois points essentiels dans la stratégie de développement mise en oeuvre par les autorités rwandaises.
Un modèle endogène
Au sortir du génocide, en juillet 1994, « des experts internationaux nous disaient qu’il fallait, dans une telle situation, opter pour un développement séparé, qui verrait des parties du pays attribuées à telle ou telle communauté », rappelle Valentine Rugwabiza, directrice générale du Rwanda Development Board (RDB). Mais cette option a été rejetée par les dirigeants rwandais. « Le choix par le leadership d’un modèle axé sur l’inclusion de tous les Rwandais a été déterminant », estime-t-elle.
Un leadership qui, pour Anastase Shyaka, le directeur général du Rwanda Governance Board, « a parié sur des méthodes non conventionnelles pour appréhender les questions de développement ». En substance, il s’agit de trouver aux problèmes rwandais des solutions rwandaises, comme certains aspects de la Stratégie pour le développement économique et la réduction de la pauvreté (EDPRS) – qui entre dans le cadre du plan Vision 2020 de Paul Kagamé – le montrent bien, notamment les Home Grown Solutions.
Le plus connu, le programme One Cow per Poor Family (« une vache par famille pauvre »), est inspiré du Girinka, une tradition ancestrale qui consiste à offrir une vache à une famille en signe de respect ou en dot de mariage. Mais ici, l’animal doit lui permettre de produire du lait pour sa propre consommation et pour générer quelques revenus. Au total, plus de 180 000 bovins ont été distribués à fin octobre 2013. Une action qui a permis de sortir environ 1 million de personnes de l’extrême pauvreté entre 2006 et 2011.
Rama Sithanen, agent spécial
Ancien vice-Premier ministre et ex-ministre des Finances de Maurice, cet économiste réputé brillant préside depuis un an le conseil d’administration du Rwanda Development Board.
Créée en 2008 (en accord avec une idée de Tony Blair, l’ancien Premier ministre britannique), cette agence est au coeur de la stratégie de développement du Rwanda et de la promotion du secteur privé. Sithanen, qui forme à la tête du RDB un duo de choc avec Valentine Rugwabiza, sa directrice générale, est à l’origine de plusieurs réformes (fiscales et économiques) ayant permis de booster l’économie de l’île.
Priorités
Par ailleurs, alors que son budget dépend à près de 50 % de l’aide internationale, le Rwanda n’accepte que les projets internationaux correspondant à ses propres priorités. De la même manière, lorsque la plupart des pays africains sous-traitent leur plan de développement à des cabinets internationaux, le Rwanda élabore, lui, sa propre stratégie.
« Les autorités mènent des consultations, mais ce sont elles qui définissent les priorités. Le ministère de la Planification et des Finances supervise », explique un consultant.
D’après Eric Kacou, ancien cadre de l’américain OTF Group (partenaire du gouvernement rwandais dans la mise en oeuvre du plan Vision 2020), lorsqu’on observe le contexte régional dans lequel évolue le pays, son choix de se positionner comme une économie de services se justifie : « Enclavé et dépourvu de ressources naturelles, le pays est situé dans une Afrique de l’Est assez intégrée où le Kenya, l’Ouganda ou la Tanzanie sont industriellement plus avancés. »
À ces éléments, il faut ajouter le fait que structurellement, le Rwanda est confronté à une densité de population très élevée (540 habitants au km2) et que les terres cultivables sont insuffisantes, au point que même en augmentant la productivité de façon significative, il est devenu impossible de générer suffisamment de revenus pour permettre aux populations qui vivent essentiellement de l’agriculture de s’en sortir…
Lire aussi :
Claver Gatete : « Le Rwanda est un pays crédible »
Doing Business 2014 : l’Afrique subsaharienne progresse
Une approche commerciale
Si l’État tient compte des réalités pour définir son modèle de développement, il s’inspire aussi de ce qui fonctionne le mieux ailleurs. Le Rwanda a ainsi tourné son regard vers Singapour et reproduit une organisation assez similaire à celle de la cité-État en créant des agences – tel le Rwanda Development Board (RDB) – chargées de mettre en oeuvre les politiques gouvernementales. La présidence et les ministères font office de conseil d’administration, et ces agences spéciales (onze au total) constituent les organes exécutifs.
Dans ce système, la démarche commerciale est omniprésente. « Quand le gouvernement décide de faire du développement d’un secteur une priorité, il faut réfléchir, innover et proposer des produits et services pour lesquels des clients (ou des investisseurs) seront prêts à payer le prix indiqué », explique un analyste du RDB.
Le succès du tourisme illustre bien ce mode de fonctionnement. « Rien ne prédisposait le Rwanda à devenir un pays touristique. En organisant selon les traditions des cérémonies de baptême de bébés gorilles de montagne appelées kwita izina, le pays a suscité la curiosité et attiré du monde. Aujourd’hui, on paie jusqu’à 750 dollars pour un permis de visite afin de voir ces animaux », analyse l’Ivoirien Eric Kacou.
Au Rwanda, il n’y a pas une culture, mais une religion du résultat.
En 2013, le pays a attiré plus de 1 million de visiteurs, générant une recette de près de 300 millions de dollars, contre 62 millions en 2000.
Pour accroître les revenus tirés de ce secteur, les autorités ont décidé de développer le tourisme d’affaires. Elles viennent ainsi de lancer le programme Meetings, Incentives, Conferences and Events (Mice), qui devrait faire du Rwanda un hub régional pour l’événementiel et lui rapporter, dès 2015, 150 millions de dollars. « La demande existe, nous nous efforçons de rendre l’offre à la hauteur », assure Valentine Rugwabiza.
Crystal Ventures sur tous les fronts
C’est un fonds dont tout le monde parle, mais dont on sait finalement peu de chose. Si ce n’est qu’il est le bras financier du Front patriotique rwandais (FPR, de Paul Kagamé). Et qu’il demeure un acteur majeur de l’économie rwandaise avec des participations majoritaires ou minoritaires dans des entreprises opérant dans des secteurs aussi divers que l’immobilier (Real Contractors), le BTP (NPD Cotraco) ou l’agroalimentaire (Inyange Industries, leader local des produits laitiers).
Selon la presse kényane, Crystal Ventures est valorisé à 500 millions de dollars (367,5 millions d’euros), et cherche à céder certaines participations (MTN Rwanda et Inyange) pour investir dans des secteurs vierges. Alors que les critiques, discrètes mais nombreuses, pointent les distorsions de concurrence et l’entrave à l’émergence d’un véritable secteur privé que cette omniprésence peut créer, Paul Kagamé, interrogé par J.A. en 2013, a été catégorique : Crystal Ventures investit « dans des activités qui, au départ, n’intéressent pas le secteur privé, mais que [le Rwanda] juge essentielles ».
Avant d’ajouter en brandissant le rapport « Doing Business » et son classement du climat des affaires que les sociétés détenues par ce fonds « obéissent aux mêmes règles que les autres et que les appels d’offres auxquels elles soumissionnent sont parfaitement transparents ».
Stéphane Ballong
La religion du résultat
« Au Rwanda, il n’y a pas une culture, mais une religion du résultat », insiste le patron d’une banque locale faisant allusion au fameux « contrat de performance ». Une politique inspirée elle aussi d’une tradition ancestrale, l’imihigo.
Chaque début d’année, les dirigeants de toutes les institutions à tous les niveaux s’engagent devant le chef de l’État, la population et aussi les uns vis-à-vis des autres à fournir un certain nombre de résultats dans le cadre des programmes de développement.
« Dans chaque district, le nombre de kilomètres de route à construire, d’hectares de plantations à développer ou d’enfants à scolariser – par exemple – sont clairement définis.
Cet ensemble d’indicateurs forme alors la base du contrat de performance que le leader du district va signer avec le président et, donc, avec tout le pays. »
D’après le responsable Afrique d’une organisation internationale de développement, « ce système entraîne une pression énorme sur les fonctionnaires, comme on peut le voir dans le monde de l’entreprise, mais il a un avantage : il génère une forme de comptabilité. Or il faut rendre des comptes en fin d’exercice et expliquer pourquoi certains objectifs n’ont pas été atteints… »
Autre atout, selon Eric Kacou, fondateur et directeur général du cabinet de conseil ESPartners : « Ce système contraint à la transparence sur la manière dont les ressources consacrées aux différents programmes ont été utilisées. De même qu’il suscite une certaine intolérance vis-à-vis de la corruption. » Voilà de quoi méditer…
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