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Lourdes incertitudes sur l’avenir du numéro deux mondial de l’informatique après le licenciement de son PDG emblématique, Carly Fiorina.

Publié le 23 février 2005 Lecture : 5 minutes.

« Il reste nous et IBM. Nous grignotons leurs parts de marché. Nous pouvons les dépasser. » Ainsi s’exprimait, en août 2003, Carleton, dite « Carly », S. Fiorina, PDG de Hewlett-Packard (HP). Elle fait alors la une de Forbes, célèbre mensuel économique. Un hommage mérité à la seule femme dirigeant l’un des vingt plus grands groupes américains. Carly Fiorina récoltait là les fruits d’une fusion risquée avec Compaq, entérinée un an auparavant. En 2003, le nouvel ensemble affichait un chiffre d’affaires de 73,1 milliards de dollars, en hausse d’un tiers en un an. Un changement de dimension qui place HP en position de numéro deux mondial de l’informatique, derrière IBM et ses 89,1 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Mais HP ne soutient plus la comparaison. Les résultats ne sont pas bons. La rentabilité d’IBM se révèle bien meilleure. À 8,4 milliards de dollars en 2004, son bénéfice net représente 8,7 % du chiffre d’affaires. Appliqué à HP et ses 3,5 milliards de dollars de profit, le même ratio n’est que de 3,5 %. Le 9 février dernier, le conseil d’administration du géant californien a mis un terme au contrat de Carly Fiorina. Depuis plus de six mois, les actionnaires manifestaient leur mécontentement en délaissant la valeur. L’action HP vaut à peine plus de 20 dollars, soit deux fois moins qu’au moment de la nomination de la PDG. L’annonce du départ de Carly a été saluée par Wall Street, où le titre s’est envolé le jour même de 11 %. Une fois passé ce premier moment d’euphorie, les investisseurs sont revenus sur terre car de lourdes incertitudes pèsent sur l’avenir du conglomérat.
Outre IBM dans les services informatiques, Hewlett-Packard est aujourd’hui concurrent de Dell pour les ordinateurs individuels, de Xerox pour les imprimantes et les scanners, voire de Kodak pour les appareils photo numériques. Également réparties, ses trois principales activités en font un groupe sans point fort (voir infographie). Le futur patron devra être un spécialiste des trois domaines à la fois, ou un « tueur » capable de couper une ou plusieurs branches pour mieux développer le reste. Il lui faudra aussi surmonter un problème de taille : la stratégie du groupe et la personnalité de sa présidente déchue sont intimement liées. Explications.
Lors de sa nomination à la tête de HP, en juillet 1999, Carly Fiorina reçoit une feuille de route qui tient en une phrase : « Dépoussiérer ce groupe pour qu’il entre dans l’ère d’Internet. » En soi, l’arrivée de celle qui sera bientôt surnommée « la Dame de fer » constitue une révolution dans un monde constitué majoritairement d’ingénieurs et de techniciens. Pas tellement parce qu’elle est une femme – HP est plutôt respectueux de la parité. Mais plutôt parce qu’elle est une personnalité extérieure, jeune de surcroît (à peine 45 ans) dans un univers où les responsabilités s’acquièrent en interne. Carly Fiorina est en outre une commerciale : elle a acquis ses galons dans le groupe de télécommunications ATT.
Hewlett-Packard respire alors la santé. Il réalise les trois quarts de ses ventes dans les scanners et les imprimantes, domaine dont il est le numéro un mondial, tant en ventes qu’en innovation. La plupart de ses concurrents utilisent ses brevets. Depuis peu, le groupe fabrique aussi des ordinateurs grand public. Pour la nouvelle PDG, les perspectives de croissance sont ailleurs. Certes, un utilisateur d’imprimante HP peut vouloir posséder un ordinateur de la même marque, d’autant que les circuits de distribution sont les mêmes. Mais l’informatique professionnelle autorise des marges bien plus importantes : la vente d’un équipement est toujours assortie de services à valeur ajoutée, comme les logiciels ou la maintenance. Hewlett-Packard est absent de ce secteur, plus rémunérateur. Après une première réorganisation qui porte ses fruits – elle se traduit par deux hausses consécutives de 15 % du chiffre d’affaires -, Carly Fiorina s’intéresse à Compaq.
D’une taille comparable, Compaq est alors le numéro un mondial des serveurs, ces ordinateurs qui sont au coeur des applications professionnelles. Sa principale faiblesse réside dans le segment grand public, justement la force de HP, qui, sous l’impulsion de sa présidente, se lance dans l’une des plus importantes fusions que l’Amérique ait connues. En 2002, les actionnaires déboursent 19 milliards de dollars pour constituer un nouveau géant de l’informatique. Encore ne l’ont-ils fait qu’au terme d’une intense partie de bras de fer. Trois mois durant, Walter B. Hewlett, fils de Walter R. Hewlett, lui-même cofondateur, avec David Packard, en 1939, du groupe qui porte encore leurs noms, s’est vivement opposé à l’opération, entraînant dans son sillage un nombre suffisant d’actionnaires pour la faire échouer.
La dynamique présidente tient bon, tout en prenant conscience des vives résistances internes que suscite sa stratégie. Dès lors, elle cherchera à l’imposer par tous les moyens, usant et abusant de son image personnelle. Carly Fiorina se met en avant dans les spots publicitaires de HP, multiplie les conférences internationales, intervenant par exemple sur la fracture numérique aux Nations unies, ou encore, en janvier dernier, au Forum de Davos. Parallèlement, elle accentue sa présence auprès des salariés, transformant la moindre nomination en un événement planétaire, grâce à une surabondance de congrès et de vidéotransmissions à destination du personnel. Le tout en cultivant sa réputation d’inflexibilité. Les mauvaises langues racontent que la façon dont elle a congédié, il y a six mois, les trois directeurs de la branche informatique professionnelle pour résultats insuffisants, tenait d’une « exécution » sur la place publique. Symbole entre tous, une photo de la présidente des années 2000 fait face à celles des fondateurs historiques, dans le hall du siège de Hewlett-Packard, à Palo Alto, en Californie.
Plusieurs cabinets de recrutement se sont déjà mis en quête de l’individu providentiel, homme ou femme, qui devra tout à la fois succéder à une icône et décider des nouvelles orientations à donner au groupe. Pour le moment, le conseil d’administration a pourvu le poste en le scindant en deux : un « historique » et une femme à poigne. Robert P. Wayman, directeur financier et membre du groupe depuis trente-six ans, devient directeur général. Patricia C. Dunn, ex-banquière, qui a rejoint l’équipe « Finances » en 1998, est nommée présidente. La mission du futur patron, Patricia Dunn la résume en deux phrases : « Il n’est pas question de changer de stratégie, mais d’en accélérer les effets » et « le groupe ne sera pas démantelé ». Autant dire une tâche colossale. Pas étonnant que les candidats ne se bousculent pas au portillon.

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